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Pour des menstruations plus écolos

Changer le monde, une femme à la fois

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Chaque année, des tonnes de serviettes et tampons jetables sont enfouies dans les dépotoirs du Québec. Il existe pourtant des options écologiques, encore peu utilisées par les personnes menstruées.

Elle aurait pu choisir de coudre n’importe quoi d’autre. Mais dans son atelier de Limoilou, à Québec, Marie-Philippe Filteau fabrique des culottes et des serviettes réutilisables pour changer le monde, une femme à la fois. « C’est épouvantable de jeter autant de produits menstruels dans une vie », plaide la couturière et femme d’affaires qui, il y a cinq ans, a fondé Marie fil, une entreprise de produits écoresponsables.

Le constat est sans équivoque : les serviettes et les tampons, composés de matière plastique et de produits chimiques, sont polluants. « Une femme qui a ses règles de l’âge de 12 à 50 ans aura utilisé plus de 9 000 protections menstruelles, ce qui aura généré environ 55 kilogrammes de déchets », calcule Estelle Louineau, analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG).

Peut-être même davantage puisque de nombreuses femmes combinent souvent deux produits menstruels (comme un tampon et un protège-dessous) pour éviter les débordements lorsque le flux est abondant. À l’équation, il faut aussi ajouter l’applicateur du tampon en plastique, l’emballage en plastique, la fine couche de plastique sur la boîte… Des déchets qui prendront jusqu’à 500 ans à se dégrader.

Sachant qu’une femme est menstruée 2 500 jours au cours de sa vie, il vaut la peine d’y réfléchir pour la planète, mais aussi pour son portefeuille.

Il faut remonter à la fin des années 1930 pour voir les premières Québécoises utiliser la serviette jetable au lieu des traditionnelles guenilles et bandes de tissu. « Mais ce n’est pas sans une certaine gêne qu’elles se rendaient au magasin afin de s’approvisionner », rappelle l’ethnologue Suzanne Marchand, dans son article Cachez ce sang que je ne saurais voir, en référence au grand tabou des menstruations.

Puis, l’arrivée des femmes dans les usines, après la Seconde Guerre mondiale, a popularisé ce produit menstruel. « Les femmes ont surtout adopté la serviette jetable pour son côté pratique, tout comme les mouchoirs et les couches jetables », souligne Marie-Hélène Provençal, professionnelle de recherche au Conseil du statut de la femme. 

La serviette jetable toujours très populaire

Presque un siècle plus tard, la serviette a encore la cote auprès des femmes. « Les serviettes jetables occupent la plus grande part du marché des produits menstruels au Canada, soit environ 70 % selon une étude de marché réalisée par Markets and Markets (2020). » Loin devant les tampons (15 %), peut-on lire dans l’étude du Conseil Faciliter l’accès aux produits menstruels, publiée en septembre dernier. Les produits réutilisables qu’il faut manipuler et laver? Ils ne récoltent qu’un maigre 5 %.

« Il n’y a aucun doute, le tabou du sang persiste. Jusqu’à tout récemment, le sang était encore bleu dans les publicités! » fait remarquer Sarah Jacob-Wagner, professionnelle de recherche et coautrice de cette étude. Un tabou qui semble s’estomper – lentement mais sûrement – avec l’arrivée de la nouvelle génération. 

Marie-Philippe Filteau, fondatrice de Marie fil

Marie-Philippe Filteau en est témoin. Avec un carnet de commandes bien rempli, la maman de deux jeunes enfants distribue ses produits réutilisables dans une soixantaine de points de vente au Québec. « Je sens un changement de mentalité. De nombreuses mères viennent essayer la culotte menstruelle avant de la suggérer à leur fille », observe-t-elle.

Parce qu’il y a certes la préoccupation environnementale, mais aussi la présence de produits chimiques dans les serviettes et les tampons qui dérangent de plus en plus. « Si je choisis de faire des culottes réutilisables, c’est d’abord et avant tout pour la santé et le confort des femmes », soutient l’ex-ingénieure en chimie qui, elle, ne pourrait plus s’en passer. 

L’Institut santé et société de l’Université du Québec à Montréal rapporte la présence de 20 à 30 produits chimiques, dont certains pesticides, dans des tampons de marques populaires. De son côté, Santé Canada tente de se faire rassurante en écrivant sur son site Web que les tampons sont « réglementés à titre de dispositifs médicaux » et que ceux vendus au Canada sont « sûrs, efficaces et de grande qualité grâce aux exigences d’homologation, de fabrication et de suivi après-vente ».

L’infime présence des produits chimiques ne poserait aucun risque pour la santé. Or, très peu d’études ont été menées sur les effets à long terme de l’utilisation des produits menstruels jetables sur la santé des femmes.

Des options écologiques et économiques

Quoi qu’il en soit, il existe des solutions de rechange : les culottes menstruelles (comme celles de Marie fil et d’autres compagnies québécoises), les serviettes et protège-dessous lavables et la coupe menstruelle, une petite cloche en silicone insérée dans le vagin pour recueillir le sang.

Dans la compétition du produit le plus écolo, c’est la coupe menstruelle qui remporte l’or, selon plusieurs expert·e·s. Une femme peut l’utiliser jusqu’à 10 ans pour une quarantaine de dollars, soit seulement 4 dollars par année. « L’empreinte carbone d’une coupe menstruelle est équivalente à celle de six serviettes ou trois tampons » jetables, explique Estelle Louineau, experte au CIRAIG.

Par contre, au rayon des culottes et des serviettes menstruelles, il existe trop peu d’études pour tirer des conclusions. « Il faudrait voir quelle est leur durée de vie réelle et quels matériaux les composent », ajoute Estelle Louineau. Ces produits sont souvent fabriqués à partir de coton dont la culture exige beaucoup d’eau et il faut en acheter plusieurs pour passer à travers son cycle menstruel.

Sachant qu’une femme est menstruée 2 500 jours au cours de sa vie (en moyenne de 5 à 6 jours par mois pendant une période de 40 ans), il vaut la peine d’y réfléchir pour la planète, mais aussi pour son portefeuille. À moyen terme, les produits menstruels réutilisables contribuent à faire des économies d’échelle.

D’ailleurs, plus d’une centaine de villes ou d’arrondissements au Québec remboursent même une partie des coûts. « Les municipalités ont à cœur de réduire la quantité de déchets pour diminuer ce qui est envoyé aux sites d’enfouissement », remarque la chercheuse Marie-Hélène Provençal. Des projets qui permettent aussi aux femmes en situation de précarité financière d’entreprendre un virage vert. Initiatives où, finalement, tout le monde gagne.