Longtemps basée sur la peur et le danger, timide et répétitive, l’éducation à la sexualité et à la prévention atteint mal son but. « On tourne la page », dit le ministre de
la Santé. Qu’est-ce que les jeunes veulent lire dans le prochain chapitre?
« Je ne crois pas que je pourrais attraper le sida. Ce sont les gens qui se tiennent dans les bars et qui sont plus vieux qui peuvent l’attraper. »
Isabelle a 14
ans. A cet âge, bien des adolescentes et des adolescents explorent et découvrent la relation amoureuse. A l’instar des jeunes de son âge, elle ne se considère pas comme une
personne à risque. Pourtant 75% des victimes de
MTS au Québec ont moins de 30 ans. Si certaines
MTS sont en régression depuis quelques années, d’autres, telle la chlamydia, sont encore très répandues chez les jeunes de 15 à 20 ans.
Quant au sida, il touche particulièrement les 20-39 ans. Si l’on tient compte du délai d’incubation (cinq à dix ans), ces gens avaient entre 15 et 30 ans lorsque le virus les
a atteints. Isabelle sait très bien par ailleurs que la meilleure protection contre les maladies transmissibles sexuellement (
MTS) et le sida est l’utilisation du
condom. Pourtant, la croissance des ventes de condoms a ralenti à 5% en 1989, alors qu’elle était de 30% en 1985. Au Québec, les ventes ont cependant sensiblement augmenté
depuis deux ans.
Comment expliquer que les jeunes ne se sentent pas visés? Comment interpréter cette impopularité du condom malgré la publicité qui l’affiche, l’école qui en parle, les
sexologues qui le valorisent, les fabricants qui le vantent, certains parents qui le laissent traîner bien à la vue de leurs adolescentes ou adolescents?
La pub du condom
Les messages publicitaires sur la prévention des
MTS et du sida font partie d’une campagne progressive de
sensibilisation orchestrée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (
MSSS). La campagne publicitaire de 1987
L’amour ça se protège avait pour but de
sensibiliser la population, et plus particulièrement les 15-29 ans, à l’ampleur du phénomène des
MTS et du sida et au fait
que l’usage du condom diminue les risques de les contracter. En plus des messages publicitaires, la campagne prévoyait la distribution de différents dépliants et d’une
brochure explicative sur les
MTS. De façon générale, les résultats de cette première phase ont permis de constater une
augmentation de la connaissance des
MTS chez les jeunes. Par contre, les comportements n’ont pas changé. Environ 85% des
15-29 ans ne s’identifiaient toujours pas aux groupes dits
« à risques »
. Peut-on penser qu’ils refusent de croire que, comme le sous-entend le slogan, l’amour c’est
dangereux?
En 1988, la campagne met l’accent sur les facteurs de risques et tente d’amener les 15-29 ans à s’identifier comme des personnes à risques.
Ne soyez pas aueugles, les
MTS ça vous regarde, dit le slogan. Résultats. les messages sont perçus comme crédibles… mais plus les répondantes
et les répondants sont jeunes, moins ils reconnaissent le facteur de risque dans la situation d’une personne qui rencontre un nouveau partenaire. Le condom demeure néanmoins
le choix de la majorité des jeunes, 65% indiquant qu’ils l’avaient déjà utilisé de une à plusieurs fois ou… qu’ils avaient l’intention de le faire. Pourtant, quand il s’agit
de prévention des
MTS et du sida, l’intention à elle seule ne peut suffire. A l’automne 1990, le ministre Marc-Yvan Côté
lance la dernière phase de cette campagne. Le sida et les
MTS « ne sont plus un problème de morale, mais un problème de
santé publique. On a déjà utilisé la peur, mais là, on tourne la page »
, affirme-t-il en conférence de presse. Le message cette fois est direct et audacieux.
On
serait fous de s’en passer veut inciter les jeunes, et particulièrement les 15-19 ans, à utiliser le condom. L’objectif : réduire de 10% l’incidence des
MTS d’ici un an. Parallèlement à la campagne, un fabricant distribue 50 000 condoms gratuitement par l’entremise des
CLSC. Une équipe de Musique Plus fait de même lors d’une tournée d’information auprès des jeunes dans 14 cégeps du Québec.
L’évaluation de cette campagne indiquera si oui ou non le message a été reçu et intégré. Car il s’agit bien ici d’un objectif de modification du comportement.
Parlez-moi d’amour
Depuis 1987, le cours
Éducation à la sexualité du programme de Formation personnelle et sociale est obligatoire pour les élèves du secondaire dans les écoles du
Québec. Environ cinq à sept heures par année sont consacrées à l’enseignement de cette matière.
« Les jeunes de nos écoles se disent plus ou moins satisfaits de la
formation qu’ils reçoivent à l’école qui, selon eux, est trop technique, ne laissant pas assez de place à leurs sentiments, à leur responsabilité en tant que personne »
,
soulignait Monique Richard, vice-présidente de la CEQ, lors d’un colloque sur les
MTS organisé par l’Association pour la
santé publique du Québec (ASPQ) l’automne dernier.
« En première secondaire, on m’a parlé de contraception et de MTS. En deuxième, on m’a redonné les informations sur
la contraception et les MTS que j’avais reçues l’année précédente »
, confie Claudine, 14 ans; j’espère qu’on va me
parler d’autre chose cette année », ajoute-t-elle.
L’éducation sexuelle à l’école continue de faire couler beaucoup d’encre. Plutôt que de faire appel à des spécialistes-les sexologues, par exemple, le ministère de
l’Éducation (
MEQ) a choisi de confier la responsabilité de l’enseignement de cette matière aux enseignantes et aux enseignants réguliers. La plupart du temps, ils n’ont reçu
eux-mêmes aucune éducation sexuelle et
« leur formation s’est souvent limitée à la remise du programme et des fiches méthodologiques. C’est facile de transmettre des
connaissances scientifiques aux jeunes, mais ce n’est pas parce que tu enseignes que tu es capable de parler des émotions et du vécu des jeunes »
, ajoute Monique Richard.
Dans son livre
Parlez-leur d’amour, la sexologue Jocelyne Robert, écrit que
« la matière est souvent dispensée par des professeurs qui n’ont pas l’ouverture
d’esprit nécessaire et il arrive qu’elle soit imposée à des enseignants qui l’ont en aversion »
.
Par cet enseignement, le
MEQ vise à rendre les jeunes autonomes et responsables face à leur sexualité. Comment l’école peut-elle atteindre cet objectif si elle ne peut
travailler avec les ressources externes qui lui sont nécessaires? Comment les enseignantes et les enseignants pourront-ils répondre aux besoins des jeunes qui en ont assez
d’entendre parler de sexualité en des termes qui n’incitent pas nécessairement à l’amour? Jocelyne Robert ne croit pas qu’il faille parler davantage de sexualité. Elle a le
sentiment qu’il est grandement temps d’en parler différemment.
« En tant qu’adultes, nous devons être attentifs aux besoins des jeunes. Ne pas croire que leurs relations
amoureuses sont une dynamique basée sur le sex machine. Ils n’ont plus envie de se faire parler de plomberie, de tuyauterie. Ils veulent entendre parler de
réciprocité, de tendresse, de respect mutuel, sans que soit exclue la notion du plaisir. »
La princesse désenchantée
En général, les médias transmettent une image très stéréotypée des rapports amoureux, davantage propagande pour le sexe que conception réaliste de l’expression de l’amour
entre deux personnes. Les vidéoclips, produit culturel tant apprécié des jeunes, sont loin de faire exception; les adolescents et les adolescentes passent en moyenne quatre
heures par semaine à regarder ces clips où ils reçoivent une information sur la relation amoureuse qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité.
Quand les clips véhiculent-ils un message qui laisse entendre que le risque de contracter une
MTS ou le sida est élevé
lorsqu’on a une vie sexuelle active avec plus d’un partenaire? Francine Duquet, sexologue-éducatrice à l’
UQAM, trouve
«
pernicieuse la vision des relations amoureuses que transmettent les vidéoclips »
. Pour elle, les clips présentent une sexualité de performance.
« C’est toujours la
grande passion qui, très souvent se résume au sexe… L’échec amoureux, le piétinement, les recommencements? Connais pas »
, dit-elle. Quelle déception vivra l’adolescente
qui, s’identifiant à son idole, ne connaît pas l’extase suprême promise par le vidéoclip et se fait « refiler » du même coup une chlamydia lors d’une première relation
sexuelle avec un nouveau partenaire? Pourra-t-elle compter sur les explications de ses parents pour comprendre?
Dis-moi, maman…
En matière de sexualité, les parents ne livrent pas de message explicite, pas plus ceux d’aujourd’hui que ceux d’hier. Qui d’entre nous, homme ou femme, père ou mère, peut
se vanter d’avoir reçu une éducation sexuelle? Plus rare encore celui ou celle qui reconnaît avoir reçu une éducation sexuelle comprenant l’éducation à l’amour, à
l’affectivité et au respect de soi et d’autrui. Certes, depuis la révolution sexuelle on parle plus ouvertement de sexe, mais pas nécessairement de la sexualité comme une
expression de l’amour.
Le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants est pourtant de première importance. Selon Jocelyne Robert,
« une recherche menée auprès des 15-17 ans montrait qu’ils
souhaitaient que leurs sources d’information sexuelle soient d’abord leurs parents »
.
« Je ne me sens pas à l’aise pour parler de sexualité avec ma mère, confie Isabelle.
On dirait qu’elle ne se souvient pas qu’elle a déjà eu mon âge. »
La communication sur la sexualité entre parents et enfants n’est pas toujours facile parce que le père ou la mère a peu de références en ce domaine.
« Pour eux aussi le
besoin d’être informés, de discuter, de comprendre existe. La société s’est-elle souciée de sécuriser les parents sur les nouvelles valeurs? »
, s’interroge Monique
Richard. Dans
Parlez-leur d’amour… , Jocelyne Robert invite les parents à accompagner leurs enfants dans la découverte de leur sexualité. Le titre à lui seul
contient un message d’espoir :
« celui d’intégrer la sexualité à la vie quotidienne, de percevoir la sexualité comme une des composantes d’un être normal et non pas comme
un mal nécessaire »
, souligne Lise Payette dans la préface du volume.
Un guide qui aborde franchement la sexualité
Entamer un dialogue franc sur la sexualité avec les jeunes vous intéresse? Si tel est le cas, le document audiovisuel de grande qualité que le Groupe Multi-Média du Canada
a mis récemment sur le marché pourrait vous être utile. Le
Guide sur la sexualité pour les jeunes s’adresse aux jeunes de 15 à 18 ans. Utilisant le dessin animé, la
vidéo aborde dans un langage simple, très explicite et teinté d’humour des sujets comme la première expérience sexuelle, la masturbation, la contraception, le plaisir,
l’hygiène, l’importance du respect de soi et des autres, les
MTS…
Le message de demain
Le consensus est de plus en plus large sur l’importance d’amener les jeunes à être responsables de leur sexualité. Plusieurs de celles et de ceux qui travaillent auprès des
jeunes sont d’avis que pour y arriver, il faudra se décider à leur parler globalement, sincèrement et positivement de la sexualité. « Parler de
MTS, sida, contraception et organes génitaux ne suffit plus », rapporte au
Devoir Lise Audet, infirmière rattachée au Service
jeunesse du
CLSC Centre-sud de Montréal. Les jeunes sont avides d’entendre parler d’amour, du coup de foudre
comme de la détresse du rejet; mais surtout des relations hommes-femmes et de l’apprentissage du plaisir. Ils ne veulent pas toujours des réponses, mais les échanges les
apaisent. Ils veulent qu’on les aide à former leur jugement. Marie-Andrée Legault, étudiante au secondaire, livre un message non équivoque aux adultes : « La plupart des
jeunes qui assument leur sexualité y recherchent l’affection, la tendresse et l’amour. Ils voient dans ce geste plus d’amour que peut-être vous-mêmes.