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La sexualité des femmes en situation de handicap, encore taboue?

L’invisibilité normée : témoignages

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Temps estimé de lecture :5 minutes

La sexualité des femmes avec incapacité existe. Pourtant, elle est largement invisibilisée. Isabelle Boisvert et France brisent ce silence. Leur point commun? Elles sont des femmes en situation de handicap, qui s’expriment avec conviction sur leur rapport à la sexualité.

Isabelle, 37 ans, est mère de famille monoparentale de deux jeunes enfants. Pour l’activiste et doctorante en psychologie clinique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), « le besoin d’être séduisante, c’est super important. Ce n’est pas parce que tu es en fauteuil que tu ne l’es pas! ».

France, 51 ans, est conférencière et militante. Celle qui se décrit d’abord « comme une femme avant d’être une handicapée » assume sa sexualité haut et fort.

Une société qui infantilise

France, conférencière et militante.

Dans son guide ACSEXE+, la Fédération du Québec pour le planning des naissances rapporte que les femmes en situation de handicap sont discriminées, car privées d’éducation à la santé sexuelle. Une précarité qui invisibilise ces femmes, qui voient leurs paroles, leurs envies et leurs inconforts étouffés, et leur relation à leur corps infantilisée par des opinions extérieures

La sexologue Sarah Filion abonde dans le même sens et observe que la société n’est pas adaptée aux femmes en situation de handicap. « Leur éveil sexuel se fait beaucoup plus tard, l’entourage assume d’emblée qu’elles sont asexuelles. Elles sont infantilisées, souvent par des parents surprotecteurs qui ne veulent pas que leur enfant se fasse niaiser ou abuser. »

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle l’importance du droit à une santé sexuelle respectueuse et comblée, sans discrimination ni violence, peu importe le degré d’incapacité de la personne. L’OMS ajoute que l’éducation à la sexualité par un encadrement sain permet de faire de la prévention, d’enseigner le consentement et le bien-être, mais aussi de prémunir contre les maladies, les infections et les violences sexuelles.

La femme en soi

France est née sur la Rive-Sud, dans la région de Montréal, avec un nanisme dysplasique diastrophique de Maroteaux-Lamy. Elle est une femme indépendante de 90 cm, allumée par la sexualité et ses enjeux chez les femmes en situation de handicap. France a grandi dans un environnement qui l’a menée à la conclusion qu’en raison de son handicap, « la sexualité, on n’en parle pas, donc ça ne doit pas exister ». De plus, ses bras atrophiés l’empêchent d’explorer son propre corps, et les normes des canons de beauté auxquelles elle ne correspond pas l’intimident.

Son éducation sexuelle brève – et pour le moins pittoresque – consiste à lui enseigner la contraception en lui montrant « comment installer un condom sur un morceau de bois ». France a envisagé sa vie sexuelle dans la vingtaine, lorsqu’elle a quitté le cocon familial. « Ça a ouvert la fenêtre sur la femme en moi! »

« La personne en situation de handicap est “invisibilisée” dans les médias, la société, les films, les séries. Se voir et se reconnaître, c’est exister, être un humain à part entière. »

– Sarah Filion, sexologue

À 31 ans, France rencontre un Écossais avec qui elle a clavardé tous les jours pendant trois mois avant qu’il vienne la retrouver à Montréal. « Ça ne s’est pas bien passé », confie-t-elle. L’homme avait des attentes charnelles envers elle, encore vierge à l’époque. Elle était consentante, mais trop peu expérimentée. Résiliente, France se tourne vers des plateformes de discussion en ligne pour comprendre comment développer sa propre sexualité.

Isabelle a une paralysie cérébrale et se déplace en fauteuil roulant électrique. Installée dans son bureau de l’UQAM, elle concentre sa recherche sur la sexualité des femmes en situation de handicap. Isabelle raconte avoir entamé ses études de psychologie pour exploiter ses qualités d’écoute, avant de réaliser rapidement que l’accumulation de diplômes la démarginalisait. Grâce à son expertise scientifique reconnue, sa prise de parole n’est plus dévalorisée par les a priori qui se figent sur son apparence.

Le consentement, la clé

Isabelle Boisvert, activiste et doctorante en psychologie clinique à l’UQAM

Isabelle évoque la place clé du consentement dans toute relation. « Des recherches démontrent que plus une femme en situation de handicap subit des touchers tôt sur son corps – par des professionnel·le·s, des médecins et des préposé·e·s –, plus les barrières corporelles deviennent difficiles à gérer. » Ce qui rend confuse la distinction entre un contact acceptable et celui qui est imposé, même une fois adulte, que ce soit dans la sphère de l’aide médicale ou amoureuse.

La répercussion d’un consentement méprisé est problématique. Le risque de mise en danger de la femme est proportionnel à l’affaiblissement de son estime corporelle, qui l’empêche de s’affirmer dans des situations inconfortables, insiste Isabelle.

« Plus jeune, j’ai vécu des violences sexuelles importantes. Aujourd’hui, je ne sais pas si je serais capable de m’assumer, d’avoir assez confiance dans l’espace intime pour dire “non, stop!” », confie Isabelle d’une voix douce et délicate.

Selon Statistique Canada, les femmes en situation de handicap sont deux fois plus susceptibles d’être la cible d’une agression sexuelle que celles qui ne sont pas en incapacité

À 32 ans, France a enfin sa première histoire d’amour, qui aura duré plus de deux ans. Il lui a dit que leur intimité « prendra le temps que ça doit prendre », se rappelle-t-elle, nostalgique. Elle a vécu, avec lui, beaucoup de premières fois qui ont énormément compté : la première fois qu’elle a rencontré ses amis, la première relation sexuelle, le premier homme qu’elle présente à ses parents, les premières sorties en couple en public.

France et Isabelle font partie de ces rares femmes qui partagent leur histoire. Leurs témoignages démontrent que toutes les femmes ont une sexualité, mais que celle des femmes en situation de handicap est aujourd’hui encore précarisée, voire ignorée, ce qui les rend vulnérables à des expériences hasardeuses.

Comme beaucoup de femmes en situation de handicap, France a fait face tout au long de sa vie aux jugements et aux opinions non sollicités des gens. « On insiste trop sur le handicap et pas sur la femme derrière le handicap », dira-t-elle.

Niées dans leur intimité, invalidées dans l’exploration et l’expression de toute expérience sensorielle de plaisir ou d’inconfort, elles se voient fragilisées davantage dans une société qui, déjà, les marginalise. Une éducation inclusive à une sexualité épanouie et consentie serait-elle le point de départ d’une saine responsabilisation collective?