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Fonder sa famille grâce à une femme porteuse

Une réalité en croissance

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De nombreux couples ont recours à une femme porteuse pour avoir un enfant. Or, il n’existe aucune règle claire pour encadrer la pratique au Québec. Un projet de loi pourrait bientôt changer la donne. Qu’en pensent les principales personnes intéressées?

« Béa est un bébé facile », me lance Julien, l’un de ses deux papas. La petite rouquine de 10 mois a de quoi charmer avec ses bouclettes naissantes et ses yeux doux. « Elle ressemble beaucoup à Marie-Claude. On le voit comme un signe de reconnaissance envers elle », souffle le grand blond de 26 ans. Cette femme porteuse – une collègue de travail – leur a offert son propre ovule et neuf mois de grossesse pour leur permettre de devenir parents.

Le trio a choisi la « méthode artisanale », plus économique que les techniques de procréation assistée. La femme porteuse fait l’insémination elle-même à l’aide d’une seringue, à la maison. La loi fédérale sur la procréation assistée interdit de payer une femme pour porter un enfant, mais sans rémunération, la pratique n’est pas illégale. Sauf que le Québec ne reconnaît pas les ententes de maternité pour autrui, contrairement à d’autres provinces canadiennes. « Il n’y a pas d’information, il faut se débrouiller », déplore Julien. Et tout contrat est invalide devant les tribunaux.

Les parents d’intention et les femmes porteuses nagent donc dans un épais brouillard juridique. À leurs risques et périls. Pour corriger le tir, le gouvernement du Québec veut imposer des balises dans le but de protéger l’enfant à naître et la femme qui le porte et pour faciliter l’établissement du lien de filiation avec les parents. Depuis quelques mois, le projet de loi no 2 portant sur la réforme du droit de la famille est examiné sous toutes ses coutures à l’Assemblée nationale, avant son éventuelle adoption.

Une série de garde-fous

L’un des garde-fous législatifs est la signature d’un contrat notarié, avant le début de la grossesse, qui doit inclure la délicate question du remboursement des dépenses. « En cas d’échec, le contrat va permettre aux deux parties de ne pas être laissées à elles-mêmes », reconnaît Marie-Claude, la femme qui a porté Béa.

Elle ne serait pas contre l’idée d’être payée, si c’était légal, pour compenser tous les sacrifices. En 2016, elle a perdu le fœtus de 20 semaines qu’elle portait pour un autre couple infertile. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée seule chez elle, sans soutien financier ni aide psychologique. Un choc difficile à encaisser.

Le gouvernement du Québec veut imposer des balises dans le but de protéger l’enfant à naître et la femme qui le porte et pour faciliter l’établissement du lien de filiation avec les parents.

Mère de trois enfants – son aîné a 20 ans –, Marie-Claude a choisi de replonger dans l’aventure pour offrir un frère ou une sœur à Béa. « Ma famille est terminée, mais j’ai le goût d’aider Julien à créer la sienne », explique-t-elle avec fierté. Cette fois-ci encore, si tout va comme prévu, elle ira accoucher en Ontario. « Si la pratique était reconnue au Québec, on préférerait rester chez nous. Ce serait plus rassurant », précise Julien. Mais ici, le deuxième papa doit adopter l’enfant, ce qui peut prendre plusieurs mois, tandis qu’en Ontario, les noms des deux parents légaux sont inscrits d’emblée sur l’acte de naissance.

De plus, en vertu du projet de loi québécois, la femme porteuse garde l’entière autonomie de disposer de son corps, du début à la fin. C’est « un droit extrêmement important. Dans l’éventualité où une mère porteuse souhaiterait se faire avorter en cours de route, ça lui appartient, c’est son choix », avait soutenu le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, lors du dépôt du projet de loi l’automne dernier.

Le texte législatif prévoit aussi que la femme porteuse ait la possibilité de garder l’enfant, mais cherche à éviter que les parents d’intention puissent se défiler. « Les recherches démontrent que ce sont plus souvent les parents d’intention qui veulent dissoudre l’entente », analyse Kévin Lavoie, professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval. Selon lui, la crainte de voir la femme porteuse disparaître avec le nouveau-né est infondée.

Oubliez l’image de la « servante écarlate »

Kévin Lavoie, professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

« Je vis cette grossesse à la troisième personne », tente d’illustrer Mélody pour expliquer son geste altruiste. Le genre de personne qui aime faire des dons de sang, de plasma ou du bénévolat pour les plus démunis. Maintenant, pourquoi ne pas porter un fœtus pour quelqu’un d’autre?

Après avoir lancé une bouteille à la mer sur Facebook, la jeune femme, qui a déjà deux garçons, a trouvé un couple incapable d’enfanter. « Je ne suis pas attachée à ma bedaine, mais plutôt à l’idée d’offrir à d’autres le bonheur d’avoir un enfant », soutient la femme de 24 ans dont l’utérus a accueilli leur embryon.

Exit l’image de la femme pauvre et vulnérable. « En général, la femme porteuse au Canada fait partie de la classe moyenne, possède un diplôme d’études collégiales et a plusieurs enfants », explique Kévin Lavoie, aussi chercheur, qui note toutefois un écart dans le statut social avec les parents d’intention. Une fécondation in vitro peut vite leur coûter des milliers de dollars.

Le projet de loi est « une bonne avancée, mais ce n’est pas suffisant pour s’assurer du consentement libre et éclairé pour tous », plaide-t-il. Il recommande, entre autres, d’établir des barèmes clairs sur les dépenses à rembourser. Vêtements de maternité, vitamines, pertes de revenus liés à la grossesse? La ligne est parfois mince entre compensation et rémunération illégale.

Décloisonner la pratique

La maternité pour autrui est « une réalité marginale, mais en croissance », souligne le Conseil du statut de la femme dans son Mémoire sur le projet de loi no 2, paru en novembre dernier.

Dans ce contexte, « une loi va rendre la pratique moins nébuleuse », admet Mélody. La future maman, Geneva, a enchaîné les fausses couches pendant 10 ans. « Je ne suis pas croyante, mais c’est un miracle de l’avoir rencontrée. Nous étions résignés à ne pas avoir d’enfant », raconte celle qui aurait tant aimé pouvoir éviter toutes les tracasseries administratives pendant les premiers mois de vie de son enfant.

Quoi qu’il en soit, la petite Alix, elle, n’est pas encore née et sait déjà se faire désirer. Mélody est dilatée à quatre centimètres depuis quelques jours. « La petite est confortable dans son cocon », patiente Geneva, fébrile de rencontrer sa fille.

Facebook, de plus en plus populaire pour trouver une femme porteuse

On trouve trois principaux lieux de rencontre entre les femmes porteuses et les parents d’intention : les agences, l’entourage et les réseaux sociaux. Sur Facebook, il existe des dizaines de groupes de discussion privés. Il suffit de les joindre pour voir les couples à la recherche d’une perle rare pour porter leur futur enfant. En moins grand nombre, des femmes partagent aussi leur désir de mettre au monde un enfant pour quelqu’un d’autre.

« Il y a le meilleur comme le pire », analyse Kévin Lavoie, auteur d’un chapitre sur les communautés en ligne dans le livre Perspectives internationales sur la gestation pour autrui, publié en 2018. Ces groupes permettent de trouver du soutien. « C’est très positif parce que les femmes porteuses sont isolées et n’ont pas d’association. »

Le revers? Ces endroits regorgent aussi d’informations approximatives et parfois erronées sur la maternité pour autrui, « au risque pour les femmes porteuses de ne pas bien connaître leurs droits, dit Kévin Lavoie, dont celui de la souveraineté sur leur propre corps ».