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France : ligne rouge infranchissable pour la maternité pour autrui

Une pratique interdite depuis plus de 25 ans

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Dakota Corbin (unsplash.com)

Cest lun des rares sujets sur lesquels lensemble des partis français tombent daccord : la prohibition de la maternité pour autrui, formellement interdite par une loi depuis 1994. La légalisation de cette pratique, par laquelle une femme porte un enfant pour un autre parent, reste une ligne rouge infranchissable. Aucun·e candidat·e à l’élection présidentielle actuelle na proposé la légalisation.

À l’instar du président Emmanuel Macron, du candidat de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, du candidat écologiste Yannick Jadot ou de la candidate socialiste Anne Hidalgo, les prétendant·e·s à l’Élysée se prononcent tout au plus en faveur d’une reconnaissance des enfants nés à l’étranger par ce mode de procréation.

Selon les estimations du Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et l’Aide à la Reproduction Assistée (C.L.A.R.A.), cela concernerait en France environ 200 enfants par an, dont l’immense majorité seraient nés aux États-Unis et au Canada.

Une opinion publique favorable

Ce tabou politique contraste avec l’opinion publique qui semble prête à un changement de loi. Depuis plusieurs années, les sondages mesurent une adhésion croissante des Français·es à cette pratique. Dans une enquête d’opinion menée en février dernier par l’institut Ifop, trois personnes sondées sur quatre se montraient favorables à une légalisation de la gestation pour autrui (GPA), comme on la nomme en France. De nombreuses personnalités comme la philosophe Élisabeth Badinter ou la sociologue Irène Théry ainsi qu’un nombre croissant de médecins ont déjà pris position depuis plusieurs années en faveur d’une autorisation.

La ligne de fracture se situe davantage sur les modalités (rémunération ou non) que sur le principe de cette méthode de procréation. De même, le traitement médiatique de ce sujet hautement sensible a beaucoup évolué. « Si certains journaux comme Le Monde se montraient encore dubitatifs il y a 10 ans, ils sont aujourd’hui beaucoup plus ouverts », souligne Laurence Brunet, spécialiste en droit de la famille et de bioéthique, chercheuse à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Des repères décisifs

L’adoption de la loi sur le mariage pour tous en 2013 a marqué un tournant dans la perception de ce phénomène. « Les familles homoparentales ont commencé à être plus visibles et la question de la GPA a gagné en légitimité », analyse Laurence Brunet. La loi sur la PMA pour toutes, qui est entrée en vigueur il y a quelques mois et qui permet à des couples de femmes ou à des femmes seules de bénéficier de la procréation médicale assistée (PMA), a elle aussi assurément contribué à cette évolution.

C’est d’ailleurs le recours à la maternité pour autrui par des couples homosexuels qui suscitait le plus d’opposition. Selon les données de l’association C.L.A.R.A., les couples hétérosexuels représentent la grande majorité (70 %) des parents d’intention.

Sur le plan législatif, un premier pas a été franchi en 2013. Une note de service du 25 janvier 2013 recommandait aux greffier·ière·s en chef des tribunaux d’instance, aux procureur·e·s généraux et aux procureur·e·s de la République de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger à l’issue d’un processus de maternité pour autrui pour des parents français.

Ce tabou politique contraste avec l’opinion publique qui semble prête à un changement de loi. Depuis plusieurs années, les sondages mesurent une adhésion croissante des Français·es à cette pratique.

En 2014, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme marque une étape décisive. Saisie par deux couples dont les époux Mennesson, la Cour a estimé que le droit à la vie privée des enfants n’était pas respecté. L’État français allait au-delà de ce que lui permet sa marge d’appréciation en refusant de reconnaître le lien de filiation, pourtant établi à l’étranger, entre ces enfants et leurs parents d’intention.

Cet arrêt a conduit la Cour de cassation à réviser sa jurisprudence. Ce fut chose faite en octobre 2019. La plus haute juridiction française a autorisé la transcription en droit français des actes de naissance américains des filles jumelles de Dominique et Sylvie Mennesson, nées en 2000 d’une démarche de maternité pour autrui faite en Californie, où cette pratique est légale.

Ce jugement mettait fin à une longue bataille juridique débutée en 2008. Il ouvrait la voie à une transcription automatique de l’acte de naissance des enfants nés à l’étranger d’un processus de maternité pour autrui et établissait une filiation pour le parent biologique et le parent d’intention. « Cela avait créé un immense espoir », se souvient Laurence Brunet.

La résistance en trame de fond

Mais les résistances sont restées très fortes. À la suite des états généraux de 2018 sur la bioéthique, le Comité consultatif national d’éthique a publié un rapport de synthèse dans lequel il affirme qu’il n’y a pas de maternité pour autrui « éthique », car « on ne donne pas plus un enfant qu’on ne le vend ».

« Alors qu’ils ne représentent qu’une minorité, les catholiques intégristes continuent d’influencer le débat politique », affirme Dominique Mennesson, le père des deux jumelles nées en Californie en 2000, engagé avec son association C.L.A.R.A. dans le combat en faveur de la légalisation.

Les opposant·e·s à la maternité pour autrui ne recrutent pas seulement dans les milieux catholiques et conservateurs, mais trouvent aussi de nombreux relais à gauche, comme la philosophe Sylviane Agacinski ou certaines féministes. Cette mobilisation paie puisqu’aucun gouvernement n’a osé jusqu’à présent ouvrir le débat. Elle a aussi conduit le Parlement à adopter un texte plus strict que la jurisprudence de la Cour de cassation lors de la révision de la loi bioéthique en 2021.

« Le texte final de révision de la loi bioéthique a abouti à un recul de la jurisprudence sur la question de la GPA, constate Laurence Brunet. Concrètement, le nouveau dispositif rallonge et complique les procédures de transcription des actes de naissance des enfants nés à l’issue d’une GPA. »

Désormais, les couples français qui ont recouru à cette pratique disposent de deux voies pour faire reconnaître leur enfant : la procédure d’adoption, ou celle – majoritairement privilégiée – qui permet, après un contrôle judiciaire, d’établir la filiation grâce à l’exécution en France d’un jugement étranger en parenté.