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Dans l’angle mort des violences : les communautés LGBTQ+

Mieux comprendre pour mieux protéger

Date de publication :

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Sara Rampazzo (unsplash.com)

Si la violence affecte toutes les couches sociales, les membres de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres y sont particulièrement vulnérables. Au Canada, 59 % des personnes LGBTQ+ ont subi une agression physique ou sexuelle au moins une fois, selon les données de Statistique Canada de 2018. Chez les personnes hétérosexuelles, cette proportion baisse à 37 %. Pour que nous puissions mieux comprendre et soutenir les survivant·e·s, une analyse féministe intersectionnelle du phénomène de la violence s’impose.

Microagressions, homophobie ou transphobie, les personnes de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres vivent ces violences dans l’ombre. Lorsqu’elles sont physiquement agressées, seulement 19 % d’entre elles ont recours à la police, comparativement à 30 % pour les personnes hétérosexuelles, selon Statistique Canada.

Un accès limité ou inadapté aux services d’aide

Bien qu’elles soient statistiquement plus exposées aux violences, les personnes LGBTQ+ ont un accès limité à des services adaptés à leur réalité et sont nombreuses à signaler des violences supplémentaires lorsqu’elles recherchent de l’aide.

La campagne Milieux inclusifs de l’Alliance Arc-en-ciel a notamment mis en lumière certains faits troublants : une femme trans exclue d’un refuge destiné aux femmes cisgenres; une personne non binaire qui ne trouve que des services pour personnes binaires; ou encore un couple lesbien vivant de la violence conjugale et que le personnel d’aide ne croit pas, sous prétexte que « la violence conjugale, ça ne se passe pas dans les couples homosexuels… ».

Selon une recherche de Trans PULSE effectuée auprès de personnes non binaires sans abri ou qui habitent un logement précaire, près de 17 % des répondant·e·s auraient évité de recourir à une ressource d’hébergement, par peur d’y être mal reçu·e·s.

Les personnes LGBTQ+ ont un accès limité à des services adaptés à leur réalité et sont nombreuses à signaler des violences supplémentaires lorsqu’elles recherchent de l’aide.

Cette peur peut prendre racine dans l’absence totale de services, mais aussi dans des pratiques mal adaptées. Des exemples? Un·e intervenant·e qui mégenre quelqu’un qui demande de l’aide – qui lui attribue un genre différent de celui qui correspond à son identité. Ou encore qui deadname cet individu – qui utilise le prénom affiché sur les pièces d’identité plutôt que le prénom d’usage.

D’autres fois, des gens non binaires ne sont simplement pas les bienvenus dans des services pour hommes ou pour femmes. « L’offre de services binaires laisse certaines populations dans les craques », constate Noah Benoit, en poste à la coordination de la transformation et l’implication sociale au CALACS de l’Ouest-de-l’Île.

Ces pratiques sont autant de microagressions qui peuvent nuire au sentiment de sécurité, analyse Noah Benoit.

« Beaucoup ne croient plus au système, car ce système censé les protéger et les aider ajoute parfois une couche de violences, ou les rejette carrément », constate Aeme, qui travaille en intervention psychosociale au CALACS de l’Ouest-de-l’Île. « Ça crée de l’isolement et du découragement chez les communautés. »

Invisibilité et hétérocisnormativité

Valérie Roy, professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

Les violences dans les relations intimes ou amoureuses sont une réalité particulièrement préoccupante. Selon l’Enquête sociale générale de 2014 menée au Canada, les personnes homosexuelles et bisexuelles sont deux fois plus susceptibles que les personnes hétérosexuelles d’être victimes de violence conjugale.

Valérie Roy, professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, a travaillé sur des projets de recherche sur les violences conjugales au sein des couples gais. Bien que ces populations ne soient pas à l’abri des grandes formes de violences (physiques, psychologiques, économiques, etc.), les recherches tendent à démontrer qu’à celles-ci s’ajoutent des manifestations de violences spécifiques, pouvant notamment être liées à l’identité sexuelle ou de genre.

On peut penser par exemple à l’instrumentalisation ou au contrôle de l’orientation sexuelle, particulièrement chez les personnes pansexuelles ou bisexuelles, ou encore au contrôle de l’identité de genre chez les personnes non cisgenres. La violence peut aussi se manifester par l’invalidation ou le dénigrement de l’identité et de l’expression de genre. Le outing, soit la menace du dévoilement forcé de l’orientation sexuelle ou de genre, brime également le droit au consentement.

S’il est clair que la violence conjugale n’épargne pas les couples LGBTQ+, elle est souvent passée sous silence. Cette invisibilité pourrait s’expliquer historiquement, selon Valérie Roy, par la peur des communautés de nourrir des sentiments homophobes, mais aussi par la construction du problème de la violence conjugale comme le fait de violence d’un homme envers une femme.

« La violence, ou plutôt notre compréhension de la violence, est traditionnellement associée à une certaine conception de la masculinité. » Selon la chercheuse, bien que la violence dans les couples cis-hétéros existe bel et bien et soit prédominante, il serait souhaitable de représenter d’autres formes de relation où survient la violence conjugale.

« Il faudrait qu’il y ait des campagnes supplémentaires, que les images, les représentations soient plus diversifiées, pour que les victimes puissent se reconnaître comme victimes, et pour que les intervenant·e·s soient en mesure de les reconnaître également. »

Comment mieux soutenir les communautés LGBTQ+?

Si les services sont encore défaillants et que l’éducation manque pour comprendre les violences contre les personnes LGBTQ+ et soutenir celles-ci, une chose semble claire : chacune a besoin d’un véritable soutien adapté à ses besoins. Et qui de mieux que quelqu’un qui nous ressemble pour bien nous représenter, nous comprendre et nous soutenir?

Selon Crystel Thériault, chargé·e de projet à l’Alliance Arc-en-ciel, il est impératif de mobiliser les personnes concernées dans les démarches d’intervention. « Il faut que les services soient offerts par des gens formés, éduqués sur les enjeux, mais aussi issus des communautés concernées. »

Exprimer nos pronoms est une pratique qui peut également favoriser l’inclusivité. « C’est une façon de signaler qu’un environnement est sécuritaire à des gens qui ne se sentent pas forcément en sécurité », analyse Aeme du CALACS. L’intervenant·e raconte qu’à son entrée au sein de l’organisme, dont les bureaux sont tapissés de drapeaux de la communauté trans, LGBT et bispirituelle, ces petits symboles ont contribué à un certain sentiment de sécurité.

Le CALACS de l’Ouest-de-l’Île, qui vient en aide aux individus ayant vécu des agressions à caractère sexuel, a récemment ouvert ses services aux personnes trans, non binaires et bispirituelles, notamment par le biais du programme À Bras Ouverts.

« Ça a été un long travail – et ça demeure un grand travail – de rendre notre organisation inclusive, mais c’est tellement gratifiant! » assure Noah Benoit.

Besoin d’aide?
Vous sentez votre sécurité menacée?

N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région, SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle, L’R des centres de femmes du Québec ou notre Répertoire d’outils en violence conjugale. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

12 jours d'action contre les violences faites aux femmes 2023/