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Des sciences et des roses

Des critères d’excellence pensés par et pour les hommes?

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Depuis quelques années, un véritable engouement se manifeste en faveur des étudiantes en sciences et en génie. Je pense notamment à l’initiative « 30 en 30 » d’Ingénieurs Canada, dont l’objectif est d’atteindre d’ici 2030 une proportion de 30 % de femmes parmi les ingénieur·e·s nouvellement admis·es dans la profession. L’Ordre des ingénieurs du Québec a d’ailleurs emboîté le pas en lançant un programme de mentorat pour accompagner les étudiant·e·s au baccalauréat. Des universités mettent les bouchées doubles pour le recrutement d’étudiantes au sein des facultés. La fabuleuse campagne « 40 femmes/40 semaines » de mon université, Polytechnique Montréal, me réjouit particulièrement. Cette série de capsules vidéo mettant en vedette des professeures et des maîtres d’enseignement rend hommage aux multiples possibilités qu’offre un parcours en génie. Chapeau!

Les efforts des universités, conjointement avec ceux des organismes encadrant les disciplines des sciences et du génie, sont en phase avec le premier cycle universitaire. Ainsi, je garde de très bons souvenirs de mon baccalauréat, où je me sentais évoluer dans un environnement favorable à la poursuite de ma formation d’ingénieure. Cela dit, du travail reste à faire. Souvent, j’ai dû lutter pour que mon rôle, dans les travaux d’équipe, ne se restreigne pas à celui d’une rédactrice et correctrice, et que l’on reconnaisse mes compétences et capacités techniques. Malgré l’ouverture et l’écoute d’une majorité de collègues, les biais inconscients pouvaient surpasser leur bonne volonté.

J’apporte ici une nuance : je suis consciente d’être une femme blanche cis venant d’un milieu favorisé. Mon expérience ne reflète pas celle de toutes. En effet, les statistiques de recrutement éclipsent souvent la réalité des femmes issues de minorités visibles (en anglais BIPOC : Black, Indigenous and People of Color), qui sont encore plus sous-représentées.

Or, qu’en est-il de la réalité aux cycles supérieurs? Quels efforts les universités font-elles à cet égard?

D’après le rapport Inscriptions des femmes en sciences et en génie au collégial et à l’université au Québec entre 2005 et 2019 de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie du Québec, il y aurait une progression du nombre d’inscriptions d’étudiantes aux trois cycles en génie et en sciences pures et appliquées. De mon point de vue, les réalités ne sont pas comparables entre le baccalauréat et ce que j’observe à la maîtrise et au doctorat. Mes souvenirs du baccalauréat riment avec de nombreux travaux d’équipe et une grande solidarité entre les étudiant·e·s de mon programme. L’exigence de nos études favorisait la cohésion, l’entraide et l’esprit de groupe, tous des éléments en faveur de la rétention des étudiantes dans leur faculté de sciences et de génie, puis dans leur profession.

Les études supérieures, quant à elles, sont davantage reconnues comme étant un travail solitaire et de longue haleine. Les attentes diffèrent de celles au baccalauréat : l’environnement compétitif, la pression de publier, les bourses et les subventions s’appuient sur des critères d’excellence créés généralement par les hommes et pour les hommes.

La composition des corps professoraux en sciences et en génie demeure majoritairement masculine. Le milieu peut donc devenir rapidement aride pour toute personne qui ne cadre pas avec cet univers. Par ailleurs, d’après le rapport du projet SAGA-UNESCO au Québec publié en 2018, les mesures en place pour attirer les étudiantes sont focalisées sur le premier cycle, ce qui laisse croire que l’accent n’est pas mis sur leur rétention à tous les niveaux. Les études spécifiques sur la rétention des étudiantes aux deuxième et troisième cycles en sciences et en génie au Québec seraient rares, voire inexistantes.

Les attentes aux études supérieures diffèrent de celles au baccalauréat : l’environnement compétitif, la pression de publier, les bourses et les subventions s’appuient sur des critères d’excellence créés généralement par les hommes et pour les hommes.

C’est inquiétant : les cycles supérieurs sont reconnus pour être particulièrement difficiles. Je ne serais pas étonnée que ce phénomène soit exacerbé pour les étudiantes dans les milieux majoritairement masculins. Cette impression reflète mon expérience. Les microagressions vécues au quotidien et le sentiment d’être étrangère dans ce milieu homogène s’ajoutent aux responsabilités qui découlent de mon projet de recherche. Je deviens rapidement éreintée. Pourtant, j’ai la chance d’évoluer dans un laboratoire où l’entraide est mise de l’avant, d’avoir une équipe de direction qui veille à ne pas infliger de pression pour publier et de bénéficier d’une situation financière favorable.

Heureusement, on peut observer ici et là des efforts pour changer la donne. Des postes de conseiller·ère·s en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) sont créés dans des universités. Reste à voir comment les enjeux des cycles supérieurs seront intégrés à leur mandat. En février dernier, j’assistais à une conférence internationale dans mon domaine. J’ai pu constater plusieurs initiatives : possibilité d’ajouter nos pronoms aux cocardes, matériel promotionnel mettant en vedette des figures féminines et ateliers sur la diversité.

J’en garde malgré tout un goût un peu amer : ce sont les personnes – majoritairement des femmes – déjà sensibilisées aux enjeux d’EDI qui participaient à ces activités. Force est de constater que la charge mentale en vue de promouvoir un milieu inclusif retombe encore sur celles se trouvant en position minoritaire.

Alors que les efforts semblent porter fruit au premier cycle, se pourrait-il que les études supérieures demeurent plus opaques? Que la responsabilité de rendre le milieu inclusif repose sur de bonnes volontés individuelles, plutôt que sur des mesures à grande échelle? Un meilleur recrutement diversifie certainement les groupes de recherche. Conscientiser les étudiant·e·s et, ultimement, former des allié·e·s, contribue aussi à ôter le poids des épaules de celles qui cherchent à faire leur place.

Mais comment traduire l’engouement à l’égard des femmes en sciences et en génie en réelle effervescence? Les universités et les grands organismes ont également un rôle crucial à jouer pour rendre les cycles supérieurs plus accueillants. Autrement, de futures scientifiques continueront de glisser entre nos mains.

Édith Ducharme est étudiante à la maîtrise en génie physique à Polytechnique Montréal. Ses travaux portent sur le développement d’un système optique d’image médicale et de thérapie laser, dont l’efficacité d’ablation constituerait une révolution majeure dans le domaine de la chirurgie médicale. Récipiendaire de l’Ordre de la rose blanche 2019, elle se passionne depuis le début de ses études universitaires pour les enjeux en lien avec la place et la représentation des femmes en sciences et en génie.