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Des femmes et des luttes

Sur les traces d’Anne Greenup, Léa Roback et Evelyn O’Bomsawin

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Bandeau :Illustration : © Isabelle Gagné

Qu’elles soient « ordinaires » ou remarquables, des milliers de femmes ont, à travers leurs trajectoires individuelles ou collectives, marqué durablement l’histoire québécoise et canadienne. Alors que certaines sont de plus en plus reconnues à travers la toponymie et trouvent leur place dans les manuels d’histoire, d’autres gagneraient à être (re)découvertes. Nous vous proposons de suivre les parcours d’Anne Greenup, Léa Roback et Evelyn O’Bomsawin qui, par leur militantisme, nous renseignent sur les combats passés – et toujours actuels – des femmes.

Anne Greenup, militante pour la communauté noire montréalaise

À l’aube du 20e siècle, Montréal est une plaque tournante du réseau ferroviaire nord-américain. De nombreux hommes noirs travaillent alors en tant que préposés aux voitures-lits ou porteurs de bagages. Quant aux femmes noires, elles sont généralement assignées à des emplois de travailleuses domestiques dans les familles bourgeoises.

Malgré leur instruction, les personnes noires ne trouvent généralement pas d’autre emploi en raison des discriminations raciales qui pèsent dans la société québécoise. Plusieurs d’entre elles s’établissent dans le quartier Petite-Bourgogne, à proximité des gares Windsor et Bonaventure. En , une quinzaine de femmes noires, pour la plupart mariées à des travailleurs des trains, se réunissent pour fonder le Coloured Women’s Club.

Anne Greenup, une Américaine établie à Montréal avec son mari depuis quelques années, en est la première présidente. « On connaît peu de détails sur sa vie, hormis son implication au sein du Club », explique l’historienne Christine Chevalier-Caron, qui a réalisé des recherches sur quelques militantes ayant œuvré dans cette organisation. Anne Greenup et ses compagnes ont alors mis sur pied de nombreux services pour soutenir la communauté noire anglophone, provenant surtout des États-Unis et des Caraïbes : distribution de vêtements et de repas, hébergement, aide à l’emploi et au logement, soins de santé, etc.

« Ces initiatives étaient nécessaires. En plus d’être discriminées dans de nombreux domaines, les femmes noires étaient exclues des regroupements de femmes blanches et des réseaux de solidarité existants. Elles ont donc pris les moyens pour l’avancement de leur communauté, et avec succès », précise Christine Chevalier-Caron. En , la contribution d’Anne Greenup à la société québécoise a été reconnue avec la création d’un prix à son nom, qui est annuellement attribué à une personne et à un organisme s’étant illustrés dans la lutte contre le racisme.

Léa Roback, syndicaliste et féministe infatigable

Dans les années , en pleine crise économique, le secteur manufacturier est durement affecté. Les syndicats parviennent difficilement à protéger les conditions de travail et sont fréquemment ciblés en vertu de la Loi du cadenas, adoptée au printemps . Le 15 avril, 5 000 ouvrières de la confection du vêtement déclenchent une grève générale qui paralyse plusieurs usines montréalaises durant trois semaines. Il s’agit d’un véritable tour de force : malgré le contexte économique et politique défavorable, ces « midinettes », comme on les appelait, réussissent à arracher plusieurs gains aux patrons. Le succès de cette mobilisation s’explique notamment par le travail de longue haleine de plusieurs syndicalistes, dont Léa Roback.

Madame Léa ROBACK.

Léa Roback. ©  André Querry,81-28 – 8 mars 1988. Source : Creative Commons. Droits d’utilisation : CC BY-NC-ND 2.0

Provenant d’une famille juive d’origine polonaise, elle grandit à Beauport et voyage en Europe durant sa vingtaine, où elle prend part aux luttes sociales. De retour au Québec, elle s’engage dans les milieux communistes et assure la permanence de la première librairie marxiste à Montréal. Son implication dans la grève de est centrale : s’exprimant en yiddish, en français et en anglais, Léa Roback rallie les ouvrières juives, catholiques et protestantes –  une unité assez rare dans les mobilisations de l’époque.Durant les décennies suivantes, ses combats sont nombreux : syndicalisme, suffrage féminin, accès à l’avortement et à la contraception, droit au logement, désarmement nucléaire. Lorsqu’elle s’éteint à l’été 2000, elle laisse derrière elle un riche héritage militant ayant considérablement transformé le 20e siècle.

Evelyn O’Bomsawin, combattante pour les droits des femmes autochtones

Depuis les débuts de la colonisation, les femmes autochtones ont été particulièrement ciblées par les mesures d’assimilation, notamment à travers la Loi sur les Indiens. Adoptée en 1876, celle-ci sert de socle pour l’application des politiques coloniales et est toujours en vigueur aujourd’hui. Au tournant des années 1970, toutefois, plusieurs femmes autochtones contestent les inégalités juridiques au cœur de cette loi. L’article 12(1)b), en particulier, prévoit que celles épousant un homme allochtone se voient retirer leur statut et ne peuvent le léguer à leurs enfants, en plus de perdre leur droit de propriété et leur possibilité de participer aux activités politiques sur la réserve.

Evelyn O’Bomsawin, d’origine abénakise, fait partie des milliers de femmes discriminées par cet article de la loi. Son mariage en 1944 avec un homme métis, pourtant fils d’une mère de la nation Kanien’kehá:ka (Mohawk), lui fait perdre son statut et la possibilité de le transmettre à leurs sept enfants. Une fois divorcée, elle doit quitter la réserve en raison de l’application plus stricte de la Loi sur les Indiens, qui l’empêche d’y occuper un emploi. C’est alors qu’elle commence à militer plus activement, à partir de , dans l’Alliance laurentienne des Métis et des Indiens sans statut du Québec.

Au tournant des années , plusieurs femmes autochtones contestent les inégalités juridiques au cœur de la Loi sur les Indiens. En particulier l’article 12(1)b), qui prévoit que celles épousant un homme allochtone se voient retirer leur statut.

« Pour Evelyn O’Bomsawin, il ne s’agissait pas uniquement d’une question juridique, mais bien d’une lutte pour la reconquête d’une identité. À ses yeux, la loi s’inscrivait dans un processus d’assimilation culturelle qui réduisait le nombre d’autochtones reconnus et qui menaçait le tissu social dans les réserves, en excluant les femmes et leurs enfants », commente Christine Chevalier-Caron, qui a mené des travaux sur cette militante.

Bien que l’article 12(1)b) ait été abrogé en , Evelyn O’Bomsawin poursuit ses engagements jusqu’à son décès en 2008. Elle a notamment été la première femme élue au Conseil de bande d’Odanak, a occupé plusieurs postes dans l’Association des femmes autochtones du Québec et a pris la parole publiquement à de nombreuses reprises pour défendre et faire connaître les enjeux touchant les femmes et les nations autochtones.

Les parcours de ces trois pionnières, provenant de diverses communautés et ayant milité à des époques différentes, révèlent le potentiel des femmes à transformer le cours de l’histoire lorsqu’elles se rassemblent. Espérons désormais que leurs contributions soient mieux connues et reconnues.