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Camille Froidevaux-Metterie célèbre le retour du féminisme au corps

Une promesse d’autonomie et de liberté

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Image de couverture : © Courtoisie Éditions du Seuil

Longtemps dévalorisé ou réduit à ses fonctions maternelles et sexuelles, puis oublié par les féministes, le corps réel des femmes fait l’objet depuis une décennie d’un foisonnement d’initiatives et de débats. Qu’il s’agisse de l’expérience des règles, de la place du clitoris dans la jouissance, du ressenti physique et psychique de l’accouchement et du post-partum, du souci de l’apparence ou de la ménopause : ces questions intimes, longtemps synonymes d’aliénations et d’assignations, sont aujourd’hui appréhendées comme autant de promesses d’autonomie et de liberté.

Depuis plusieurs années, la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie repère ce tournant qu’elle nomme « bataille de l’intime » et vient de publier aux éditions du Seuil un nouvel ouvrage sur ce sujet.

Intitulé Un corps à soi – référence explicite au célèbre essai de Virginia Woolf –, cet essai très dense propose à la fois une relecture du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir dans une perspective phénoménologique, en s’appuyant sur la pensée d’Iris Marion Young, et une exploration nourrie par d’innombrables études, livres et chiffres des différents âges et états du corps féminin.

Ayant entamé sa réflexion en 2015 avec La révolution du féminin, Camille Froidevaux-Metterie poursuit son analyse de l’expérience vécue des femmes en renouvelant les fondements théoriques du féminisme. « Nous avons […] grand besoin d’une pensée féministe qui investisse le corps des femmes comme un champ de recherche légitime », écrit-elle au début de son essai. Ce retour au corps va de pair avec une écriture à la première personne. Chose à la fois émouvante et peu fréquente dans le milieu universitaire, la philosophe se pose elle-même comme objet d’étude, faisant résonner sa voix de femme « blanche, cis, hétéro, mère et bourgeoise » avec celles d’autres – autrices, penseuses, journalistes ou témoins –, ce qui confère à l’ensemble du livre un caractère sororal.

À toutes les générations de féministes

Camile Froidevaux-Metterie

« Parler à la première personne est une démarche proprement féministe. Dans les années 70, les femmes se retrouvaient ensemble pour mettre en partage leurs récits singuliers, souvent douloureux, et entrer ensuite dans la lutte collective », souligne-t-elle.

Dans son exploration des processus corporels, elle démontre que les logiques d’assignation s’appliquent dès le début de la vie de l’être humain. « Le choix du prénom, la constitution de la garde-robe ou l’aménagement de la chambre, à chaque fois, les décisions prises enracinent le bébé dans le genre adéquat au sexe annoncé. »

La philosophe aborde des sujets chers à la jeune génération de féministes, tels que les premières règles, les injonctions liées à la maternité ou la jouissance féminine. D’autres questions moins grand public, comme les représentations qui concernent les femmes ménopausées, occupent aussi une belle place. Outre l’invisibilisation dont sont victimes les femmes de plus de 50 ans, leur désir sexuel est à la fois méconnu et frappé d’opprobre. Elle constate que « la sexualité des femmes ménopausées demeure un impensé, un impensable même ».

Autre problématique récurrente chez les femmes, celle qui touche aux désordres alimentaires. Camille Froidevaux-Metterie s’attarde longuement sur la figure de l’anorexique en proposant une interprétation tant originale que positive qui fait d’elle une personne en quête identitaire, qui se soustrait aux normes genrées et devient par là « un corps-sujet radical ».

Enfin, elle rappelle qu’à rebours de l’idée de cyclicité, la vie des femmes est rythmée par des évènements corporels décisifs qui « entretiennent une intensité existentielle à laquelle il est quasiment impossible d’échapper ».

En France comme dans d’autres pays, les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes, telles que la précarité menstruelle ou les violences obstétricales, ont été ajoutées à la liste des priorités du gouvernement avec plus ou moins de résultats.

Quelle que soit la problématique étudiée, le ton demeure bienveillant, le principe de la pluralité des subjectivités et du refus de toute généralisation sous-tend le déploiement de sa pensée. À l’image de ce qu’elle dit sur la manière d’accoucher : « Je reste sur ma position qui consiste à ne pas juger les femmes sur ce qu’elles choisissent de faire de leur corps : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de donner naissance à un enfant. »

Un féminisme incarné

Ce livre est aussi une tentative pour « redéfinir les conditions d’une expérience vécue de l’hétérosexualité qui soit pleinement féministe ». La philosophe rappelle à raison que les femmes hétérosexuelles, longtemps discréditées dans le champ féministe, ont par leur positionnement un très grand intérêt à « la libération vis-à-vis de l’hétérosexisme et de l’hétéronormativité ».

Et de plaider, sujet controversé parmi les féministes, que les hommes soient inclus dans le combat féministe. « Je ne vois pas très bien comment nous pourrons avancer sur ces questions intimes sans les hommes », confie-t-elle.

L’autrice a d’ailleurs participé à la réalisation en 2020 du documentaire Les mâles du siècle, tourné par son mari, Laurent Metterie. Plusieurs générations d’hommes de milieux socio-économiques divers y témoignent de leur position par rapport aux avancées et revendications féministes. Cela ne l’empêche pas de s’affirmer misandre. Elle précise toutefois qu’elle ne conçoit pas la misandrie comme une guerre des sexes, mais comme « la désignation claire et frontale des responsables de la reproduction patriarcale dans nos sociétés. »

Si sa réflexion sur un féminisme incarné suscitait à ses débuts en 2015 quelques crispations, voire carrément une fin de non-recevoir, elle rencontre aujourd’hui un important écho médiatique et politique. En France comme dans d’autres pays, les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes, telles que la précarité menstruelle ou les violences obstétricales, ont été ajoutées à la liste des priorités du gouvernement avec plus ou moins de résultats. En même temps, ces débats suscitent de nombreuses réactions, notamment celles d’autres femmes qui dénoncent les dérives d’un prétendu « néoféminisme ».

« Ce qui est typique de la France, explique Camille Froidevaux-Metterie, c’est cette tradition de résistance féminine au féminisme au nom d’un modèle soi-disant courtois des relations entre les femmes et les hommes. » Ce qui ne l’empêche pas de conclure son essai sur une note optimiste : « Un second grand moment de la révolution féministe est engagé. » Et il pourrait déboucher sur un monde où les femmes seront enfin « des corps-sujets ».