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On ne naît pas femme, mais on en meurt

Comment éduquer pour prévenir?

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Laura Adai (unsplash.com)

Dans une manifestation contre les féminicides, une pancarte fait grand vent. « On ne naît pas femme, mais on en meurt. » Le slogan est fort, la sémantique troublante. Derrière les mots, ce sont des mères, des filles, des sœurs, des amies qui ont été tuées.

Féminicide. Un mot chargé qui s’est imposé dans l’actualité et qui a marqué les esprits. Par définition, il s’agit d’un meurtre d’une femme au simple motif qu’elle est femme, peu importe le contexte.

Ce qui résonne derrière ce terme est effroyable. Il fait peur. Devant l’ignominie, le statu quo n’est pas une option. Comment éduquer pour prévenir?

On peut agir

Une première solution réside dans une sensibilisation populaire générale. Comme l’exprime justement la psychologue Patrizia Romito, autrice de l’ouvrage nécessaire Un silence de mortes, une plaie ouverte s’incarne dans la banalisation des actes de violences faites aux femmes, peu importe leur nature. Les stratégies d’euphémisation sont nombreuses et résolument délétères. Pour contrer cette banalisation, il est nécessaire de faire comprendre que pour en arriver aux meurtres, il y a tout un continuum des violences qui s’opère. Celles-ci ne sont pas isolées, mais s’imbriquent les unes aux autres. Pour qu’il y ait féminicide, il y a nécessairement une série d’actes moins « graves » qui mène au pire scénario. Ces gestes sont des violences moins spectaculaires et plus subtiles.

Malheureusement, on a tendance à s’alarmer quand il est trop tard. Et si on sensibilisait le public à ce qui précède le drame? Au continuum des violences, qui peuvent parfois laisser place au féminicide? Pour cesser de banaliser, nous devons aussi comprendre collectivement les conséquences de ces rapports de domination dans le parcours des femmes. Pour y parvenir, il est important de mettre des visages sur des statistiques. En ce sens, le travail de survivant·e·s pour nous raconter, comme Ingrid Falaise par exemple, m’apparaît fondamental.

La sociologue Jalna Hanmer, qui s’est grandement intéressée aux violences faites aux femmes, explique avec clarté comment le contrôle joue un rôle fondamental dans ces rapports de domination. Cette tentative peut être subtile, difficile à cerner et parfois floue. Une formation continue devrait être suivie par les intervenant·e·s de première ligne, et ce, plusieurs fois dans leur carrière. Je pense aux policières et policiers qui reçoivent les plaintes des victimes, aux proches, aux enquêteuses et enquêteurs qui mènent les dossiers. Ces personnes doivent être en mesure de prévenir des actes plus graves en repérant plus tôt ces mécanismes de contrôle qui peuvent sembler anodins.

Les stratégies d’euphémisation sont nombreuses et résolument délétères. Pour contrer cette banalisation, il est nécessaire de faire comprendre que pour en arriver aux meurtres, il y a tout un continuum des violences qui s’opère.

Ces signes sont souvent l’arbre qui cache la forêt. Les premiers répondants que les victimes rencontrent vivent, comme nous, dans une société où il existe encore une banalisation trop répandue de ces comportements. Pour contrer les féminicides, il faut savoir écouter et être à l’affût de situations problématiques de violences. Quand une femme se plaint que son mari est hypercontrôlant, la menace sur Facebook ou la suit grâce à une application, il faut réagir et, surtout, ne pas banaliser la situation. Il faut mettre les mesures en œuvre pour assurer leur sécurité le plus rapidement possible.

Ce travail d’éducation doit aussi cibler les plus jeunes générations pour éviter que celles-ci n’engendrent des bourreaux à leur tour. Je pense qu’un élément clé dans la prévention auprès des adolescent·e·s s’ancre dans la sensibilisation aux conséquences de tels comportements violents. En leur faisant ressentir ces effets, les jeunes se mettent à la place de l’autre et en viennent à comprendre. Pour moi, le cœur de cette éducation est celle du dialogue dans la bienveillance et l’ouverture. En réalité, je valorise le développement d’un modèle d’empathie qui repose sur l’apprentissage de l’expression de leurs émotions.

Une autre solution est la déconstruction de ces propos qui ciblent spécifiquement les femmes. Une clé de l’éducation auprès des jeunes réside dans l’analyse des modèles qui sont proposés et qui valorisent les violences faites aux femmes. On peut certainement développer un esprit critique à l’égard de représentations qui « glamourisent » l’objectivation des femmes ou les relations abusives à l’origine d’actes de violence terribles. C’est en décortiquant les représentations populaires reçues, les unes après les autres, qu’on arrivera à faire avancer les mentalités des plus jeunes : les images, les chansons, les jeux vidéo ou encore les films qui glorifient le dénigrement, le mépris, le contrôle ou la violence directe. Quand on voit dans un jeu vidéo hyperpopulaire un homme qui tue des femmes en série pour gagner des points, il y a matière à intervention.

Questionner, c’est le contraire de banaliser

Patrizia Romito décrit le silence des mortes avec force. Elle rappelle ainsi qu’on ne les a pas écoutées avant qu’elles soient assassinées. L’éducation doit aussi se faire au quotidien. Chacun d’entre nous peut aider à prévenir une fatalité en écoutant réellement ses sœurs, sa blonde, ses amies, sa mère, ses voisines. Quand il y a contrôle suspect, volonté de contrition, isolement, c’est qu’il y a peut-être quelque chose de plus grave qui se trame. Ce dont on est témoin peut être parfois la pointe de l’iceberg. S’informer individuellement de ces symptômes avant-coureurs est important. Nous avons tous le pouvoir et le devoir de sauver la vie d’une femme.

Léa Clermont-Dion est chercheuse postdoctorale à l’Université Concordia et réalisatrice. Elle se spécialise dans les questions des violences faites aux femmes en lien avec la sociologie du numérique. On lui doit les documentaires T’as juste à porter plainte, Janette et filles et Je vous salue salope, coréalisé avec Guylaine Maroist.