Aller directement au contenu

L’égalité vue par Léa Ilardo

« Ces liens entre les luttes environnementales et sociales s’unissent sous le principe de la justice environnementale. »

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :4 minutes

Léa Ilardo est analyste des politiques climatiques à la Fondation David Suzuki et membre du conseil d’administration d’ENvironnement JEUnesse. Elle est titulaire d’une maîtrise en études politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke. Aujourd’hui, elle articule son travail autour de la justice environnementale et des enjeux de santé publique liés aux changements climatiques. Léa a été très impliquée dans le mouvement étudiant de grève pour le climat des dernières années et collabore avec différents médias, dont 24 heures. Son objectif est de rendre accessibles les connaissances sur nos grands défis présents et à venir et de promouvoir des solutions novatrices.

Logo de la Gazette des femmes

Parlez-nous des liens qui unissent les luttes environnementales, climatiques et féministes en matière de justice sociale?

Prenons l’exemple d’une course. Nos sociétés sont traversées par toutes sortes de dynamiques, elles sont régies par plusieurs systèmes qui positionnent les gens à différents endroits sur la ligne de départ : le racisme, le sexisme, le colonialisme, etc. On s’entend, c’est injuste de démarrer une course 10 mètres derrière quelqu’un d’autre simplement parce qu’on est une femme ou parce qu’on est noir·e.

Le monde est plongé dans une crise environnementale sans précédent, y compris la crise climatique et de biodiversité. Selon notre position sur cette ligne de départ, nous n’y contribuons pas toutes et tous à la même hauteur, et nous sommes plus ou moins vulnérables aux impacts de cette crise.

Utilisons des exemples très concrets. Dans la plupart des pays du sud – qui contribuent le moins à la crise climatique –, les travailleuses agricoles cultivent des terres qui ne leur appartiennent pas, ce qui les rend vulnérables en période de sécheresse. Ce sont elles qui doivent parcourir des distances toujours plus longues pour trouver de l’eau. Résultat : 80 % des personnes déplacées en raison des changements climatiques dans le monde sont des femmes.

Dans les pays occidentaux, des études révèlent que les femmes sont aussi parmi les plus vulnérables aux bouleversements environnementaux. Leurs salaires sont plus faibles que ceux des hommes, elles sont majoritairement responsables du travail, souvent non rémunéré, lié au soin des personnes. Elles risquent davantage de subir des violences conjugales à la suite d’un événement extrême.

Bref, nous ne parviendrons pas à résoudre la crise environnementale sans nous attaquer à tous les autres systèmes d’oppression, et donc sans rassembler toutes les luttes sociales.

Ces liens entre les luttes environnementales et sociales s’unissent sous le principe de la justice environnementale, selon lequel personne ne doit supporter un fardeau disproportionné de risques environnementaux en raison de son genre, de sa nationalité, de son revenu et de sa couleur de peau.

Peut-on parler des bouleversements climatiques et environnementaux sans parler d’enjeux liés à la santé des femmes?

Apparemment oui, puisque les autorités ne semblent pas s’y intéresser sérieusement. Nous travaillons déjà à faire reconnaître le lien direct entre les bouleversements environnementaux – au premier rang, les changements climatiques – et la santé humaine. Ça paraît évident, et pourtant…

En ce qui concerne la santé des femmes spécifiquement, les recherches en santé publique parlent de plus en plus des enjeux distincts liés à leur santé en raison des dégradations environnementales. Un exemple parmi d’autres : on a fait le lien entre le stress prénatal chez les femmes enceintes (par exemple lors d’événements extrêmes) et les conséquences pour l’enfant à naître (troubles alimentaires, autisme). Les enjeux de santé psychologique sont aussi majeurs chez les femmes.

Cela veut dire qu’il nous faut développer une approche ciblée, que nous attendons toujours. La Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022-2027 affirme que « les décisions prises en lien avec l’environnement et les changements climatiques devront aussi tenir compte des impacts différenciés selon les sexes, ce qui peut également se réaliser grâce à une meilleure participation des femmes dans les lieux consultatifs liés à ces enjeux ». Or, le Plan pour une économie verte 2030, un document de 128 pages, ne mentionne pas le mot « femme » ou « genre ».

Je suis féministe parce que…

Je trouve cette question un peu déroutante. J’aurais juste envie de répondre « Non, mais quelle question! » Je suis féministe parce que les injustices sont, à mon avis, ce qui nous ronge le plus en tant que société. Et qu’il n’y a aucune bonne raison de donner moins de droits à une personne parce que son genre diffère d’une autre.

Je le suis également parce que je pense aussi qu’il est important de remettre en question ces catégories genrées sur la base du sexe biologique. Je le suis parce que j’entends encore aujourd’hui qu’une femme n’a pas pu faire le métier qu’elle rêvait d’exercer parce qu’elle est une femme. Je le suis pour toutes ces situations où nous nous disons « Voyons donc, ça n’a aucun sens que cela se passe comme ça. » Et je le suis parce que nous sommes puissantes!

Le plus sûr garant de l’égalité, c’est…?

La lutte contre tous les systèmes d’oppression.

Quel film, quel livre, quel reportage ou quelle série à saveur féministe vous a particulièrement touchée?

Le livre de bell hooks Ain’t I a woman. Ce titre fait honneur aux propos de Sojourner Truth qui, en 1851 lors d’une convention des suffragettes, dénonçait cette tendance à considérer l’expérience des femmes blanches comme celle de toutes les femmes.

Le livre de bell hooks est une critique constructive de l’effervescence du féminisme blanc des années 1970, qui parle des femmes comme d’un tout homogène. On y découvre la puissance du féminisme afro-américain, et du travail qu’il nous reste à accomplir pour faire advenir une réelle solidarité au sein des féminismes. Ce livre nous amène à nous poser les bonnes questions. Au-delà de celui-ci, tous les ouvrages de bell hooks sont à découvrir.