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L’égalité vue par… celle de plus

Rien ne pouvait présager qu’un tel sort me serait réservé. Sous les coups, moi aussi, je suis pourtant tombée. Je suis devenue une statistique…

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Federica Campanaro (unsplash.com)

Pas une de plus. Pas. Une. De. Plus. Quatre mots qui claquent. Et pourtant, les semaines, les mois s’égrènent… et les victimes de féminicide aussi.

Je suis l’une d’elles.

Rien ne pouvait présager qu’un tel sort me serait réservé. Sous les coups, moi aussi, je suis pourtant tombée. J’ai laissé derrière moi des enfants orphelins de mère, des amis, un travail, une vie qui semblait en tout point identique à celle de ma voisine, de ma sœur, de ma collègue, de la caissière, de la policière qui a tenté de me ranimer.

Je suis devenue une statistique. La victime qui arrive 2,5 jours après la précédente. Au Canada, en 2020, 160 femmes sont mortes des suites de violences : 90 % des accusés identifiés étaient de sexe masculin. Au Québec, en quelques semaines à peine, dix vies de femmes ont volé en éclats. Comme la mienne. Je ne respire plus. Je ne peux plus parler, mais je suis venue vous dire.

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Comment est-ce possible qu’en 2021, dans une société égalitaire modèle, je sois morte sous les coups d’un père, d’un mari, d’un ex-conjoint?

Au Québec, les filles peuvent rêver d’intégrer la Ligue nationale de hockey, de poser un robot sur Mars ou même de devenir premières ministres. La société québécoise a évolué pour le meilleur, au point de devenir l’une des sociétés les plus égalitaires du monde. Malgré cela, la masculinité toxique demeure une réalité bien ancrée.

On le dit et on le répète à l’envi, les féminicides visent les femmes parce qu’elles sont des femmes, mais c’est entre les mains des hommes que se trouve la clef du changement. Il est temps d’éduquer ceux qui ne sont pas encore nos alliés. Il est plus que temps d’enseigner à nos fils, à nos frères, à nos conjoints, à nos amis, à nos pères que les relations entre les femmes et les hommes doivent être égalitaires. Les hommes peuvent et doivent apprendre à gérer leurs émotions et leur colère, car rien ne justifie jamais la violence. Il n’y a rien de viril à frapper une femme.

Les gens qui ont lu ma mort dans les journaux se demandent : mais comment a-t-elle pu accepter son sort?

La vérité, c’est que c’est toujours la même histoire qui se répète. Les lieux et les noms changent, pas le scénario. C’est l’histoire d’un homme possessif, jaloux, contrôlant, violent, dont le comportement évolue et empire avec le temps. C’est l’histoire d’une femme qui n’a pas pu ou pas su demander de l’aide. Parce qu’elle n’a pas voulu mettre en péril ses enfants et sa vie. Elle se sent et se sait en danger, mais elle n’est pas protégée.

Et si tu as des doutes?

Moi, je n’ai pas vu les premiers signes. Je n’ai pas su décrypter la violence qui n’était pas encore physique. Lorsqu’il me demandait : avec qui étais-tu? Lorsqu’il fouillait dans mon téléphone cellulaire. Lorsqu’il demandait à nos enfants s’ils savaient ce que j’étais allée faire entre 16 h 30 et 17 h 15. Lorsqu’il me posait des questions insistantes sur mes collègues masculins.

Et puis, il y avait les reproches quand je n’avais pas ajouté suffisamment de sel dans l’eau des pâtes, ou l’apitoiement lorsque je refusais d’avoir une relation sexuelle avec lui. La graine qu’il a semée a fini par germer en instaurant un doute : et si c’était moi le problème?

Ce n’était pas moi.

C’était lui.

Que faire si ça t’arrive?

Moi, je n’aurais pas dû attendre. J’aurais dû partir, fuir. J’aurais dû en parler à mon travail. J’aurais dû contacter SOS violence conjugale (1 800 363-9010, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7), faire appel à une ressource comme les maisons d’hébergement, ou même appeler le 911. Alors, peut-être que je serais encore en vie.

Et l’égalité dans tout ça?

Je souhaite pour mes enfants, pour tes enfants et pour leurs enfants un monde dans lequel l’égalité ne sera plus une notion à atteindre, mais une réalité. Je souhaite aux garçons et aux filles d’être éduqué·e·s et sensibilié·e·s dès le plus jeune âge à l’importance de relations amoureuses égalitaires. Je souhaite aux hommes violents d’avoir le courage de consulter les ressources d’intervention, de soutien et de réhabilitation existantes. Pour cela, il faut que toutes et tous, femmes et hommes, nous contribuions de concert à l’avènement de ces changements. « Pas une de plus » ne sera alors plus seulement un souhait, mais une réalité.

* Ce texte est une fiction.