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Le plaisir n’a pas d’âge!

Mieux émanciper la vie sexuelle des aînées

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Temps estimé de lecture :5 minutes

C’est connu, la sexualité des femmes et le plaisir féminin font la une des magazines. Pourtant, lorsqu’elles ont passé un certain âge, les femmes aînées voient leur vie sexuelle éclipsée de l’espace public, invisibilisée de la sphère médiatique, comme si elle n’existait plus. Avec l’espérance de vie qui s’allonge, le recul de l’âge du veuvage, le changement de partenaires et l’accès aux outils de rencontre, les femmes continuent à vivre une sexualité active, même après 60 ans… et bien au-delà.

Les femmes de 60 ans et plus ont grandi avec une éducation parfois religieuse. Elles étaient aussi entourées de tabous et de non-dits autour de la sexualité. Même si le sujet est moins secret aujourd’hui, l’héritage d’une éducation puritaine demeure omniprésent malgré l’âge. Pourtant, une personne avec une vie sexuelle active poursuivra souvent dans cette veine même en vieillissant.

La sexualité ne meurt pas

Selon Stéphanie Vermette, coautrice de l’article Sexualité des personnes âgées résidant en CHSLD au Québec, entre négligence et reconnaissance, les femmes de plus de 60 ans ont une vie et une identité sexuelles. « Elles ont des désirs, qui peuvent changer avec l’âge, mais elles en ont. »

La spécialiste, qui a étudié le sujet et qui intervient comme conférencière dans de nombreux établissements à travers le Québec, raconte qu’on trouve dans la littérature des exemples de personnes de 90 ans et plus qui ont des relations sexuelles, même avec pénétration. « La sexualité ne meurt pas, une femme peut avoir une vie sexuelle toute sa vie. »

C’est également ce que pense Chloé Viau, 73 ans. Même si la croyance populaire suggère que la sexualité disparaît en vieillissant, ce n’est pas le cas pour Chloé! Selon elle, il faut tenir compte du changement du corps, mais aussi de la libido. « Tu peux vieillir et ne pas avoir de libido ou vieillir et avoir une grande libido. C’est la libido qui est intéressante dans tout ça. Que l’on soit avec un conjoint ou une conjointe. » Pour elle, le fantasme a une grande importance : « On a tendance à se culpabiliser d’avoir des fantasmes, alors qu’il en faut », ajoute-t-elle d’un air rieur.

Un apprentissage permanent

Mariane Gilbert, sexologue et vice-présidente de l’organisme Les 3 sex*

On ne peut pas le nier, il y a des changements physiques qui créent certains obstacles, comme le vieillissement de la peau et des parois vaginales. Ou encore la sécheresse vaginale, qui apparaît avec la ménopause. Pour Mariane Gilbert, sexologue et vice-présidente de l’organisme de lutte pour les droits sexuels Les 3 sex*, il faut déconstruire la sexualité en général, pour tout le monde. « La sexualité, c’est bien plus que la pénétration. Si on ne s’attarde qu’à l’érection et à l’assèchement vaginal, ça va être difficile de comprendre que la sexualité peut continuer d’exister après un certain âge », explique l’experte.

En effet, ce sont les changements physiques qui viennent d’abord à l’esprit quand on pense à la sexualité après 60 ans. Cependant, il y a plusieurs dimensions à considérer. La sexualité est biologique, psychologique, affective, cognitive, spirituelle, religieuse et socioculturelle. Autant de paramètres qui vont influencer le plaisir des femmes. Avec une espérance de vie de 84,3 ans, les Québécoises vont souvent vivre une sexualité évolutive et différente, notamment avec la rencontre d’un nouveau ou d’une nouvelle partenaire.

C’est le cas d’Édith Fournier. Veuve d’un premier mari, la dame de 79 ans a rencontré son partenaire actuel à l’âge de 63 ans. « C’est la reprise d’une vie complète, c’est un réveil de toutes les sensations qui, dans mon cas, avaient été mises à l’écart », explique-t-elle, des étoiles dans les yeux. Elle raconte que la vie célibataire, sans intimité, est normalisée. « Mes deux sœurs étaient veuves et semblaient bien le vivre, je me suis donc fait une raison. Avec mon nouveau partenaire, tout à coup, je vis l’espoir de me retrouver intégralement, sans être amputée d’une partie de moi-même. »

L’invisibilisation

Depuis 2015, Netflix diffuse la série à succès Grace and Frankie, avec les actrices Jane Fonda, 84 ans, et Lily Tomlin, 82 ans. On y suit le quotidien et les déboires de deux femmes indépendantes, autonomes, actives, qui ont aussi une vie sexuelle. Fait notable de cette production : les deux actrices ont le même âge que les personnages qu’elles incarnent dans la série.

Grace and Frankie reste une exception dans le paysage audiovisuel et culturel. Encore aujourd’hui, l’image des femmes âgées ayant une vie intime est rare dans les médias. Soit absentes, soit représentées par des femmes plus jeunes, les femmes aînées sont souvent le sujet de préoccupations médicales ou cliniques… lorsqu’on veut bien parler d’elles.

Mariane Gilbert, qui milite avec Les 3 sex* pour un traitement positif des enjeux liés à la sexualité, pense qu’il est essentiel d’avoir une représentation des femmes comme sujet sexuel. « Si tu ne vois pas de gens qui te ressemblent avoir du plaisir sexuel, tu vas être amenée à penser que ce n’est pas normal d’avoir encore du désir. » D’autant que la sexualité chez les aînées demeure entourée d’un certain tabou. « On ne voit pas de femmes âgées, alors encore moins des femmes âgées ayant une intimité… sans même parler de sexualité… Je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. »

Pourtant, apprendre à vivre avec son corps vieillissant, parfois malade, accepter de le dévoiler à une autre personne ou s’autoriser à ce qu’il soit un moyen de plaisir, fait partie de la réalité des femmes, quel que soit leur âge.

Chloé Viau, de son côté, se demande si elle est comme tout le monde. Parce qu’elle trouve ça beau, elle, des seins qui tombent. « On voit parfois dans les médias des femmes dans la soixantaine et qui ont des seins qui se tiennent, ce n’est pas vrai, ça. Je le vois tout de suite. J’accepte ma peau qui plisse et mes seins qui ne sont pas parfaits. À 73 ans, je me trouve belle! »