Aller directement au contenu

Féminicide : le temps qui tue

Éducation, intervention, prise en charge

Auteur路e :Sébastien Boulanger

Bandeau :Illustration : © Nadia Morin

Révision linguistique :Révision linguistique : Bla bla rédaction

Le féminicide est le meurtre d’une femme ou d’une fille. Tuée parce qu’elle est une femme. Des crimes presque toujours perpétrés par des hommes, dans un contexte conjugal ou non. En quelques semaines à peine, la vie de 10 Québécoises aura ainsi été arrachée par un homme violent. Les féminicides ne sont pas une succession de tragédies isolées, d’actes spontanés. Ils sont la pointe visible d’une épidémie misogyne. Le visage spectaculaire d’un continuum normalisé de la violence, dont les ancrages sociaux sont multiples et profonds. Un virus mortel dont il ne suffit plus de combattre les seuls symptômes.

Selon les rapports de l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation, 160 femmes et filles ont été assassinées au Canada en 2020. Presque toutes par un homme. De ce nombre, 23 sont survenus au Québec, une hausse stupéfiante de 77 % par rapport aux 13 enregistrés en 2019. Devant les faits alarmants des dernières semaines, le gouvernement du Québec a annoncé en mars de nouvelles mesures et des sommes supplémentaires pour enrayer les crimes contre les femmes et les féminicides. Et pour venir en aide aux victimes. Mais les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale peinent toujours à suffire à une demande vertigineuse, tandis que des hommes violents échappent sans cesse aux mailles de la réhabilitation.

Éduquer

Au-delà des constats collectifs brutaux qu’impose cette vague d’assassinats, le magazine GF souhaite apporter sa contribution au débat dans une perspective de solutions. D’éducation des jeunes garçons et filles d’abord, puis de réhabilitation des agresseurs. Parce que l’apprentissage des relations amoureuses saines et égalitaires passe par la déconstruction des modèles de masculinité toxique qui nous envahissent.

Parler aux garçons de père à fils, à l’école, sur le Web, dans la rue… Ou à la manière du romancier et poète David Goudreault qui, dans un slam remarquable, s’adresse à tous les gars, petits et grands : « Ti-gars, je veux te donner de l’amour… Je veux qu’on sorte de nos cages, de la cage au sport comme de la cage thoracique… Quel genre de modèle on nous propose? Les superhéros qui règlent tout’ à coups de poing… On peut sortir du vieux moule pourri de l’homme fort à tout prix. »

Ces modèles nocifs et convenus font dire à la chroniqueuse Suzanne Zaccour que si la société condamne les violences faites aux femmes, elle refuse néanmoins de voir leur ordinarité, en ne remettant pas en question ces gestes de contrôle normalisés. « C’est notamment ce que nous apprend la littérature sur le contrôle coercitif, qui présente le cœur de la violence conjugale non pas comme des coups, mais comme des comportements de contrôle rendus possibles et acceptables par des normes de genre oppressives envers les femmes. » Un projet de loi proposant d’ajouter au Code criminel le crime de « conduite contrôlante ou coercitive » a d’ailleurs été déposé au Canada en octobre 2020.

Constat similaire chez Léa Clermont-Dion, qui insiste sur l’obligation pour nos sociétés de comprendre les séquelles de ces rapports de domination dans la vie des femmes pour mettre fin à leur banalisation. « Une clé de l’éducation auprès des jeunes réside dans l’analyse des modèles qui sont proposés et qui valorisent les violences faites aux femmes. On peut certainement développer un esprit critique à l’égard de représentations qui “glamourisent” l’objectivation des femmes ou les relations abusives à l’origine d’actes de violence terribles. »

Intervenir

S’il faut lutter en amont contre la culture du contrôle et de la violence, un autre grand défi consiste à joindre et à prendre en charge les hommes violents. Le journaliste Mickaël Bergeron a rencontré deux hommes qui fréquentent un groupe d’aide aux personnes impulsives. Alors que l’isolement est un frein à la réhabilitation de ces hommes, la mise en commun du travail en prévention est nécessaire partout : il est impératif d’améliorer les collaborations entre les organismes – correctionnels et communautaires notamment – en partageant l’expertise, les ressources et l’information.

La France – et l’Allemagne dans une moindre mesure – a fait de cette approche collaborative un enjeu officiel. Une trentaine de centres de suivi et de prise en charge globale des auteurs de violence conjugale sont en cours d’implantation sur tout le territoire. La journaliste Anne Vouaux discute du fonctionnement de ces centres, qui s’appuient sur des associations régionales déjà actives dans ce domaine en vue d’harmoniser et de coordonner les pratiques dans l’ensemble du pays. Ces regroupements travaillent également à la mise en œuvre d’actions de prévention des violences conjugales, entre autres auprès du milieu scolaire.

À la mémoire de Joyce

Près de deux ans après le dépôt des rapports de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et de la commission Viens, des femmes autochtones tombent toujours sous les coups d’un homme. En 2020 au Canada, 30 des 128 femmes et filles tuées par un accusé masculin étaient autochtones, soit plus d’une victime sur cinq (23 %). Un chiffre en complète disproportion avec la représentativité des femmes autochtones au pays (4 % de l’ensemble de la population féminine canadienne).

Dans un magnifique appel à la mémoire, la poétesse innue Marie-Andrée Gill nous offre ses mots de courage et de vie, à la mémoire de Joyce et de toutes nos sœurs autochtones : « Le monde le sait pas, mais on peut se guérir en dessinant des fleurs qui nous ressemblent, et en brodant avec les rêves. Même si crier pour dire “je suis humaine” peut paraître absurde dans le vertige ordinaire de l’histoire qu’on porte, on va le faire ensemble, mamu. »

Enfin, dans une courte fiction-réalité, Yasmine Berthou donne la parole à celle de plus. À cette autre victime, morte pour rien, deux jours et des poussières après sa prédécesseure. Car ainsi va l’histoire. L’Histoire avec un grand H qui, aujourd’hui, nous dicte d’affirmer avec force : pas une de plus. Parce que la solution est collective pour toutes… et tous.

Bonne lecture.

Toute femme qui sent sa sécurité menacée doit faire appel à des ressources comme SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement de sa région ou la police en appelant immédiatement le 911.