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Combattre la pauvreté menstruelle : des solutions venues d’ailleurs

Un enjeu de santé publique universel

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« La gestion de l’hygiène menstruelle est devenue un sujet de santé publique mondialement reconnu », écrit Marni Sommer, professeure à l’École de santé publique de l’Université Columbia. Dans un article paru en 2014, elle et ses collègues s’intéressent à la question et à l’attention qu’elle suscite à travers le monde. « Il y a 10 ans, lorsqu’on me demandait sur quoi je travaillais, la réponse provoquait un silence gêné, constate la professeure. Aujourd’hui, les gens me disent plutôt ce qu’ils savent du sujet. »

Enjeu longtemps ignoré, la gestion de l’hygiène menstruelle (« menstrual hygiene management ») est désormais associée, dans les pays du sud, aux efforts visant à rendre l’eau potable et les installations sanitaires disponibles pour toutes et tous. Il y a de quoi : aujourd’hui encore, selon l’ONU, deux personnes sur cinq à travers le monde n’ont pas accès à un lieu où se laver les mains.

C’est d’ailleurs de ces régions que sont venues les premières initiatives visant à éradiquer la pauvreté menstruelle, lesquelles se sont par la suite répandues dans les pays industrialisés. « Je n’avais pas initialement pensé au fait que nous pourrions avoir les mêmes problèmes localement », explique Marni Sommer, de son bureau à New York. Si aujourd’hui des pays comme l’Écosse font les manchettes à travers le monde, le mouvement est né au creux du continent africain.

À bas la taxe tampon!

C’est le Kenya qui a le premier aboli la taxe tampon, en 2004, faisant passer le coût d’un paquet de tampons de 1,20 $ à près de 1,00 $. Un virage nécessaire pour rendre ces produits essentiels accessibles à un plus grand nombre. Bien que pertinente, l’initiative n’était qu’un début : « plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour », notait en 2016 une représentante de l’organisme ZanaAfrica, un des acteurs principaux de ce changement. Il fallait aller plus loin.

Pour motiver ces avancées, divers acteurs, dont des ONG et des élu·e·s favorables à la cause, ont ciblé un but derrière lequel toutes et tous pouvaient se rallier : favoriser l’éducation des jeunes filles. Ils s’appuyaient sur des rapports indiquant qu’une des sources de décrochage scolaire était justement la pauvreté menstruelle.

Sachant qu’une femme est menstruée 2 500 jours au cours de sa vie, il vaut la peine d’y réfléchir pour la planète, mais aussi pour son portefeuille.

Depuis 2011, le Kenya consacre trois millions de dollars par année à la distribution de serviettes hygiéniques gratuites dans des écoles à travers le pays. De nombreux pays se sont joints au mouvement amorcé par le Kenya en 2004, dont le Canada qui a emboîté le pas une dizaine d’années plus tard.

Il n’est pas difficile de trouver des initiatives visant la distribution gratuite ou à faible coût de produits hygiéniques, comme des tampons et serviettes jetables. En Inde, de nombreuses écoles ont copié l’initiative kenyane. Un documentaire indien intitulé Les règles de notre liberté, qui aborde la réalité d’un groupe de femmes qui produisent et distribuent leurs propres serviettes dans leur communauté, a même obtenu un oscar en 2019.

Une précarité universelle

Il ne faudrait tout de même pas croire que la bataille contre la précarité menstruelle est gagnée. Au contraire, plus l’on porte d’attention à la question, plus on constate que les lieux où elle se manifeste sont nombreux.

C’est ce qu’a compris l’Écosse, où une loi adoptée en 2020 garantit l’accès gratuit et universel à des produits menstruels. Cette loi s’ajoute à diverses mesures, comme le financement d’une application qui permet de localiser des produits gratuits ou encore la campagne #PeriodTalk qui vise à combattre le tabou entourant les menstruations.

Là encore, les répercussions liées à la précarité menstruelle sur la fréquentation scolaire, combinées aux effets négatifs de celle-ci sur la santé, la présence au travail et la participation aux loisirs, sont parmi les enjeux qui ont motivé les décideuses et les décideurs à agir.

Au-delà des initiatives envers la population étudiante, où sont pour le moment concentrés la majorité des efforts, d’autres projets visent des groupes plus marginalisés, comme les personnes incarcérées. Aux États-Unis par exemple, depuis 2018, une loi fédérale oblige les prisons à rendre des produits jetables disponibles en quantité suffisante pour toutes celles qui en ont besoin. L’État de New York est précurseur en ce domaine, ayant adopté une loi similaire en 2016.

Toujours aux États-Unis, les femmes en situation de précarité et les milieux de travail sont aussi visés par des lois diverses. Les refuges pour personnes en situation d’itinérance de l’État de New York sont ainsi tenus d’offrir serviettes hygiéniques et tampons à celles qui les fréquentent. Au-delà de la serviette

Marni Sommer, professeure à l’École de santé publique de l’Université Columbia

« Les produits sont importants, mais il est essentiel de ne pas s’y limiter », note Marni Sommer. Celle qui a commencé ses recherches en Tanzanie considère que l’accès à des toilettes et à de l’eau courante ainsi que l’éducation à la biologie des menstruations sont tout aussi essentiels. La professeure a travaillé à la rédaction de livres destinés à des filles traversant la puberté dans quatre pays : Tanzanie, Ghana, Éthiopie et Cambodge. Elle rêve de voir l’enjeu de l’accès aux produits menstruels considéré comme un droit de la personne.

Elle donne l’exemple de l’initiative Dignity Period dans le nord de l’Éthiopie, région où se trouvent les populations les plus pauvres du pays. En 2019, une collaboration de partenaires a permis d’y former des gens en vue d’offrir dans les écoles, aux filles comme aux garçons, des cours sur les menstruations. L’initiative visait aussi à fournir des produits hygiéniques conçus localement.

Julie Hennegan, une chercheuse spécialisée en santé féminine à l’Institut Burnet, en Australie, abonde dans le même sens : « nous parlons ici de pauvreté, il ne faudrait pas l’oublier ». Selon elle, le problème ne se résoudra pas uniquement avec des produits gratuits.

Les deux chercheuses se préoccupent de l’enthousiasme global pour ce qui semble une solution magique. « En Écosse, on ne prend même pas le temps d’évaluer si les produits gratuits sont réellement la bonne solution », déplore Julie Hennegan. Les chercheuses souhaitent voir les acteurs du milieu s’intéresser aussi aux enjeux connexes, et aux façons de rendre les menstruations plus écologiques à travers le monde.

Partout où elles sont implantées, les initiatives contre la pauvreté menstruelle permettent d’améliorer la santé, le bien-être et la confiance en soi de celles qu’elles visent. Il y a à peine 15 ans, seule une poignée d’acteurs tentaient de faire bouger les choses. Aujourd’hui, l’enjeu est devenu mondial. Qui sait où nous en serons dans 15 ans?