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France et Allemagne : des modèles de prise en charge des hommes violents

Une approche globale

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : Tim Marshall (unsplash.com)

Déjà à l’œuvre depuis une trentaine d’années, la prise en charge des conjoints violents est devenue en 2019 un enjeu officiel en France, où des centres de prise en charge globale sont en cours d’implantation sur tout le territoire. Quant à l’Allemagne, freinée par sa structure fédérale, elle est à la traîne, mais la COVID-19 a joué un rôle d’accélérateur dans la mise sur pied de tels outils.

En France, alors qu’une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint, les mesures se multiplient depuis quelques années : loi de 2005 relative au traitement de la récidive, ordonnance de protection modifiée en 2019, bracelets électroniques anti-rapprochement déployés depuis septembre 2020 (mille sont prévus)… Mais cela restait insuffisant. C’est pourquoi, à la suite du Grenelle de lutte contre les violences conjugales, fin 2019, le gouvernement d’Emmanuel Macron a ordonné la création d’ici 2022 de 30 centres de suivi et de prise en charge des auteurs de violence conjugale (CPCA). Depuis,16 ont déjà vu le jour. Un second appel d’offres vient d’être lancé pour les suivants.

Le paradoxe de la violence

Le psychologue Alain Legrand est directeur de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV). Créé en 2003, l’organisme fédère 39 associations. Alain Legrand travaille dans le domaine depuis plus de 30 ans, marqué par sa rencontre avec son confrère québécois Robert Philippe. Pionnier en la matière, celui-ci avait ouvert un premier centre pour conjoints violents en 1982 près de Montréal.

« Notre but est de prévenir la récidive pour lutter contre les violences faites aux femmes, car c’est d’elles qu’il faut se soucier prioritairement. Cela peut sembler très paradoxal de regarder les conjoints violents comme des victimes, mais je ne connais aucun auteur de violence qui n’en ait lui-même été victime », souligne Alain Legrand. Sur les 70 000 dossiers qu’a traités la FNACAV, il constate 50 % de récidive quand il n’y a pas de prise en charge globale et 20 % après un suivi psychologique. Son approche vise la restauration de l’estime de soi chez l’auteur de violences et son retour à l’empathie. « C’est la consécration de mon combat depuis 30 ans. On va enfin pouvoir faire bouger la société en profondeur et non plus seulement en surface. »

Un réseau régional

Le dispositif des CPCA s’appuie sur des associations déjà actives dans ce domaine. C’est le cas de l’Association régionale spécialisée d’action sociale, d’éducation et d’animation (ARSEA) de Strasbourg, dont le CPCA est ouvert depuis novembre 2020. L’objectif consiste à harmoniser et coordonner les pratiques pour couvrir l’ensemble du territoire français.

Le CPCA de Strasbourg suit actuellement des hommes âgés de 19 à 78 ans, envoyés par la justice (ceux-ci doivent payer leur admission 240 euros, soit 360 $) ou qui y adhèrent sur une base volontaire. Le centre intervient sous la forme de stages de responsabilisation et de suivi individuel, et ce sur plusieurs plans : psychothérapeutique, social (lutte contre la précarité, facteur de récidive), socioprofessionnel, judiciaire et toxicologique. Le CPCA de l’ARSEA met également en œuvre des actions de prévention en milieu scolaire et auprès de centres socio-culturels.

Le dispositif des CPCA s’appuie sur des associations déjà actives dans ce domaine. L’objectif consiste à harmoniser et coordonner les pratiques pour couvrir l’ensemble du territoire français.

Une ligne de téléphone destinée aux auteurs de violence est active depuis avril 2020 et un outil de prévention, Le violentomètre, est distribué depuis la rentrée 2019 dans les lycées d’Île-de-France. Ressemblant à une règle, l’instrument est gradué du vert au rouge pour mesurer la relation amoureuse : « profite », « dis stop », « demande de l’aide ». Parce que la violence commence tôt.

Plans d’urgence concrets en Allemagne

« Ce n’est pas une invitation lancée aux agresseurs à pleurer sur leur sort. On commence avec un plan d’urgence concret : avec qui puis-je parler, que faire si je n’arrive pas à joindre la personne immédiatement? » explique la criminologue Julia Reinhardt, vice-présidente de la Confédération pour l’action sur les auteurs de violences conjugales (BAG TäHG).

Cette confédération nationale a mis en œuvre des procédures pour fédérer le « Täterarbeit », dont le concept est apparu dans les années 1990 en Allemagne : travailler avec les auteurs de violence conjugale afin de les responsabiliser et de prévenir la récidive. Soutenue par le ministère fédéral de la Famille, des Personnes âgées, de la Femme et de la Jeunesse, la BAG TäHG réunit quelque 70 institutions qui travaillent en étroite collaboration avec la police, la justice et les associations de soutien aux femmes, entre autres.

Pendant six mois, par groupes de cinq à dix, des hommes violents – reconnus coupables ou présumés tels – apprennent à réagir à des problèmes de couple sans s’énerver. Au programme : débat sur le concept de violence, représentation des rôles de l’homme, de la femme et du père, entraînement à l’empathie.

De génération en génération

Des actions de prévention ciblent également le milieu scolaire, notamment à Berlin grâce à BIG (Initiative berlinoise contre les violences faites aux femmes), une association soutenue par le Sénat local. Offertes sur demande des écoles primaires et secondaires, des initiatives comme des ateliers, des stages et de l’accompagnement s’adressent aussi bien aux enfants et à leurs parents qu’aux professionnel·le·s de l’enseignement. Partant du constat que les comportements violents se reproduisent de génération en génération, ces programmes visent à briser ce cercle vicieux en apprenant notamment aux enfants à faire la différence entre dispute et violence, à découvrir leurs droits et à connaitre les possibilités d’aide à leur disposition.

Pour les hommes adultes qui craignent de devenir violents, il existe un numéro de téléphone d’urgence gratuit, ainsi qu’un guide de survie pour les hommes sous pression, accessible en ligne en 21 langues.

Merci à la COVID-19

La prise en charge globale demeure toutefois très peu développée en Allemagne, où il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul centre, à Landau, au sud du pays, précise Isabella Spiesberger, la coordinatrice du Centre de Berlin pour la prévention de la violence. Celle-ci ne cache pas la difficulté de la tâche, liée notamment à la structure fédérale du pays et à la pluralité des sources de financement. « Mais on a déjà beaucoup avancé. Si on travaille bien avec les auteurs de violence, cela soulagera d’autant la tâche des associations qui soutiennent les femmes victimes. »

Ainsi, le projet d’un second centre de prise en charge globale, à Berlin, s’est confirmé en mars. « C’est le fruit de 20 années de travail », auquel s’est invitée la COVID-19. « Les médias ayant très largement relayé la hausse des violences conjugales lors du confinement, cela a fait réagir les politiques, estime Isabella Spiesberger. C’est à l’image de la pandémie : il faut s’attaquer au virus, et pas seulement aux symptômes. »

Une remarque dans l’air du temps, que vient illustrer un ouvrage paru en mars et titré Tous les trois jours. Soit la fréquence des féminicides actuellement perpétrés en Allemagne…