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Maternité pour autrui : un pas vers l’encadrement légal

Des jalons juridiques essentiels

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Depuis 2007, plusieurs provinces canadiennes ont adopté des législations en vue de certifier la maternité pour autrui, dont la rémunération demeure criminalisée pour l’ensemble du pays. À l’heure actuelle au Québec, aucun encadrement de cette réalité n’existe à proprement parler. Mais l’ambitieux projet de loi no 2, première pierre d’assise d’une réforme du droit de la famille, entend reconnaître légalement la pratique de femme porteuse. Bien que le projet de loi prévoit certaines balises, des zones grises demeurent.

Depuis 1994, l’article 541 du Code civil du Québec n’accorde aucune valeur juridique aux ententes entre une femme porteuse et des parents d’intention. Toutefois, la pratique, bien que marginale, est résolument croissante au Québec. Selon la professeure Louise Langevin, titulaire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés de l’Université Laval, si la famille – comme la société – a subi des changements profonds, l’État doit dorénavant reconnaître la diversité des réalités familiales.

« Le législateur ne peut plus imposer le modèle de la “bonne famille chrétienne, catholique et patriarcale” », défend Louise Langevin. Bien que les avis favorables à la reconnaissance de la pratique soient nombreux, des voix s’élèvent également pour dénoncer cette avenue.

C’est notamment le cas de la professeure émérite et première titulaire de la Chaire d’étude sur la condition des femmes Maria De Koninck, pour qui le projet de loi constitue un recul des droits des femmes. Elle défend l’idée que de légaliser une telle pratique pourrait permettre une éventuelle marchandisation de la maternité et de l’accouchement. « Il s’agit d’un changement majeur qui entrouvre la porte à l’industrie et aux agences qui exploitent le désir d’enfant pour faire des profits », écrivait la sociologue dans La Presse en novembre dernier.

Contrat notarié ou outil d’exploitation?

En plus de légaliser la pratique, le projet de loi no 2 prévoit une convention notariée qui devra être signée entre les parents d’intention et la femme porteuse, et ce, préalablement à la grossesse. Mais ce contrat peut être un couteau à double tranchant, prévient Louise Langevin, qui est membre du Barreau du Québec depuis 1986.

« On peut penser à certains contrats qui circulent notamment aux États-Unis. Ils ne protègent qu’une des deux parties et font office de véritable outil de contrôle du corps et du temps de la mère porteuse. » Pour éviter de telles dérives, le législateur entend élaborer, dans le projet de loi, un règlement précisant les détails du contenu.

Dans son mémoire présenté à la Commission des institutions, la Chambre des notaires appuie favorablement cette mesure, et propose d’ores et déjà des lignes directrices sur le contenu de cette convention. « Ce sera un contrat standardisé, un peu à la manière des contrats d’habitation », résume Louise Langevin.

Cette convention permettra de certifier le consentement, tout en fournissant une protection juridique prenant en compte l’intérêt de l’enfant. La femme porteuse, qui devra être âgée d’au moins 21 ans, pourra décider d’interrompre sa grossesse ou de garder l’enfant jusqu’à 30 jours après l’accouchement.

Un geste gratuit qui ne doit pas appauvrir

Isabel Côté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux

Vivre une grossesse n’est pas un processus à coût nul : cela entraîne des conséquences économiques et matérielles directes pour la femme qui porte l’enfant, dans sa vie tant familiale que professionnelle. Bien que le geste doive demeurer gratuit en vertu du Code criminel, le projet de loi no 2 permettra à la femme porteuse d’être dédommagée pour les frais engagés par sa grossesse.

Kévin Lavoie est professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, et Isabel Côté est professeure à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux. Ensemble, la chercheuse et le chercheur ont rencontré plusieurs femmes porteuses et ont observé que l’argent est souvent synonyme de malaise dans un tel projet. Les femmes porteuses seraient particulièrement soucieuses d’épargner les coûts aux parents d’intention.

Pour éviter que les femmes s’appauvrissent, le projet de loi prévoit une rencontre avec un·e notaire pour que soient convenues les sommes disposées à être remboursées. Pour la femme porteuse, 18 semaines de congé sont également prévues.

De la médiation conjugale à la médiation procréative

Pour assurer que les deux parties concernées obtiennent une vue d’ensemble du projet qu’ils souhaitent entreprendre, le projet de loi prévoit une rencontre d’information individuelle avec un·e professionnel·le reconnu·e. Mais le projet de loi reste muet sur la formation requise pour effectuer un tel mandat. Pour répondre à cette interrogation, le Conseil du statut de la femme propose notamment de mettre sur pied une formation spécifique, qui pourrait être pensée en collaboration avec l’actuel Comité éthique en matière de procréation assistée.

En plus de légaliser la pratique, le projet de loi no 2 prévoit une convention notariée qui devra être signée entre les parents d’intention et la femme porteuse, et ce, préalablement à la grossesse.

En plus d’une formation accréditée, Isabel Côté et Kévin Lavoie sont d’avis qu’un véritable accompagnement psychosocial devrait être mis en œuvre. Bien que les rencontres individuelles soient nécessaires pour que chaque partie puisse discuter de ses préoccupations propres, un tel accompagnement réunissant les parents d’intention et la femme porteuse serait primordial.

Pour assurer un dialogue harmonieux et serein, les deux universitaires proposent une « médiation procréative », à l’image de la médiation conjugale actuellement en place au Québec pour les couples qui se séparent. Selon l’avocate Louise Langevin, une rencontre individuelle avec un·e avocat·e dans le but d’obtenir un avis juridique indépendant serait également essentielle.

L’expérience antérieure de grossesse

Un angle mort du projet de loi est l’expérience antérieure de grossesse pour les femmes porteuses, critère qui avait pourtant été recommandé par plusieurs, notamment par la Fédération des médecins spécialistes du Québec. La Fédération défend l’idée qu’une expérience antérieure de grossesse permettrait aux femmes de faire un choix réellement libre et éclairé, une dimension que le Conseil du statut de la femme juge également favorable.

Si la maternité pour autrui est révélatrice de la transformation de nos principes et de notre vision de la famille, le rôle de l’État est de légiférer sur les phénomènes contemporains. Pour Louise Langevin, il ne s’agit pas d’être pour ou contre la maternité pour autrui. Il s’agit de faire des choix de société qui « permettent de protéger les personnes vulnérables ». Ces pratiques existent et ne pas les encadrer, c’est le faire aux dépens des personnes concernées, résume Kévin Lavoie.