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L’égalité vue par Isabelle Stephen

« C’est en combattant le mythe selon lequel l’asexualité concerne surtout les femmes que j’affirme mon engagement féministe. »

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Isabelle Stephen : © Michel Pinault

Animatrice, chroniqueuse et conférencière, Isabelle Stephen s’intéresse à l’asexualité, au scepticisme et à la pensée critique. En 2015, elle fonde La Communauté Asexuelle de Montréal, un regroupement voué à l’éducation populaire et médiatique sur l’asexualité. Isabelle Stephen est également magicienne et mentaliste. Elle est membre du prestigieux club de magie Society of American Magicians. Montréalaise depuis 2009, elle a étudié en communication à l’Université du Québec à Montréal et travaille en parallèle en postproduction vidéo et en photographie.

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On reconnaît enfin l’asexualité comme une orientation sexuelle à part entière. Comment définir l’asexualité – ou plutôt les asexualités?

L’asexualité est un spectre qu’on peut définir par l’état d’une personne qui ressent peu ou pas d’attirance sexuelle envers d’autres personnes. Il s’agit d’une orientation sexuelle à part entière.

« Les asexualités » sont les différentes orientations qu’on retrouve sous le spectre de l’asexualité. Parmi celles-ci, mentionnons :

  • Les personnes asexuelles : elles ne ressentent aucune attirance sexuelle envers qui que ce soit.
  • Les personnes gris-asexuelles : elles vont parfois ressentir une attirance sexuelle envers une autre personne, mais de manière très peu fréquente. Selon les gens, on parle d’une fois par 6 mois, une fois par année, une fois par 10 ans…
  • Les personnes demisexuelles : elles peuvent développer une attirance sexuelle envers une autre personne uniquement si un lien émotionnel fort les unit à celle-ci. L’attirance sexuelle ne va pas automatiquement se développer avec ce lien émotionnel.
  • Les personnes fray-sexuelles : elles vont ressentir une attirance sexuelle immédiate lorsqu’une personne leur plaît, mais l’attirance sexuelle s’effrite lorsqu’un lien émotionnel fort se développe.
  • Les personnes fictosexuelles : elles vont ressentir une attirance sexuelle exclusivement envers des personnages fictifs.

Est-ce qu’on peut conjuguer asexualité et plaisir sexuel?

Il est très important de comprendre qu’une absence d’attirance sexuelle ne veut pas nécessairement dire qu’une personne refuse ou n’aime pas avoir des rapports sexuels. C’est le cas pour certaines personnes asexuelles, qui voient la sexualité de façon négative. Mais pour beaucoup d’entre elles, la sexualité est neutre ou même positive.

Certaines ne ressentent pas d’attirance sexuelle envers d’autres, mais veulent tout de même avoir une vie sexuelle. Elles peuvent aimer le plaisir physique que procure un rapport sexuel. Le rapport sexuel peut être une activité intéressante pour elles.

Il y a aussi des personnes asexuelles qui ne veulent pas avoir de rapports sexuels avec d’autres, mais qui ont une très forte libido, qui ont des fantasmes. Elles peuvent par exemple consommer de la pornographie et vont s’occuper elles-mêmes de leur sexualité. Même si elles ne ressentent pas d’attirance sexuelle envers d’autres, elles ont quand même une vie sexuelle.

Les injonctions à une sexualité (hyper)active et les références au plaisir sexuel sont omniprésentes dans nos sociétés. Comment cette sexualisation des rapports humains est-elle vécue par les personnes asexuelles, les femmes en particulier?

C’est une question extrêmement intéressante, et à la fois très complexe. Les personnes asexuelles ne vivent pas toutes l’hypersexualisation de la même façon. Pour certaines, c’est quelque chose d’excessivement difficile à vivre. Elles vont sentir un malaise extrême face à chaque publicité, émission de télévision, film, conversation ou tout ce qui tourne autour de la sexualité.

D’autres vont sentir un malaise plus léger. Chez certaines, la notion de sexualité ne fait tellement pas partie de leur vie qu’elles le remarquent à peine lorsqu’il en est question. C’est du cas par cas.

Est-ce que les femmes asexuelles vivent l’hypersexualisation de notre société de façon différente que les hommes? C’est difficile à dire… Il y a encore très peu d’études sur le sujet de l’hypersexualisation et de l’asexualité.

Vous êtes la fondatrice de la Communauté Asexuelle de Montréal, un organisme qui travaille à la reconnaissance et au réseautage des personnes asexuelles. Est-ce une forme d’engagement féministe?

Oui, je considère que c’est une forme d’engagement féministe. C’est important de comprendre que l’asexualité, ce n’est pas « une affaire de filles ». Il y a plus de femmes que d’hommes qui participent à nos activités et qui s’affichent comme asexuelles. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui sont sous le spectre de l’asexualité.

Je reçois beaucoup de messages d’hommes qui se confient sur leur asexualité, qui ont le besoin d’en parler, mais qui refusent catégoriquement de s’afficher comme asexuels. J’ai la certitude qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui sont sous ce spectre. C’est donc en combattant le mythe selon lequel l’asexualité concerne surtout les femmes que j’affirme mon engagement féministe.

Quelle personnalité féministe vous inspire le plus?

Sans aucun doute Adelaide Herrmann. Cette artiste née à Londres a étudié la danse et les acrobaties aériennes. En 1875, elle a entamé une carrière en magie comme assistante de son époux, le magicien Alexander Herrmann. À la mort de son mari en 1896, Adelaide a poursuivi les spectacles de magie et entrepris une carrière solo qui durera 25 ans. Pour la première fois, une femme devenait une magicienne extrêmement connue qui attirait les foules partout à travers le monde.

Les médias la surnommaient « la Reine de la magie ». En 1899, Adelaide est interviewée par le magazine Broadway. Dans un article intitulé « L’unique femme magicienne au monde », elle affirme qu’elle sera contentée lorsqu’elle sera reconnue comme une chef de file de sa profession. Indépendamment du fait qu’elle soit une femme. Elle était décidément une grande féministe.

Aujourd’hui encore, les femmes sont sous-représentées dans les domaines de la magie et du mentalisme. Les stéréotypes sont très présents. Je participais récemment à Québec au Championnat du monde de magie de la Fédération internationale des sociétés magiques. J’ai eu droit à quelques commentaires qui m’ont secouée. Un homme m’a demandé quel magicien j’accompagnais. Il a semblé très surpris lorsque je lui ai dit que j’étais la magicienne… En apprenant que j’étais magicienne, un autre homme a supposé que je faisais du quick change, un changement rapide de vêtements. Les choses changent, mais elles changent lentement…