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Louise Riendeau : trois décennies d’engagement pour l’intégrité des femmes

« Au-delà des discours, il faut se donner les moyens. Qu’on donne à ces femmes le temps de raconter leur histoire. »

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Travailler pour que les femmes puissent être libres, vivre une vie heureuse, harmonieuse : cet ultime idéal à atteindre l’a motivée dès les premiers jours. Et c’est ce même leitmotiv qui la guide encore aujourd’hui. Entrevue avec Louise Riendeau, diplômée en criminologie et coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Avec 47 maisons membres implantées à la grandeur du Québec, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale constitue un vaste réseau qui, depuis 1979, défend activement le droit à l’intégrité physique et psychologique des femmes. Femme engagée et infatigable militante, Louise Riendeau y œuvre depuis 31 ans.

« Quand j’ai commencé à travailler en maison d’hébergement, j’avais la vingtaine. J’étais libre, je sortais avec mes ami·e·s, j’utilisais mon argent comme ça me plaisait. Et devant moi, des femmes de mon âge, avec deux ou trois enfants, vivaient une misère émotive parce que leur conjoint était violent, contrôlant. Ça m’a profondément marquée. J’ai vu dans mon entourage des femmes sous le joug de leur conjoint, mais j’ai aussi été confrontée à des femmes qui auraient pu être moi. »

Mieux former pour mieux aider

Tous les efforts qui ont été faits, toutes les luttes qui ont été conduites pour contrer la violence faite aux femmes, les mouvements féministes y ont grandement contribué. « Si les groupes de femmes n’avaient pas été là, si des femmes de divers horizons n’avaient pas milité pour atteindre l’égalité, pour éliminer la violence, les mesures qui ont été mises en place jusqu’à maintenant n’existeraient pas. »

Or, même si elle est capable de mesurer le progrès, il importe de rappeler que chaque pas en avant aura été le fruit d’une longue bataille. Et malgré tous les efforts de femmes inspirantes et déterminées comme Louise Riendeau, et ceux des organismes communautaires et des victimes qui ont pris la parole, un énorme travail de sensibilisation reste à faire chez celles et ceux qui doivent juger cette violence.

D’ailleurs, si elle était invitée dans une classe de futur·e·s juristes, qu’aurait-elle envie de leur dire? Celle qui a étudié en criminologie le sait : la violence conjugale est peu abordée dans les salles de cours, même encore aujourd’hui. « Retenez que la violence conjugale est plus complexe que la violence physique. Elle peut se manifester de multiples façons qui, prises isolément, peuvent sembler anodines… Mais quand on revoit le film de la vie de ces femmes, on en comprend l’impact », plaide-t-elle.

Encore faut-il les écouter. Elle aimerait aussi convaincre la magistrature que la fin de l’union ne met pas fin à la violence. À celles et ceux qui disent qu’elles n’ont qu’à partir, elle rappelle que le moment de la séparation est souvent le plus dangereux. « Il faut accompagner les femmes dans cette rupture. Quand le conjoint est contrôlant, quand il refuse la rupture, c’est un cocktail très dangereux. »

Repenser le système, outiller la justice

« Si on forme tout le monde, à partir des policiers jusqu’aux juges, on va finir par faire comprendre ce qu’est la violence conjugale et offrir un meilleur soutien, une meilleure protection à toutes ces femmes qui, pendant leur union ou longtemps après, continuent de vivre avec le contrôle. »

Selon la militante, malgré des avancées notoires dans plusieurs domaines, certain·e·s intervenant·e·s, dont des juges, ne semblent toujours pas saisir la gravité de la violence conjugale, particulièrement en droit de la famille. Elle sent encore de la résistance en ce qui a trait à leur compréhension du phénomène de la violence conjugale.

« Si les groupes de femmes n’avaient pas été là, si des femmes de divers horizons n’avaient pas milité pour atteindre l’égalité, pour éliminer la violence, les mesures qui ont été mises en place jusqu’à maintenant n’existeraient pas. »

– Louise Riendeau

« De nombreuses recherches ont montré l’impact de la violence sur les enfants, et que la violence persistait après l’union, mais des juges continuent de dire : “ce n’est peut-être pas le bon conjoint, mais c’est un bon père, il a le droit de voir les enfants”. Parfois, on regarde davantage le droit du père que le droit des enfants. Pourtant, ces enfants-là [et leur mère] ont le droit de vivre dans un environnement sécuritaire. »

Le monde du droit, très codifié, est-il moins agile pour apporter des changements? L’indépendance des juges les isole-t-elle du besoin de formation? Est-on moins perméable aux différentes avancées sur la question? Louise Riendeau souhaite une meilleure reconnaissance de ce qu’est la violence faite aux femmes et de ses impacts.

« Ce que je voudrais le plus, c’est que la volonté politique qui est verbalisée se traduise par des gestes concrets. Au-delà des discours, il faut se donner les moyens. Qu’on donne à ces femmes le temps de raconter leur histoire », insiste-t-elle.

Une notion cruciale : le contrôle coercitif

Aux policier·ère·s, aux avocat·e·s ou à la magistrature, ces mots ne devraient laisser personne indifférent : « S’il m’avait frappé, là, vous pourriez faire quelque chose pour moi. » Pourtant, cette horrible phrase, Louise Riendeau l’a entendue trop souvent. Les contours de la violence physique sont beaucoup moins flous que ceux du contrôle coercitif, associé davantage à une violence psychologique. Et les femmes qui en sont victimes, en plus de voir leur situation parfois banalisée, n’ont pas toujours droit à l’aide nécessaire.

« On milite pour la création d’une nouvelle infraction de contrôle coercitif, comme c’est le cas en Angleterre, en Écosse, en Australie et dans certains États américains… Depuis deux ans, on travaille à former des acteurs judiciaires, à faire connaître le concept de contrôle coercitif. Auprès des femmes aussi, pour qu’elles puissent nommer ce qu’elles vivent quand elles rencontrent un policier ou un avocat. »

Louise Riendeau rappelle qu’une femme qui vit de la violence est une femme en danger. Elle cite une étude menée aux États-Unis dans laquelle on a revu plusieurs situations d’homicides conjugaux. « On constatait que dans environ 30 % des cas, il n’y avait jamais eu de violence physique [avant l’homicide]. Puis, une autre étude faite en Angleterre par un criminologue et ancien policier démontrait que dans plus de 90 % des situations d’homicide conjugal, il y a eu du contrôle coercitif. »

Cette manifestation silencieuse de violence, qui peine à être reconnue, est pourtant un prédicteur tristement fiable de létalité.

Tant qu’il y aura des victimes, ne serait-ce qu’une seule, le combat que mène Louise Riendeau ne sera pas terminé, un combat auquel personne ne peut se soustraire. « Notre société ne doit pas tolérer que des femmes et des enfants voient leur liberté, leur sécurité, voire leur vie emportées par la violence conjugale. »

Et qu’on se le dise, la violence conjugale ne se règle pas autour d’un café.

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N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région, SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle, L’R des centres de femmes du Québec ou notre Répertoire d’outils en violence conjugale. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

12 jours d'action contre les violences faites aux femmes 2023/