Aller directement au contenu

Se nourrir ou acheter des tampons?

Quelles options pour les femmes en situation d’itinérance?

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Tous les mois, des dizaines de milliers de Québécoises se privent pour acheter des produits menstruels. Pire encore, des femmes en situation d’itinérance utilisent des solutions de fortune pour gérer leurs menstruations… au péril de leur santé.

Valérie serre ses bras contre elle pour cacher sa gêne. « J’ajoute du papier de toilette sur ma serviette hygiénique pour qu’elle dure le plus longtemps possible. C’est tellement cher », me confie-t-elle. Même en situation d’itinérance, pas question de laisser paraître une tache rouge sur son pantalon. Depuis des années, Valérie fait des sacrifices à l’épicerie pour se payer des produits menstruels. « C’est une question de dignité », lâche cette femme forte et fière, emmitouflée dans son chandail blanc immaculé.

D’autres n’ont pas le choix de mettre un vieux bas au fond de leur culotte ou d’utiliser simplement une pile d’essuie-tout. Car se procurer des produits menstruels jetables coûte au moins 80 dollars par année et parfois davantage dans le cas d’un flux abondant. Une petite fortune pour les personnes dans la rue, victimes de précarité menstruelle.

Ce concept – encore méconnu et peu étudié – fait référence « aux difficultés d’accès aux produits menstruels en raison d’une situation de précarité financière », explique Sarah Jacob-Wagner, professionnelle de recherche au Conseil du statut de la femme et coautrice de l’étude Faciliter l’accès aux produits menstruels, parue en septembre dernier. Se priver pour répondre aux besoins de notre système reproducteur ou carrément se passer de produits menstruels : de nombreuses personnes sont plongées dans cette situation, tous les mois.

« La précarité menstruelle est aussi vécue par des mères monoparentales, des jeunes aux études et des personnes défavorisées qui ne vivent pas toujours dans la rue. »

– Anaïs Pronovost-Morgan, codirectrice de Monthly Dignity

Qui n’a jamais été prise au dépourvu par le déclenchement de ses règles trop souvent imprévisibles? « Toute femme est susceptible d’éprouver une difficulté d’accès à des produits menstruels », peut-on lire dans ce document. Mais cette difficulté est décuplée pour 10 % des Québécoises vivant avec un faible revenu, selon des chiffres de l’Institut de la statistique du Québec. Imaginez le fardeau pour celles qui n’ont pas de toit. Seulement à Montréal, les femmes composent le quart des personnes en situation d’itinérance.

« Le manque d’accès aux produits menstruels peut avoir des conséquences sur leur santé physique, comme le syndrome du choc toxique, par exemple. Leur bien-être et leur participation sociale sont aussi affectés », soutient la professionnelle de recherche Sarah Jacob-Wagner. Sans produits menstruels, trouver un logement ou se présenter à un entretien d’embauche peut vite devenir un casse-tête.

Un « bunker » de produits menstruels

Marianne Pelletier, travailleuse sociale et chef d’équipe de soirs de semaine au refuge Chez Doris

« Le meilleur endroit pour être menstruée, c’est ici! » plaisante Marianne Pelletier, travailleuse sociale et chef d’équipe au refuge pour femmes Chez Doris, à Montréal. Elle descend au sous-sol du bâtiment où se trouve le « bunker », une petite pièce remplie de serviettes et de tampons. L’organisme en distribue gratuitement. « C’est un besoin essentiel. Personne ne devrait avoir à payer pour ça, croit-elle. On en met en accès libre dans les toilettes. Tout le monde peut ainsi se servir sans se faire poser de questions. »

Un soulagement pour Valérie qui a mis les pieds dans ce refuge pour la première fois au printemps dernier. « Je sais qu’il y a des serviettes à portée de main. Je n’ai plus à m’en préoccuper. Ça me permet de me concentrer sur autre chose. » Des produits menstruels, trois repas par jour, un endroit où dormir et surtout, un sentiment de sécurité… Valérie peut se reconstruire, à son propre rythme. « Chez Doris, les menstruations ne sont pas taboues », souffle-t-elle en souriant derrière son masque.

Mais l’opération peut parfois être délicate. L’organisme La rue des femmes – un centre de santé relationnelle qui accueille et soigne des femmes en situation d’itinérance – offre aussi des produits menstruels. « Certaines femmes ressentent de la honte. Elles vont nous les demander discrètement et se fâcher si on les leur donne devant d’autres personnes. La relation au corps est différente pour chacune », nuance la coordonnatrice à l’intervention, Louise Waridel.

De plus, les toilettes publiques sont moins accessibles depuis le début de la pandémie. « Devoir baisser ses pantalons dans le fond d’une ruelle pour changer de protection menstruelle place les femmes dans une position de vulnérabilité, ajoute-t-elle. Il n’existe presque rien au Québec pour répondre à ce besoin. »

Changer les règles

Anaïs Pronovost-Morgan, codirectrice de Monthly Dignity

À l’exception de quelques projets pilotes, tout repose sur le dos des organismes communautaires. Pourtant, les produits menstruels sont considérés comme répondant à un besoin essentiel et donc détaxés depuis 2015. Plusieurs voix s’élèvent pour en réclamer dans les lieux publics.

« La demande pour les produits menstruels est forte », affirme Anaïs Pronovost-Morgan, codirectrice de Monthly Dignity. L’organisation à but non lucratif fournit des serviettes et des tampons – en parfait état, mais qui ne peuvent être vendus pour des raisons de marketing – à une vingtaine d’organismes communautaires et à la banque alimentaire Moisson Montréal.

« N’oublions pas que la précarité menstruelle est aussi vécue par des mères monoparentales, des jeunes aux études et des personnes défavorisées qui ne vivent pas toujours dans la rue », rappelle la bénévole.

Or, l’idée d’offrir en libre-service des produits menstruels ne fait pas l’unanimité. « Quels groupes devraient être ciblés? Devrait-on avoir des initiatives qui incluent toutes les femmes, même les mieux nanties? Doit-on offrir des produits jetables ou durables? Ces questions font l’objet de débats », remarque Sarah Jacob-Wagner, du Conseil du statut de la femme. Certains croient qu’il faut d’abord et avant tout s’attaquer à la précarité économique. Bref, la route vers un accès universel aux produits menstruels est encore longue.

Valérie, elle, ne perd pas espoir. « Je rêve de voir le Québec imiter l’Écosse. » Il s’agit du premier pays à avoir adopté une loi en 2020 pour obliger les autorités locales à fournir gratuitement des produits menstruels. « Je souhaite aussi que nos adolescentes puissent avoir accès à des serviettes hygiéniques et des tampons gratuitement dans les universités », renchérit Valérie. Un cri du cœur pour qu’enfin, l’accès aux produits menstruels soit considéré comme un droit et non un privilège.

Notre collaboratrice Sabrina Myre discute avec l’animatrice Marjorie Champagne de précarité menstruelle, et d’initiatives pour réduire la charge environnementale et financière des produits menstruels.

Écoutez l’intégrale de l’entrevue, diffusée à l’émission Québec, réveille! du mercredi 19 janvier 2022 sur les ondes de CKIA 88.3 FM à Québec.