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Deux femmes et Ophélie

Prêter son ventre

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Temps estimé de lecture :6 minutes

Bandeau :Photo : © Guille Pozzi (unsplash.com)

Ils se sont pointés à l’heure dite au restaurant de Tracadie où ils s’étaient donné rendez-vous. Monica Landry et Sébastien Deraspe allaient rencontrer pour la première fois Sonia Desroches, après des mois à s’écrire et à se parler au téléphone.

« On était un peu nerveux, gênés », se souvient Monica.

Ils ont parlé de tout et de rien, se sont tout de suite bien entendus. « Ça a vraiment cliqué entre nous, on a parlé de plein de choses, on voulait apprendre à se connaître. À la fin, on a abordé le sujet. On s’est dit qu’on allait se redonner des nouvelles. »

Le sujet : Sonia s’offrait pour porter un enfant.

Sonia était arrivée un peu plus tôt. « Je n’étais pas stressée, j’étais zen. Le courant a passé tout de suite entre nous, c’est comme si on se connaissait depuis longtemps! Quand je suis partie, je savais que ça allait marcher, j’ai appelé tout de suite mon conjoint et je lui ai dit “c’est le couple parfait”. »

Son conjoint était le seul dans le secret.

Le couple de Madelinots avait deux enfants, il voulait agrandir sa famille. « On est ensemble depuis le secondaire, me raconte Monica au bout du fil. On s’était dit qu’on allait avoir au moins trois ou quatre enfants, mais après le deuxième accouchement, c’était trop dangereux pour moi de tomber enceinte une autre fois. On a regardé du côté de l’adoption internationale, mais c’était au moins 10 ans d’attente! Peut-être que c’est plus facile en ville, mais aux Îles-de-la-Madeleine, c’était moins évident. »

Ils se sont rappelé un reportage qu’ils avaient vu sur les femmes porteuses. « On est allés voir des sites, on a vu qu’il y en avait en Asie du genre “je te paye et tu me donnes le bébé au bout”, mais on ne voulait pas ça. On allait voir sur les forums de discussion, on lisait des choses comme “ça fait 10 ans qu’on essaye”, ça nous décourageait. »

Puis, une annonce, une femme qui s’offre pour porter un enfant. « On lui a écrit, on lui a raconté notre histoire. Elle venait du Nouveau-Brunswick, ça a tout de suite cliqué. On s’est écrit pendant plusieurs mois et elle nous a choisis. »

Maman et femme porteuse

Sonia avait eu l’idée de prêter son ventre après être devenue maman. « J’ai eu une belle grossesse, un bel accouchement. J’ai pris conscience de ceux qui ne pourront jamais avoir d’enfant, qui ne pourront jamais vivre ça. C’est devenu viscéral, je voulais le faire pour quelqu’un. »

Sonia a publié une annonce sur un forum à la fin de l’été 2011, elle a été inondée de messages. « Il y en a eu vraiment de toutes les sortes! J’en recevais environ 50 par semaine. Il y en avait que c’était évident que ça ne marcherait pas : il y a un couple religieux qui voulait que j’aille à la messe tous les dimanches, un autre couple qui ne voulait pas que la grossesse brise le corps de la femme… »

« J’ai pris conscience de ceux qui ne pourront jamais avoir d’enfant, qui ne pourront jamais vivre ça. C’est devenu viscéral, je voulais le faire pour quelqu’un.  »

– Sonia

Malgré la déferlante de messages, Sonia n’arrivait pas à trouver un couple qui correspondait à ce qu’elle souhaitait. « Une journée, en novembre, j’ai décidé d’abandonner, d’enlever mon annonce. Je me suis dit que ça ne marcherait pas. Et c’est ce jour-là que j’ai reçu le courriel de Monica. J’ai tout de suite accroché à leur histoire. »

Sébastien et Monica, avec leurs enfants de sept et neuf ans, lui ont plu. « Sonia avait un peu la même mentalité que nous, confirme Monica. Elle voulait une bonne famille. »

L’encadrement qui rassure

Mais on ne conclut pas une affaire de maternité pour autrui comme un constat à l’amiable. « Avec un avocat, on est partis du contrat d’une fille que Sonia connaissait et qui avait déjà porté un enfant, mais il a fallu le faire traduire. On s’est assurés que tout était correct. Ça a été notre plus grosse dépense, les frais d’avocat. »

Cet aspect légal était aussi important pour Sonia. « Le fait que j’habite au Nouveau-Brunswick a facilité les choses parce que c’est légal ici, c’est encadré. Quand l’enfant naît, ce sont ceux qui ont produit l’embryon qui sont reconnus comme étant les parents et non la mère porteuse. »

De fait, l’embryon était issu de l’union d’un ovule de Monica et d’un spermatozoïde de Sébastien, une condition sine qua non pour Sonia. « C’était clair que je ne voulais pas que ce soit un de mes ovules. Il y a pour moi une grande différence entre un don d’ovule et prêter son ventre, ce n’est pas du tout la même chose. »

Au Nouveau-Brunswick, tout comme au Québec, les femmes porteuses ne sont pas rémunérées pour porter un enfant, mais les parents assument toutes les dépenses qui sont engagées pendant la grossesse. « On a tout payé évidemment, ça allait des vêtements de maternité aux visites à la clinique de fertilité à Montréal. »

Après une première tentative infructueuse, le deuxième transfert a fonctionné. « Sébastien et Monica ont eu la confirmation du test de grossesse positif le 24 décembre, à la veille de Noël! » Ils sont descendus à Bathurst pour l’échographie de 20 semaines. Tout était beau, le bébé se développait parfaitement.

C’était une fille.

Le moment était venu d’annoncer la grande nouvelle. « Jusque-là, personne n’était au courant, on ne l’avait dit à personne, pas à nos familles ni à nos enfants. Quand on est revenus de l’échographie, on avait acheté un petit pyjama rose et on l’a montré aux enfants. Ils allaient avoir 8 et 10 ans, on leur a tout expliqué, qu’ils allaient avoir une sœur, mais qu’elle était dans le ventre d’une autre femme. Au début, ils trouvaient ça bizarre, mais après, ils tripaient au boutte! »

Est-ce que Monica et Sébastien ont eu peur que Sonia change d’idée en cours de route ou à la toute fin? « Ça nous a traversé l’esprit, mais on en a beaucoup parlé avec elle et elle nous a rassurés. Elle avait déjà une petite fille et elle voulait d’autres enfants avec son chum après. »

Ils ont suivi la grossesse à distance, en se croisant les doigts pour que tout se passe bien. Tout s’est bien déroulé. « J’ai eu une belle grossesse », me confie Sonia. Début août, Sébastien et Monica sont allés s’installer chez des amis au Nouveau-Brunswick en attendant le grand jour.

Une histoire de famille

Première rencontre de Sonia avec Ophélie

Puis, le 29 août, ça y était. « Dans la salle d’accouchement, il y avait sa mère et nous. Sébastien lui flattait le dos… C’est vraiment spécial de voir quelqu’un d’autre qui pousse, mais c’est pour toi. » Puis Ophélie s’est pointé le coco.

« Monica me disait “merci, merci” et je lui disais “va voir ton bébé”! Le détachement était déjà fait, il n’y a pas eu de problème. Même pendant la grossesse, ce n’était pas le même attachement. Je suis partie quelques heures plus tard, je suis revenue les voir tous les jours. »

Monica avait pris des hormones pour allaiter, ça a fonctionné. « C’était encore plus important pour moi d’allaiter, pour créer un lien. »

Peu après l’accouchement, ils ont fait un souper de famille élargie. « Nos parents étaient avec nous, ses parents étaient là aussi, il y avait nos enfants, sa fille, c’était vraiment super beau comme moment. »

Monica, Sébastien et Sonia sont restés très proches. « On est revenus la voir plusieurs mois plus tard, on avait un tournoi de hockey et on lui a offert de devenir la marraine pour qu’on puisse garder le lien tout le temps, pour qu’Ophélie sache d’où elle vient. Elle était enceinte quand on l’a vue, elle nous a offert d’être parrain et marraine aussi! »

Sonia et son conjoint ont eu quatre autres filles après la naissance d’Ophélie, la plus jeune a deux ans.

À huit ans, Ophélie sait très bien d’où elle vient. « On ne lui a jamais fait de cachette par rapport à ça. À la garderie, elle avait dit : “moi, je suis née dans la bedaine de ma marraine!”. C’était très clair pour elle, très jeune. »

Cela dit, Monica est très consciente que toutes les histoires de maternité pour autrui ne tournent pas toujours aussi bien. « Ça a vraiment été une belle expérience, ça a bien été du début à la fin. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de gens qui puissent avoir cette chance-là, qu’il y en ait qui font ça comme une usine. On se sent vraiment privilégiés d’avoir été choisis, on l’apprécie… »

Titulaire d’un diplôme d’études collégiales en art et technologie des médias du cégep de Jonquière et d’un baccalauréat de l’Université Laval, Mylène Moisan est journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1999. Elle y signe depuis 2012 une chronique suivie par des milliers de lectrices et lecteurs. Elle y raconte des histoires singulières, variées, qui touchent à la fois les gens et la société dans laquelle nous vivons. De 1994 à 1996, elle a travaillé comme journaliste à Toronto pour l’hebdomadaire francophone L’Express, puis à la chaîne télévisée TFO pour l’émission d’affaires publiques Panorama.