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Les engagées ordinaires

Les CALACS : 50 ans de lutte contre les violences sexuelles

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Danie Franco (unsplash.com)

Tout a commencé dans une cuisine montréalaise au début des années 70. Des féministes réunies en proverbiale assemblée déplorent le manque de ressources et le traitement réservé aux femmes victimes de violences sexuelles. À l’époque, certains hôpitaux refusaient carrément de les accueillir. Grâce à ces militantes, un premier centre daide ouvre ses portes à Montréal en 1975. Puis, au fil des appels à laction et des modifications législatives, le mouvement sest étendu à travers le Québec. Retour sur cinq décennies de changements extraordinaires et dengagement ordinaire.

« On se présentait comme des féministes radicales. En ce sens qu’on voulait s’attaquer aux racines des oppressions faites aux femmes », explique Chantal Robitaille qui est arrivée comme stagiaire au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Châteauguay en 1988. Trente-cinq ans plus tard, elle y travaille toujours comme intervenante sociale. Elle accueille et accompagne les victimes et survivantes tout en continuant de lutter contre les inégalités engendrées par le patriarcat. Un vaste programme.

Des Îles-de-la-Madeleine à Sept-Îles, les CALACS ont été mis sur pied par des femmes comme Chantal, des organisatrices communautaires dont les noms ne se retrouveront probablement jamais dans nos livres d’histoire. Or, elles forment une foule d’engagées ordinaires, qui ont rendu possible la réalisation de grands changements, comme le démontre Mélikah Abdelmoumen dans son essai Les engagements ordinaires, paru en octobre dernier.

Et pour mieux porter leur message et faire rayonner leur expertise, les engagées ordinaires se sont rassemblées. En 1979, plusieurs centres d’aide décident de s’allier au sein du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS). Le RQCALACS compte aujourd’hui 21 membres à travers la province.

« Avez-vous aimé ça? »

Geneviève Paquette, professeure au Département de psychoéducation à l’Université de Sherbrooke et membre du Conseil

Tout juste après la naissance du regroupement, une certaine Diane Lemieux, alors jeune étudiante en droit, devient bénévole au CALACS de l’Estrie. C’était le début des années 80, « on sortait de l’époque du policier qui disait à la victime : Avez-vous aimé ça? » se souvient-elle en entrevue à La Presse en 2009.

C’est à cette même époque, pas si lointaine, que la Loi sur les infractions sexuelles reconnaît en 1983 le viol conjugal et introduit le terme d’agression sexuelle. Dorénavant au Canada, une femme peut témoigner contre son conjoint. C’est une victoire importante pour les CALACS qui s’étaient mobilisés depuis leur création pour la réforme du Code criminel.

De 1986 à 1996, avant d’être présidente du Conseil du statut de la femme, puis ministre dans les gouvernements de Lucien Bouchard et de Bernard Landry, Diane Lemieux a été coordonnatrice et porte-parole du RQCALACS. Son nom est encore associé pour plusieurs au regroupement. Pendant une décennie, « la lionne de Bourget » – circonscription qu’elle a représentée de 1998 à 2007 – a rugi pour attirer la lumière et le financement vers la lutte contre les violences à caractère sexuel.

« Grâce à ces centres, la problématique des violences sexuelles a été portée à l’attention du grand public », note Geneviève Paquette, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke et membre du Conseil du statut de la femme. La chercheuse mentionne également l’importance de ces espaces bienveillants qui ont permis à des femmes de se confier.

Si c’est caché, ça n’existe pas

Dans Les engagements ordinaires, Mélikah Abdelmoumen raconte que sa grand-mère maternelle et ses amies voulaient ouvrir une maison d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale à La Baie. Sollicitées pour leur soutien au début des années 70, plusieurs instances gouvernementales leur auraient alors répondu : ne pensez-vous pas que vous allez créer des besoins? « Autrement dit, n’allaient-elles pas créer un problème qui n’existait pas encore en donnant à ces femmes l’idée d’échapper à leur situation? » résume l’essayiste. L’absence de ressources facilitait l’ignorance volontaire et la relégation des violences à la maison. Le privé est politique! ont scandé les militantes.

Chantal Robitaille a souvent eu la désagréable impression de se répéter. Mais l’intervenante du CALACS de Châteauguay souligne que, parfois, la persévérance est récompensée. « Depuis notre création, nous dénonçons les préjugés persistants par rapport aux victimes. Mais pendant longtemps, il y a eu peu d’écoute au sujet du mythe de la victime parfaite », se rappelle celle qui a une formation en travail social. Les mouvements de dénonciation des dernières années – #AgressionNonDénoncée (2014), #MoiAussi (2017) – ont permis, entre autres, à ces discours de résonner davantage, de trouver bon entendeur.

Le viol est un fléau inévitable dans toute société sexiste. Car, acceptée socialement, l’inégalité entre les sexes institue un rapport de domination des hommes sur les femmes. Comme on reporte en général ses humiliations et son irritation sur plus faible que soi, les hommes exploités se serviraient des femmes “pour exprimer leur colère”. C’est le jugement que porte l’avocate criminaliste Célyne Lacerte-Lamontagne qui publiait en 1980 […] Le viol : acte de pouvoir et de colère.

– Lemieux-B., Louise (1981). « Le viol : reflet d’une société sexiste. Entrevue avec Célyne Lacerte-Lamontagne ».
Gazette des femmes, vol. 3, no 5, p. 9.

Mais les préjugés persistent. Geneviève Paquette en a pour preuve les propos tenus dans deux radios privées à l’encontre de Catherine Fournier, lorsque la mairesse de Longueuil a révélé, en avril dernier, être la victime de l’ex-député Harold LeBel. « On n’en a pas fini avec la culture du viol, dans laquelle on est socialisé dès notre jeune âge. C’est très persistant », indique la professeure qui appelle à l’instauration d’une culture de respect et de consentement dès le préscolaire.

Chantal Robitaille est aussi bien consciente que le changement des processus de socialisation est un (autre) travail de longue haleine. Après 35 ans de lutte, l’intervenante ne semble pas avoir épuisé sa réserve d’engagement. « Malgré les irritations et les essoufflements vécus par le mouvement calacois, je suis fière de notre persévérance », dit-elle.

Une persévérance, faut-il le rappeler, mise au profit de la reconnaissance et du respect de droits fondamentaux de la personne. Une lutte intrinsèquement plus ordinaire que révolutionnaire.

Besoin d’aide?
Vous sentez votre sécurité menacée?

N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région, SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle, L’R des centres de femmes du Québec ou notre Répertoire d’outils en violence conjugale. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

12 jours d'action contre les violences faites aux femmes 2023/