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La violence économique : miser sur la littératie financière

Un tabou invisible

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Temps estimé de lecture :5 minutes

La violence économique est considérée comme lune des formes de violence les plus invisibles et méconnues au pays. Pour la prévenir, des actrices de changement saffairent à abattre les tabous entourant le rapport des femmes à largent et surtout, à accroître la littératie financière dans la société.

Suzanne a du succès dans sa carrière. Mais lorsqu’elle veut faire la moindre dépense personnelle, elle doit demander l’autorisation de son mari, Jean. Elle ignore ce qu’ils possèdent conjointement. Lorsqu’elle lui annonce qu’elle le quitte, Jean vide leur compte conjoint. Après avoir cherché de l’aide dans un centre de femmes, Suzanne gère maintenant ses finances et fait des voyages. Cette histoire vraie, racontée sur le site d’Option consommateurs, décrit l’une des formes de violence les plus méconnues du grand public : la violence économique.

Anath Barwane, chargée de pro-jets et formatrice à l’ACEF de l’Est de Montréal

« La violence économique et financière, c’est une prise de contrôle, un acte d’isolement ou de domination d’une personne, en la privant de son autonomie financière », définit Anath Barwane, chargée de projets et formatrice en éducation financière à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’Est de Montréal.

Si les victimes sont majoritairement des femmes, ce type de violence peut aussi toucher les hommes et les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. La violence économique peut prendre différentes formes. Par exemple, une personne peut contrôler les dépenses ou les revenus d’une autre, utiliser son argent liquide ou sa carte de crédit sans son consentement, contracter des dettes en son nom, voler son identité ou son argent.

« J’ai l’impression que c’est vraiment caché et répandu », calcule Anath Barwane. Cette dernière anime des cafés-causeries et des conférences sur la violence économique et l’autonomie financière des femmes, en partenariat avec une dizaine d’organismes et Emploi et Développement social Canada. À chaque événement de sensibilisation, elle dit écouter des témoignages de femmes ayant vécu ce type de violence ou qui connaissent quelqu’un l’ayant subi. « Cette violence n’est tellement pas reconnue que les gens ont tendance à la banaliser », note la chargée de projets. Selon elle, les tabous entourant le rapport des femmes à l’argent constituent un obstacle de taille pour résoudre ce problème.

Les femmes et l’argent, un tabou

Lise Courteau, présidente de l’Afeas et membre du Conseil

Dans ses ateliers, Anath Barwane demande parfois aux femmes de choisir un animal ou un mot qui leur fait penser à l’argent. Les mots obtenus sont souvent « durs et négatifs », déplore-t-elle. « C’est comme si les femmes n’ont pas le droit de prendre soin de leurs finances, c’est mal vu. Les hommes ont le droit d’être ambitieux. On en est encore à se demander pourquoi les femmes veulent plus, comme si elles voulaient prouver quelque chose et qu’elles n’étaient pas à leur place. Alors que le désir de chaque personne de réussir, ça n’a aucun rapport avec le genre! »

« C’est encore assez tabou, les femmes et l’argent », renchérit Lise Courteau, présidente de l’Association féministe d’éducation et d’action sociale (Afeas) et membre du Conseil du statut de la femme. Cette dernière constate que ce tabou est particulièrement fort chez les membres plus âgées de l’Afeas, dont l’éducation sur les rôles genrés était très différente. « Beaucoup de femmes ne savent même pas qu’elles exécutent du travail; ça fait partie d’un “devoir”. Elles vont se dire : “je ne veux rien savoir des chiffres”, “je le fais par amour”. »

Lise Courteau énumère des formes de travail invisible et des réalités qui incombent souvent aux femmes et qui peuvent nuire à leur autonomie financière : tâches domestiques et charge mentale, proche aidance, éducation des enfants, congés de maternité, stages rarement rémunérés, revenus souvent plus faibles dans une majorité de disciplines traditionnellement féminines, taxe rose payée sur les produits d’hygiène féminine, différences salariales, cotisations plus faibles à la retraite…

« Si je suis en couple, je ne dois pas nécessairement payer 50 % des dépenses, c’est de l’égalité, mais pas de l’équité, illustre Lise Courteau sur le travail d’éducation à faire. On sensibilise nos membres à ça, pour qu’elles soient autonomes financièrement. L’une des solutions, c’est l’éducation dès le plus jeune âge, il faut habiliter nos jeunes à faire un budget et à gérer de l’argent. »

Le budget est également l’un des moyens préconisés par Anath Barwane pour éviter les inégalités au sein d’un couple. « Un budget familial ou un budget de couple, c’est la solution clé, estime-t-elle. La finalité de ça, c’est pour concrétiser vos projets. S’il y avait une manière d’aborder le budget, c’est de parler de vos rêves, de vos projets. Comment allez-vous réussir à atteindre vos objectifs? Avec quelles ressources financières? »

L’autonomisation financière, un moyen de s’émanciper

Iris Almeida-Côté présidente et cheffe de la direction d’Innova Connect et membre du Conseil

Les droits économiques des Québécoises ont énormément progressé au cours des dernières décennies, récapitule Iris Almeida-Côté, à la tête d’Innova Connect, une entreprise qui offre un accompagnement en leadership, développement d’affaires et gestion du risque. Active dans différentes organisations, elle est également membre du Conseil du statut de la femme.

« Lise Watier expliquait qu’elle ne pouvait même pas avoir un emprunt de la banque. Maintenant, elle a une grosse société! » illustre Iris Almeida-Côté, en rappelant qu’avant la Seconde Guerre mondiale, les femmes quittaient leur emploi après leur mariage. Si les avancées sont énormes, cette dernière considère qu’il faut multiplier les efforts pour améliorer la littératie financière des filles et des femmes, c’est-à-dire l’acquisition des connaissances nécessaires pour prendre des décisions éclairées pour la gestion de leurs finances et « briser le silence » sur cette question.

« L’argent est le nerf de la guerre, c’est une valve qui donne un certain niveau de confiance, des perspectives d’avancement, un contrôle sur ton cheminement professionnel! Les ressources financières peuvent nous donner des moyens pour avancer. [L’éducation économique] doit commencer dans les écoles, les collèges, les universités, opine Iris Almeida-Côté. Le droit économique est important pour la confiance, l’équité et l’indépendance des femmes! »

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N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région, SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle, L’R des centres de femmes du Québec ou notre Répertoire d’outils en violence conjugale. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

12 jours d'action contre les violences faites aux femmes 2023/