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Une vie de combat

Rencontre avec la militante iranienne Shaparak Shajarizadeh et la journaliste Rima Elkouri

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo principale : Shaparak Shajarizadeh (© DR)

Essai percutant et nécessaire, La liberté n’est pas un crime est né de la rencontre entre la militante iranienne Shaparak Shajarizadeh et la journaliste Rima Elkouri. Entrevue croisée.

Dans son édition du 6 décembre 2018, La Presse+ publiait une chronique de la journaliste Rima Elkouri, qui relate l’histoire poignante de Shaparak Shajarizadeh. Cette Iranienne avait entrepris un combat contre l’obligation de porter le voile dans son pays natal, une lutte qui l’a menée à devoir fuir l’Iran. Dans son texte, la journaliste évoque le courage de la militante, qui pourfendait ouvertement l’un des fléaux du patriarcat : l’intégrisme religieux.

Raconter l’innommable

Courtoisie Interforum Canada

Touchée par cette chronique, une éditrice française a contacté Rima Elkouri pour l’inviter à écrire un livre sur la vie de Shaparak Shajarizadeh. C’est aujourd’hui chose faite et le récit a été publié en février dernier, aux éditions Plon. « Quand Rima m’a interviewée en décembre 2018, raconte Shaparak Shajarizadeh, je venais d’atterrir à Montréal. J’étais extrêmement émotive et troublée par tout ce qui m’était arrivé en si peu de temps. »

Depuis son plus jeune âge, Shaparak Shajarizadeh s’oppose haut et fort aux diktats de la religion qui sévissent en Iran. Si les Iraniennes ont connu une liberté de mouvement et de pensée dans le passé, la révolution islamique a ouvert la voie de l’obscurantisme qui, quel que soit le pays où règne cette noirceur, plonge les femmes dans un abîme d’interdictions et de honte. Dans La Liberté n’est pas un crime, Rima Elkouri relate ces épisodes au cours desquels la jeune Shaparak conteste activement les injonctions faites aux femmes jusqu’à son départ de l’Iran.

Le fardeau de la violence

Dans le régime autoritaire qui a cours dans ce pays, ses revendications l’auront menée en prison, assignée au silence et à la torture. Les traumatismes et les menaces se sont accumulés, sa vie était en danger. C’est dans un état d’urgence qu’elle gagne le Canada en 2018. Elle rencontre alors Rima Elkouri, qui l’interviewe une première fois au sujet de son combat et de sa situation. « Je savais que tout ce qu’elle racontait était douloureux, explique la journaliste. Shaparak était seule, n’avait pas de soins, donc quand je lui posais des questions et que j’allais dans les détails, je la replongeais, malgré moi, dans cette violence qu’elle a vécue. » Rima Elkouri s’est sentie responsable. « Je ne pouvais pas juste me dire : “Bon OK, j’ai fait mon entrevue, ça y est, j’ai mon matériel.” Non, je voulais être là pour elle. »

La voix d’une femme ordinaire

En entrevue au magazine Gazette des femmes, Shaparak Shajarizadeh raconte son parcours et ses épreuves avec verve. L’indignation qu’elle ressent est palpable. On retrouve cette émotion intacte dans le récit de Rima Elkouri. « On fait généralement le portrait de femmes du Moyen-Orient comme des personnes dociles et soumises, mais elles sont pourtant nombreuses à défendre leurs droits, affirme la journaliste. Il faut qu’on prenne conscience de leur combat. Je voulais montrer aussi l’histoire d’une femme en apparence “ordinaire” qui a décidé de faire changer les choses pour elle et ses concitoyennes. »

Retentissement des « mercredis blancs »

« Changer les choses, c’est ce que j’ai voulu faire en participant à la campagne des #WhiteWednesdays », renchérit Shaparak Shajarizadeh. Cette campagne des « mercredis blancs » consiste notamment pour les Iraniennes à afficher un foulard blanc au bout d’un bâton, tout en découvrant leurs cheveux, pour exprimer leur résistance au port obligatoire du voile. Puis, à se prendre en photo et à la faire circuler sur les réseaux sociaux. « Le soutien qu’ont eu les Iraniennes à travers cette campagne a eu beaucoup de retentissement, et les féministes du monde entier ont eu connaissance de notre situation et se sont manifestées. »

Soutien nuisible

Elle est néanmoins très critique à l’endroit de politiciennes occidentales qui portent le hijab lorsqu’elles vont visiter des communautés musulmanes, soi-disant en signe de respect. « D’abord, ces politiciennes ne le portent que quelques minutes. Qu’est-ce qu’elles savent de la vie des femmes obligées de le porter? Je trouve cette instrumentalisation du voile très insultante. On nous fait croire que c’est de la solidarité, mais c’est une mauvaise manière de nous soutenir. Il faut comprendre que le hijab est un symbole de ségrégation et de sexisme. »

Voir au-delà du voile

« Chaque fois qu’on parle du voile ici au Québec ou en France, par exemple, il faut faire la différence entre le voile et les femmes qui le portent, observe Rima Elkouri. Trop souvent, nous mélangeons les deux et le débat devient un prétexte pour déverser sa haine sur les femmes musulmanes. » Toutefois, la journaliste soulève un élément crucial. « On aurait tort de réduire tout ce débat au port du hijab. Comme le souligne Shaparak dans le livre, le voile obligatoire en Iran n’est que la partie visible de la répression. Le pire, c’est tout ce qu’on ne voit pas. Il ne faudrait pas l’oublier. »

Aujourd’hui âgée de 45 ans, c’est petite fille que Shaparak Shajarizadeh dit avoir ressenti la honte d’être une femme. « J’avais six ans lorsqu’on m’a imposé le voile. Cela faisait partie de l’uniforme scolaire. C’était non négociable. » Jeune femme, elle rencontre un amoureux plus conservateur encore que ses parents et qui lui dicte sa conduite. Elle n’hésite pas à désobéir. De confrontation en affrontement avec les policiers, la famille, les hommes qui croisent son chemin, elle renforce son idéal de liberté. Elle se nourrit des récits sur les suffragettes anglaises, mais aussi des parcours de modèles qui l’inspirent : la juge iranienne et prix Nobel de la paix Shirin Ebadi (première femme musulmane à recevoir ce prix), l’avocate Nasrin Sotoudeh qui l’a représentée en cour (et elle-même tout récemment incarcérée) et Masih Alinejad, fondatrice des mouvements #MyStealthyFreedom et #WhiteWednesdays. Shaparak Shajarizadeh est arrêtée puis envoyée en prison, où elle trouve l’aplomb de débattre avec certains magistrats de leur vision des femmes.

Le récit déroule la chronologie des événements qui ont marqué le parcours de la militante, raconte son quotidien envahi par les menaces et décrit les répercussions de sa situation sur sa vie personnelle et familiale. À travers ces scènes bouleversantes, le livre présente brillamment ses arguments et ses idées, rendant hommage à son courage.

La liberté n’est pas un crime. Éditions Plon, 2020, 299 pages.