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Tracer la voie : les pionnières de l’Université Laval

Projecteurs sur les parcours de combattantes, diplômées de la première université francophone d’Amérique!

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Bandeau :Illustration : © Isabelle Gagné

La salle Power Corporation du pavillon La Laurentienne de l’Université Laval est pleine. Pas un seul siège de libre. Des femmes, et quelques hommes, assistent à l’activité Éclairons toutes les voix : pionnières de l’Université Laval, organisée conjointement par le Conseil du statut de la femme et l’Université Laval pour souligner la Journée internationale des femmes 2020. C’est une occasion de tourner les projecteurs sur des femmes aux parcours inspirants, des modèles de réussite et de détermination, diplômées de la première université francophone d’Amérique.

Matin de tempête. Au micro, trois diplômées de l’Université Laval. Claire Deschênes, première femme à enseigner le génie à l’Université Laval, France Légaré, chercheure citée partout sur la planète, et Louise Provencher, première femme chirurgienne générale dans la région de Québec. Pour animer la discussion, madame Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval et Me Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme.

Dans l’assistance, des femmes engagées et inspirantes, dont Isabelle Charest, députée de Brome-Missisquoi et ministre responsable de la Condition féminine, Guylaine Demers, qui occupe depuis novembre  le poste de titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés, et Christine Vallée, première diplômée de l’École d’architecture de l’Université Laval. Mais aussi beaucoup d’étudiantes aux parcours prometteurs. Tous ces gens sont réunis pour saluer le progrès et célébrer la place des femmes dans les milieux universitaires.

Dans une ambiance où se marient humilité, détermination et espoir, ces femmes partagent leur conception du rôle de pionnières, sur un fond d’anecdotes qui montrent à quel point la place des femmes a changé sur le grand campus de l’université.

Les archives au service des pionnières

Carole Saulnier est directrice des archives à l’Université Laval. Elle navigue dans les époques traversées par cette institution fondée en  . C’est elle qui a été approchée par la rectrice Sophie D’Amours pour remonter le temps et mettre en lumière le parcours de quelques-unes des premières femmes diplômées de l’institution. « Les pionnières nous rappellent le progrès accompli, en plus de tracer la voie dans différents domaines », explique-t-elle.

De gauche à droite : Louise Cordeau, Claire Deschênes, Louise Provencher, France Légaré, Sophie D’Amours. © Francis Bouchard Photographe

Dans sa recherche pour préparer l’événement du 9 mars 2020, un des éléments qui a capté l’attention de l’archiviste est très certainement la mentalité des jeunes hommes d’hier : « J’ai beaucoup fouillé dans Le Béret, le journal des étudiants de l’époque. C’est le dur reflet de la mentalité d’un Québec où l’on présente la jeune fille moderne en parlant de sa petitesse intellectuelle et physique. On parlait même de vachelière au lieu de dire bachelière. Imaginez… C’était un tout autre monde. »

Carole Saulnier poursuit avec quelques anecdotes : « À Montréal, en raison de la proximité du Bishop’s College et de l’Université McGill, l’affranchissement des collèges féminins se fait plus vite qu’à Québec :  à Montréal et à Québec. C’est au Collège Jésus-Marie de Sillery, grâce à la persévérance et au doigté de sœur Marie des Anges, que nous devons l’obtention d’un cours classique féminin. Elle a tenu tête aux recteurs et vice-recteurs pendant 12 ans avant d’obtenir gain de cause. Mais le cours n’était pas aussi complet que celui des garçons. D’ailleurs, cette différence sera maintenue jusqu’en 1938. » Il faut noter que ces collèges (Sillery en , les Ursulines en 1936 et Bellevue en ) n’avaient pas droit aux subventions et les filles n’étaient pas éligibles aux bourses d’études, puisqu’à l’époque, on y voyait du gaspillage.

« C’est tout un contexte historique et social qui justifiait que l’on essayait d’empêcher l’éducation des filles, à commencer par le fait que l’établissement était géré par des religieux, qui voyaient avant tout la femme comme mère et épouse »

– Carole Saulnier, directrice des archives à l’Université Laval

Puis, une autre histoire qui donne des frissons : en , une bachelière de Sillery, Madeleine Frémont, a remporté le Prix Prince de Galles pour sa première place au concours provincial de baccalauréat. « L’université Laval a refusé de publier les résultats et le prix a été attribué au meilleur des garçons. Quelques années plus tard, le baccalauréat des filles est reconnu comme celui des garçons. Sauf que l’Université exclura de son programme de baccalauréat pour jeunes filles tout ce qui tendrait à sortir la femme des conditions familiales et sociales où l’a placée la Providence, poursuit Carole Saulnier, citant le Programme du cours classique pour jeunes filles de . C’est tout un contexte historique et social qui justifiait que l’on essayait d’empêcher l’éducation des filles, à commencer par le fait que l’établissement était géré par des religieux, qui voyaient avant tout la femme comme mère et épouse. »

Moment charnière

L’arrivée en d’un premier recteur laïque, Larkin Kerwin, a marqué un grand pas dans la place qu’allaient occuper les femmes dans le milieu universitaire. Mais, selon Carole Saulnier, ce n’est que quelques années plus tard, lorsque Jean-Guy Paquet entra en poste, que l’on assista à une réforme qui changea pour de bon la donne pour les femmes. En cours de mandat, il met sur pied la Commission sur l’avenir de l’Université Laval. Sont alors créés les postes de protecteur universitaire et celui de coordonnatrice à la condition féminine. « C’est à partir de ce moment que les femmes, de très minoritaires qu’elles étaient auparavant, sont devenues égalitaires, puis aujourd’hui, majoritaires », croit l’archiviste.

Des sentiers encore difficiles

Bien qu’encourageant, ce discours lève aussi le voile sur certains secteurs où beaucoup de chemin reste à faire pour atteindre la parité, comme le rappelle Me Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme. « Il y a encore des domaines à prédominance masculine et des disciplines émergentes dans lesquelles les femmes ont à faire leur place. On peut penser aux départements de génie, dans lesquels seulement 18 % des nouveaux diplômé·e·s sont des femmes. Le milieu de l’intelligence artificielle a également besoin de l’apport des femmes. »

Dans l’édition du Portrait des Québécoises, le Conseil relevait que même si les femmes sont majoritaires dans plusieurs programmes de formation universitaire, elles ne représentaient que 26,4 % des effectifs étudiants en sciences appliquées en . Le document révèle aussi que les femmes sont sous-représentées dans plusieurs professions régies par un ordre professionnel (dentistes, médecins, comptables professionnels agréés, architectes et ingénieurs). « La présence de femmes – qu’elles soient des pionnières ou non – dans des domaines traditionnellement masculins est bénéfique pour tous, pas seulement pour la condition féminine », insiste Me Cordeau.

Un futur brillant, vert et techno

Qui seront les pionnières de demain? Parce que si la rétrospective de nous ramène au temps des premières diplômées, que nous réserverait le même exercice en ? « On peut imaginer des pionnières dans les secteurs des technologies. Je pense aux femmes qui dirigent présentement des chaires de recherche en intelligence artificielle au Québec. On peut penser aussi à l’engagement des femmes dans les luttes aux changements climatiques. Il est déjà notable et je crois que l’on continuera d’en parler dans les années à venir », croit Louise Cordeau.

Le célèbre auteur français Victor Hugo a déjà écrit : l’avenir est une porte, le passé en est la clé. Cette humilité et cette ouverture à regarder d’où l’on vient peuvent certainement guider la direction que l’on prendra pour le futur. D’où l’intérêt de revenir sur les parcours singuliers de ces pionnières. « En parlant des pionnières, nous sommes toutes et tous inspiré·e·s par leur persévérance et leur passion. Elles nous rappellent l’importance de l’inclusion et de la diversité. Notre monde évolue et change, rappelle Louise Cordeau. La diversité prend d’autres formes. Nous devons rester vigilent·e·s afin que toutes les personnes qui composent notre société puissent réaliser leurs ambitions. »

L’activité dédiée aux pionnières de l’Université Laval a permis de lever le voiler sur de véritables parcours de combattantes. Carole Saulnier reprend d’ailleurs les paroles d’une jeune étudiante, qui confiait à la clôture d’événement : « C’est fantastique de voir ça. Quand je pense que ces femmes ont fait tout ce chemin, alors que moi, je ne me suis même pas posé de questions pour en arriver-là. Je suis ici, je profite de tout ça, je n’aurais jamais pensé que c’était si difficile avant. »

Heureusement, lorsque ces modèles forts et inspirants prennent la parole pour témoigner de leur parcours marqué par l’audace et la détermination, nous sommes à même de mieux mesurer l’ampleur des progrès réalisés, tout comme ceux qu’il nous reste à faire.

Voyez le parcours universitaire et professionnel des 10 pionnières célébrées lors de l’activité Éclairons toutes les voix : pionnières de l’Université Laval sur le site Web interactif du Conseil du statut de la femme qui leur est consacré!