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L’égalité vue par Édith Bernier

Il faut reconnaître que la grossophobie a, depuis toujours et encore aujourd’hui, beaucoup plus d’impact sur la vie des femmes que sur celle des hommes.

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Patrick Lemay

Édith Bernier est autrice, conférencière et consultante. Bachelière en journalisme, elle est spécialisée dans la lutte contre la grossophobie et dans l’inclusion des personnes grosses. Après s’être consacrée au blogue La Backpackeuse taille plus pendant plus de six ans, elle a fondé en août 2019 le site d’information et de référence Grossophobie.ca. Depuis 2019, elle présente des conférences sur la grossophobie, l’acceptation et l’inclusion des personnes grosses, notamment dans les écoles et en milieu de travail. Son second livre, Grosse, et puis? Connaître et combattre la grossophobie, a été publié septembre 2020. Discours réjouissant d’une femme engagée!

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Quelles sont les femmes de votre vie? Pour quelles raisons?

Ma mère. Elle ne m’a jamais laissée me déprécier. Elle ne m’a jamais laissée croire que je valais moins que quelqu’un d’autre quand j’en doutais. Elle a fait des sacrifices que son époque lui imposait, mais ne m’a jamais rebattu les oreilles avec ça. Plutôt que d’être amère de ne pas avoir eu ces possibilités-là, ma mère se réjouit que je n’aie pas à faire certains de ces sacrifices-là, aujourd’hui.

Sinon, j’ai la chance d’avoir connu, au cours des années, plusieurs femmes grosses faisant preuve de ténacité, mais aussi de douceur malgré la haine qu’elles subissent. Ces femmes sont des exemples de courage et d’inspiration. Notamment dans la lutte contre la grossophobie. Des femmes qui portent des histoires et des vies chargées, mais qui gardent la tête haute, même si beaucoup croient qu’elles ont tort d’être fières, simplement à cause de leur taille.

Les alliées non concernées qui sont actives dans la lutte contre la grossophobie sont aussi de plus en plus présentes dans ma vie. Je crois que leurs voix sont vraiment importantes. Aux yeux de beaucoup, elles sont la validation que les récriminations des femmes grosses ne sont pas du caprice ou du chichi. En théorie, on ne devrait jamais avoir à passer par des personnes non concernées pour obtenir l’assentiment du grand public sur la validité de la lutte contre la grossophobie. Mais dans les faits, c’est encore nécessaire. Et les alliées non concernées ont un rôle clé dans ce processus.

Le combat de femme que vous aimeriez ou que vous menez?

Depuis 2013, mon combat, c’est celui contre la grossophobie. C’est par le voyage que j’ai réalisé et mis en lumière l’ampleur du phénomène. À quel point c’était systémique. J’étais pas mal plus timide au début. Le terme « grossophobie » était marginal, pour ne pas dire inutilisé, dans ce temps-là!

En 2017, j’ai eu un déclic. J’ai lu un article qui a créé un tel sentiment d’urgence d’agir, de dénoncer et de riposter à toute cette discrimination et à l’hostilité envers les personnes grosses. Je suis consciente que ce n’est pas un combat strictement féministe. Mais il faut reconnaître que la grossophobie a, depuis toujours et encore aujourd’hui, beaucoup plus d’impact sur la vie des femmes que sur celle des hommes.

L’égalité entre les femmes et les hommes sera atteinte quand…

La peur de croiser une personne dans une rue sombre la nuit ne sera pas basée sur le genre de la personne. Quand la jeune ado de mon amie n’aura pas besoin d’avoir un cellulaire à un plus jeune âge que son grand frère parce qu’elle est plus à risque, si elle circule seule. Quand mon amie n’aura pas non plus à lui montrer comment tenter de se sortir d’une agression, alors que ça n’a jamais été nécessaire pour son grand frère, encore une fois.

Quel film, livre ou série à saveur féministe vous a particulièrement touchée?

La servante écarlate. Je me suis rarement autant inquiétée de la fragilité des acquis en matière de droits des femmes qu’en regardant cette série. Avec, en parallèle, la montée du trumpisme et, chez nos voisins du Sud, les menaces régulières des droits des femmes sur leur propre corps, j’ai réalisé à quel point les droits des femmes les plus basiques deviennent rapidement les premiers à être remis en question…

Les médias sociaux : sont-ils utiles pour faire bouger les choses en matière d’égalité? En quoi?

À mes yeux, assurément. Ces réseaux ont une capacité de créer des liens et des rapprochements entre les personnes qui partagent des valeurs, des batailles, des aspirations communes. Les voix sont réunies et amplifiées – pour le meilleur… ou le pire, faut le dire – avec les Facebook, Instagram et compagnie. Sans les médias sociaux, la pédagogie et la vulgarisation sur les enjeux liés à la grossophobie n’auraient jamais la même portée.

À l’opposé, cela vient parfois aussi fractionner les luttes. Diviser des fronts qui étaient plus unis avant. Parce qu’on constate à quel point les privilèges et oppressions des unes ne sont pas les mêmes que ceux des autres. Je crois qu’à ce jour, ç’a contribué à des quêtes d’égalité intersectionnelles, plus inclusives. Mais on n’a pas encore atteint le niveau d’intersectionnalité auquel beaucoup de personnes aspirent. Il y a encore plusieurs organisations féministes (ici et ailleurs) qui sont grossophobes, racistes ou encore qui rejettent les femmes trans ou travailleuses du sexe dans leurs rangs.