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La réalité de la voyageuse solitaire

Notre fille ou une amie annonce qu’elle voyagera seule. Notre réaction est-elle la même envers elle qu’envers un garçon?

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Julien, 22 ans, part six mois en Asie avec son sac à dos pour seul compagnon. Il en profitera pour explorer, réfléchir, découvrir de nouveaux paysages et faire d’enrichissantes rencontres. Une extraordinaire expérience, en somme! Mais percevrait-on cette aventure de la même façon si ce n’était pas Julien qui partait, mais… Julie?

Les jeunes des générations X et Y voyagent de plus en plus. Visiteurs exigeants, ils recherchent les découvertes, le dépaysement, les émotions fortes et l’enrichissement personnel. Ils veulent tout voir, tout goûter, tout faire!

« Nombre de jeunes étouffent ou s’ennuient, s’isolent sur Facebook, souligne l’anthropologue Franck Michel. Un tel contexte favorise l’envie de prendre la route, de découvrir le monde. » Selon l’expert du voyage, Internet et les réseaux sociaux amènent les jeunes à s’ouvrir sur le monde et les invitent au voyage, qui ne permet plus seulement de changer d’air, mais est souvent élevé au rang de projet de vie qui redonnera du sens à l’existence.

Et si les 18-35 ans voyagent plus, c’est aussi parce qu’on les encourage à découvrir le monde. Beaucoup d’établissements scolaires offrent des stages outre-mer ou des sessions d’études à l’étranger. Les employeurs tentent de s’accommoder du mode de vie nomade de leurs nouveaux employés, alors que l’industrie touristique s’adapte aux exigences et aux attentes élevées de cette tranche de la population, qui souhaite s’éloigner au maximum du connu et dépasser ses limites. Et pour ce faire, rien de tel que de partir en solo.

Seul et seule, c’est différent

Les jeunes voyageurs solitaires sont beaucoup plus nombreux qu’il y a 10 ans. Mais selon qu’ils sont de sexe masculin ou féminin, ils reçoivent encore des commentaires très différents de leur entourage avant le départ.

Alors qu’on encourage la témérité des jeunes hommes, les proches des jeunes femmes les dissuadent souvent de voyager sans « chaperon », ce qui serait trop dangereux pour elles. « Même si elles sont parfois vivement encouragées à partir seules, les femmes sont “prévenues” davantage que les hommes des risques qu’elles courent », explique Franck Michel, qui est aussi responsable de l’association Déroutes & détours, qui s’intéresse à l’univers du voyage et du tourisme sous tous ses aspects. « En raison de leur éducation ou de la pression qu’elles subissent, certaines se sentiront moins encouragées à faire le grand saut vers le voyage en solo, qui implique de l’inconnu et de l’imprévu. »

Vrai que le voyage en solitaire comporte plus de risques pour les femmes, selon les régions et les cultures. Mais même chez nous, être une femme est plus dangereux. Partout sur la planète, femmes et filles représentent la majeure partie des victimes de violence. Devrait-on s’empêcher de vivre ses expériences à l’étranger, considérant qu’être une femme est un « désavantage » partout?

De plus en plus de jeunes — et de moins jeunes — femmes font fi de ces avertissements. Étonnamment, il y aurait même plus de femmes que d’hommes qui voyagent en solo. Selon une étude de la Direction du tourisme française, 26,5 % de tous les voyageurs seraient des femmes en solitaire, contre 14,1 % d’hommes en solo. Une autre étude de l’International Student Travel Confederation et de l’Association for Tourism and Leisure Education en vient aux mêmes conclusions. Les jeunes femmes voyagent plus souvent seules qu’autrefois, et plus fréquemment que les hommes.

De l’avis de Franck Michel, diverses causes expliquent cet engouement féminin. « En voyage, plusieurs femmes se dépaysent et, plus encore, récupèrent d’un quotidien professionnel ou familial qui reste, hélas, trop pesant pour beaucoup d’entre elles. Souffrant moins du carcan masculin dans certains endroits, les femmes décident aussi, par le voyage, de mieux prendre en main leur destin. »

Selon l’anthropologue, de nombreuses voyageuses éprouvent aussi le besoin impératif de se trouver du temps pour elles. Pour certaines, le voyage devient un moyen de s’émanciper. Pour d’autres, il permet de rompre avec le quotidien, ou de se ressourcer.

Quelles que soient les raisons qui les poussent à des milliers de kilomètres de leur foyer, les jeunes femmes qui osent le périple à l’étranger en solitaire forcent l’admiration. La Gazette des femmes s’est entretenue avec quelques-unes de ces aventurières inspirantes.

Et ces voyageuses, tenteraient-elles de nouveau l’aventure en solitaire? Elles sont unanimes : absolument! Toutes s’entendent pour dire que le voyage en solo est une expérience inoubliable et enrichissante. Mais attention : pour vivre pleinement l’aventure, il faut s’y préparer. Selon ces expertes globe-trotteuses, les voyageuses devraient partir confiantes, prudentes, informées, prêtes à faire des compromis et, surtout, remplies d’une bonne dose d’ouverture d’esprit. Une fois ces éléments clés en poche, il suffit de se lancer. Et de se laisser émerveiller.


Delphine Duplain, 22 ans — A voyagé seule au Cambodge pendant deux mois

Pourquoi être partie seule?

Je suis partie travailler sur l’île de Koh Rong Samloem pour Marine Conservation Cambodia, un projet de conservation de l’environnement axé sur la protection des espèces marines menacées, notamment par la pollution qu’engendre le tourisme. J’avais eu la chance, auparavant, de voyager beaucoup et de profiter de la beauté de nombreux pays. Je souhaitais donner de mon temps en retour en contribuant à la protection d’un formidable endroit. J’avais également envie de tester mes limites et de me retrouver seule avec moi-même, libérée de toute contrainte, pendant un certain temps.

Photographie de Delphine.

Comment a réagi votre entourage à votre départ?

Plusieurs de mes amis m’ont répété qu’ils ne comprenaient pas mon choix, mais la plupart des gens que je côtoie étaient enthousiastes. Mes parents se sont montrés très réceptifs. Je crois qu’ils s’attendaient à mon départ, car j’ai toujours pris plaisir à partir à l’aventure!

En tant que voyageuse solitaire, avez-vous rencontré des difficultés?

Pas de difficultés majeures. Évidemment, je devais me plier à certaines exigences culturelles, en modifiant ma tenue vestimentaire, par exemple. Mais, grosso modo, je n’ai pas eu l’impression de rencontrer plus de difficultés qu’un homme qui voyage en solo.


Sabrina Dumais, 24 ans — A voyagé seule en Europe, au Proche-Orient et en Asie pendant 10 mois, et l’aventure continue…

Pourquoi être partie seule?

C’était plus qu’une envie. C’était un besoin de voir le monde, pour mieux le comprendre, pour lui donner une autre dimension et remettre mes idées en perspective.

Photographie de Sabrina.

Comment a réagi votre entourage à votre départ?

Je projetais de faire ce voyage depuis longtemps, donc mes proches n’ont pas été surpris. Ils m’ont beaucoup encouragée à relever ce défi. Même si j’ai dû quitter mon emploi, mes collègues m’ont offert beaucoup de soutien.

En tant que voyageuse solitaire, avez-vous rencontré des difficultés?

Oui, mais je n’ai pas vécu de sérieuses mésaventures, heureusement. Il m’est souvent arrivé de ne pas me sentir respectée en tant que femme. Dans certains pays, le regard des hommes, leur insistance, leur jugement, leurs paroles, leurs gestes peuvent être très blessants. Voyager seule n’est pas un handicap en soi pour les femmes, mais j’ai parfois dû revoir mon itinéraire pour assurer ma sécurité.

* Pour suivre les aventures de Sabrina Dumais, visitez son blogue http://jelefaispourmoi.com.


Annick Gaudreault, 21 ans — A voyagé seule en Australie et aux îles Fidji pendant quatre mois

Pourquoi être partie seule?

J’avais envie de changer d’air et de découvrir de nouvelles choses, mais surtout, je souhaitais perfectionner mon anglais. Je crois qu’apprendre une langue en étant accompagné d’un proche est plus difficile, car l’immersion est moins intense. Être seule m’a permis de maîtriser l’anglais plus rapidement.

Photographie de Annick.

Comment a réagi votre entourage à votre départ?

Certains membres de mon entourage ne semblaient pas avoir confiance en mes capacités. C’était inconcevable pour eux qu’une jeune femme parte seule à l’autre bout du monde. J’ai réussi à les convaincre, et à leur prouver que j’étais amplement en contrôle de mes moyens. Il faut toutefois souligner que plusieurs de mes amis étaient d’accord avec mon projet. Après tout, bon nombre d’universitaires et de jeunes professionnels prennent part à ce type d’aventure.

En tant que voyageuse solitaire, avez-vous rencontré des difficultés?

J’ai un caractère très fort, je ne me laisse pas facilement marcher sur les pieds, alors je n’ai pas rencontré de difficultés majeures. J’ai rarement craint pour ma sécurité, mais parfois le confort et la sécurité de la maison me manquaient. Je crois cependant qu’en tant que femme, il faut faire plus de compromis et de sacrifices dans un voyage en solo. Ce n’est pas toujours facile, mais au final, c’est payant, tant sur le plan culturel que personnel.


Émilie Beaudry, 23 ans — A voyagé en Tunisie, en Espagne, en Amérique du Sud et aux États-Unis pendant plusieurs mois

Pourquoi être partie seule?

J’ai ressenti le besoin de me libérer d’une certaine pression sociale et de réaliser un travail sur moi-même. Voyager seule m’apparaissait la bonne façon de le faire. Il faut comprendre aussi qu’en voyage, on n’est jamais vraiment seul. Je suis partie en solitaire, mais je n’ai jamais ressenti la solitude!

Photographie d'Émilie.

Comment a réagi votre entourage à votre départ?

Certains m’ont carrément traitée de folle, alors que d’autres, comme les membres de ma famille, m’ont énormément soutenue. Quelques personnes ont été incompréhensives, mais je crois que c’était un peu par envie. Partir seul demande une certaine force, un certain courage que plusieurs ne développeront jamais, malheureusement. Tout laisser derrière et partir vers l’inconnu, c’est difficile, surtout pour les femmes, car nous sommes moins encouragées à partir à l’aventure.

En tant que voyageuse solitaire, avez-vous rencontré des difficultés?

Quelques-unes. En Tunisie, alors que je me baladais avec un ami rencontré sur place, un homme a voulu m’acheter contre quelques dromadaires! Abasourdi, mon compagnon de fortune a évidemment refusé. Dans certaines cultures, le sexisme est très présent, ce qui peut engendrer des situations assez spéciales. Il faut être consciente des différences culturelles et s’y adapter. Il vaut mieux éviter certains lieux et situations si on veut voyager en toute sécurité, surtout si on est une femme seule. Mais, homme ou femme, on doit apprendre à se fondre dans la masse.


Gabrielle Brassard, 31 ans — A voyagé seule au Venezuela, en France et au Sénégal pendant quelques semaines

Pourquoi être partie seule?

Je suis partie en Amérique du Sud avec Alternative, un organisme de coopération internationale, pour réaliser un stage en technologies de l’information. Puis, je me suis rendue en Afrique et en Europe afin d’y réaliser des stages dans le cadre de ma maîtrise en journalisme international.

Photographie de Gabrielle.

Comment a réagi votre entourage à votre départ?

Les gens semblaient inquiets et m’ont conseillé d’être extrêmement prudente. Il existe encore beaucoup d’idées préconçues sur les voyages en solo, surtout quand c’est une femme qui part à l’aventure. Mais en général, on m’a encouragée. Mon entourage avait confiance en moi, en ma forte personnalité, mon ouverture d’esprit et mon autodétermination.

En tant que voyageuse solitaire, avez-vous rencontré des difficultés?

Comme femme, on se fait approcher différemment des hommes, autant en Amérique du Sud qu’en Afrique. Les hommes sont souvent en mode séduction lorsqu’ils nous abordent. Au Sénégal, je me suis fait demander en mariage plusieurs fois, souvent par des hommes qui avaient déjà une ou deux femmes! Les différences culturelles peuvent donner lieu à des situations assez particulières.