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Suivre des cours dans son salon

La formation à distance a-t-elle acquis, en même temps que la popularité, ses lettres de créance?

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La formation à distance a-t-elle acquis, en même temps que la popularité, ses lettres de créance? Je garde un excellent souvenir de « ma » formation à distance. Elle m’a fait découvrir des domaines nouveaux comme la génétique ou la science politique. Elle m’a permis de réaliser un rêve, être bachelière ès arts. Elle m’a donné-oserais-je le dire-un prétexte honorable pour rester à la maison pendant que toute la famille assistait à la messe dominicale. C’était en 1960. Combien étions-nous à l’époque à fréquenter ainsi l’université dans notre salon? Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que peu de gens croyaient alors à la formation à distance. Plus de trente ans plus tard, environ 125 000 personnes sont inscrites aux différents cours et programmes de formation à distance. Il y a vraiment de tout dans les répertoires des différents niveaux d’enseignement : de la formation générale et professionnelle, des cours de base, de mise à jour ou de développement personnel, donnant droit ou non à des crédits. Les 200 cours de niveau secondaire relèvent du ministère de l’Éducation (MEQ). Pour compléter la scolarité de base de 5e secondaire, on y trouve tous les cours menant à la certification. La formation professionnelle créditée est concentrée en administration, commerce et secrétariat. Toutefois, de nombreux cours de perfectionnement et de mise à jour non crédités sont offerts en bâtiment, mécanique, santé, traitement des eaux, informatique, etc. Depuis deux ans, le MEQ fait fureur avec Du français sans fautes, un cours entièrement individualisé grâce à l’informatique. Louise Demers veut rafraîchir son français après avoir travaillé longtemps en milieu anglophone. « J’ai reçu les résultats du test d’évaluation. Je connais maintenant mes faiblesses et je sais combien de boucles d’apprentissage je devrai réussir pour les surmonter. A moi d’y mettre le temps et les efforts. » En 36 mois, près de 75 000 personnes ont fait comme Louise. L’ensemble des autres cours du MEQ ont cumulé 32 655 inscriptions au cours de la dernière année. « C’est un succès sans précédent pour une approche unique au monde », souligne Michel Decelles, directeur général de la formation à distance au MEQ. La formation à distance de niveau collégial relève d’un tout nouveau centre géré par le Collège de Rosemont. Ce Centre offre actuellement une trentaine de cours de formation générale (mathématiques, sciences humaines, philosophie et français) et de formation professionnelle (administration, arts et communications). Le 5000e étudiant s’est inscrit en mars dernier. « L’objectif, explique Sylvie Malaison, responsable de la recherche et du développement, est d’atteindre 25 000 étudiants et d’offrir une centaine de cours d’ici 5 ans. » L’Université, pionnière des cours télévisés, a poursuivi dans cette voie. Les différentes universités québécoises sont regroupées en une corporation appelée CANAL qui leur procure un canal de diffusion exclusif à Montréal, Québec, Sherbrooke et Chicoutimi. Les cours sont rediffusés à différentes heures et disponibles sur vidéocassettes. Chaque année, entre 8000 et 10 000 étudiantes et étudiants syntonisent CANAL. Radio-Québec reprend les cours les plus en demande pour les rendre accessibles à toutes les régions. Dès sa fondation en 1972, l’Université du Québec a fait du télé-enseignement une priorité, au point de créer une constituante dont c’est l’unique mission : Télé-université. Cette constituante accueille environ 2000 étudiantes et étudiants par année. Elle a décerné jusqu’à maintenant quelque 7000 diplômes rattachés au baccalauréat en communications et à une dizaine de certificats. Chaque époque a ses programmes vedettes. Présentement, l’informatique appliquée à l’éducation, la gestion de bureau, la science et la technologie ont la faveur. Les femmes sont de grandes consommatrices de formation à distance. A la Télé-université, elles comptent pour deux tiers des inscriptions. Elles ont pour la plupart entre 30 et 50 ans et 80% d’entre elles travaillent à l’extérieur du foyer. Il n’y a pas si longtemps, la proportion hommes-femmes était égale. C’est encore le cas à Laval et à Sherbrooke ainsi qu’au collégial. Par contre, l’Université de Montréal, dont les programmes sont axés sur la santé, attire une clientèle féminine à 80% . Enfin, au secondaire, l’écart entre les hommes et les femmes s’élargit progressivement. Au cours de la dernière année, le pourcentage de femmes est passé de 52, 5% à 55% . A ce niveau, la clientèle est aussi plus jeune : elle a entre 25 et 35 ans.

L’école sur mesure

« Petite fille née au fond d’un rang de campagne, là où il n’y a que bois et chemins rocailleux. Seule avec ma solitude et quelques vieilles poupées de chiffons pour amies. Mon état de santé trop précaire pour aller à l’école. J’ai enfin réussi le grand rêve de mon enfance. » Ce rêve dont parle Lucette Rivard c’est un recueil de poèmes intitulé Fragilité qu’ont publié les Editions D’ici et d’ailleurs de Val-d’Or. Sans la formation à distance, ce rêve serait resté lettre morte. Lucette Rivard a commencé à lire et à écrire à l’âge de 17 ans, un lourd handicap l’ayant retenue à la maison. « J’utilisais de vieux livres de classe, des journaux, des catalogues », se rappelle-t-elle. A 20 ans, elle se cherche une école, quitte à s’éloigner de son village natal de Sainte-Rose-de-Poularies en Abitibi. « Partout, on avait une bonne raison pour me refuser : école réservée aux gens de la place, âge limite dépassé, etc. Personne ne me parlait de cours par correspondance. J’ai appris leur existence plus tard par une annonce dans le journal. » Elle s’inscrit à un premier cours. Au début des années 80, elle obtient une attestation de 5e secondaire en français. Elle peut maintenant donner forme au langage poétique qui l’habite. Lucette Rivard a aujourd’hui 44 ans. La formation à distance continue de lui être essentielle : elle est clouée à un fauteuil roulant depuis quinze ans.

Formule avantageuse?

On comprend facilement que l’idée de travailler à son rythme, chez soi, en profitant d’une aide personnalisée soit séduisante pour qui doit concilier les exigences de la vie professionnelle et de la vie personnelle. « Quand on a un enfant, qu’on a commencé ses études à Sherbrooke et qu’on travaille à Montréal, il est plus facile de compléter son bac sans se déplacer, en évitant les frais de gardienne, convient Jocelyne Chamberland. Grâce aux cinq cours que j’ai suivis à la Télé-université, j’ai obtenu mon baccalauréat en travail social. L’autre choix, c’était la fin de semaine intense une fois par mois à Sherbrooke. Je trouvais cela astreignant, sans compter les frais. De plus, ce n’est jamais simple pour une mère de s’absenter. » La formation à distance permet de lever d’autres barrières. Celle de l’éloignement : la poste et la vidéocassette rejoignent les coins les plus éloignés. Celles liées au travail de quart, de soir ou de nuit ou à une mobilité réduite. Celles d’ordre pédagogique : rattrapage, besoin d’un enseignement individualisé, apprentissage lent, etc. Celles plus subtiles qui relèvent de la psychologie : blocage face à l’école, manque de confiance en soi et peur d’être ridiculisé, difficultés de concentration. La formation à distance ne convient pas à tout le monde pour autant. Elle est contre-indiquée pour les personnes peu autonomes, peu disciplinées, qui n’ont pas acquis de bonnes habitudes de travail, pour celles qui ont besoin de stimulation externe ou qui souffrent d’isolement. « Il ne faudrait pas que la formation à distance contribue à isoler davantage certaines femmes, fait remarquer Sylvie Malaison. Nous devons en tenir compte dans la pédagogie et proposer des activités qui obligent à faire appel aux ressources du milieu. » « C’est parfois lourd de travailler seule. Il y a des jours où la stimulation d’un groupe vous manque » , constate Jocelyne Chamberland. Marie-Hélène Boucher s’était inscrite au cours CAFÉ de l’Université de Montréal pour combler ses lacunes en français et ainsi éviter d’être recalée à l’université. Elle a abandonné après avoir complété et réussi deux des trois volets nécessaires pour être exemptée de l’examen d’entrée. « Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’une présence, de contacts humains, pour assimiler une matière de façon permanente » , raconte-t-elle. Il ne faut pas se leurrer, il faut du courage pour se plonger dans ses livres après une journée de travail. Sans compter que c’est du temps qu’on n’a pas pour son conjoint, sa famille, ses amis. Ces efforts, les étudiantes et les étudiants les consentent le plus souvent dans le but d’améliorer leur sort sur le marché de l’emploi. « Sans bac, j’étais classée technicienne en travail social. Avec le bac, je commande un meilleur salaire et je peux postuler des emplois plus élevés » , confirme Jocelyne Chamberland. Les retombées sont souvent immédiates. « Les étudiantes du certificat en Gestion du travail de bureau nous disent qu’après un ou deux cours, l’organisation de leur travail s’en ressent, la communication avec les cadres s’améliore car elles parlent le même langage » , rapporte Élise Fournier, adjointe à la Direction de l’enseignement et de la recherche de la Télé-Université. Encore faut-il que la formation reçue ne soit pas considérée comme une formation à rabais. Ce défi a été relevé. Les institutions d’enseignement ont réussi, au cours de la dernière décennie, à donner à la formation à distance une crédibilité qui lui faisait défaut. Les cours crédités font partie de programmes structurés. Les contenus, les critères et l’évaluation sont les mêmes que pour les cours donnés en établissement. La formation est équivalente et reconnue comme telle.

Adaptation nécessaire

Les formules d’encadrement sont un élément important de la formation à distance. Une difficulté surgit, un point exige des explications supplémentaires? Il suffit de communiquer avec un tuteur qui aidera à franchir l’obstacle. Les tutrices et les tuteurs sont sélectionnés et formés avec soin. A la Télé-université, ils prennent l’initiative de la communication au moins trois fois par cours. Des rencontres de groupes peuvent fournir un soutien additionnel. L’Université de Sherbrooke organise avec succès des ateliers dans les grands centres si le nombre le justifie, mais à l’Université Laval, l’expérience a été différente. « La fréquentation n’a pas été significative, nous dit Denis Grenier, directeur de la formation à distance. De telles rencontres sont d’ailleurs en contradiction avec le concept. » Constatation plutôt étonnante, la clientèle étudiante sous-utilise à peu près partout les services d’encadrement offerts. « Les consignes sont claires, les corrections sont annotées de sorte que je n’ai pas senti le besoin de communiquer avec mon tuteur » , explique Jocelyne Chamberland. « Les personnes qui s’inscrivent ont une bonne dose d’autonomie », rappelle Denis Grenier. « Les étudiants qui téléphonent une première fois récidivent », a constaté Isabelle Dunigan de l’Université de Sherbrooke. A la Télé-université, cette sous-utilisation suscite des interrogations. « Nous avons entrepris un examen de nos pratiques d’encadrement, nous dit Elise Fournier, afin de voir s’il n’y a pas lieu d’améliorer ou de changer la formule. » Les responsables de la formation à distance ne dorment pas sur leurs lauriers. Ils sont à l’écoute de leur clientèle et de ses besoins. L’augmentation de la clientèle féminine a eu des impacts sur l’offre de cours. Des cours sont maintenant disponibles dans les domaines où elles sont le plus actives. Ils sont parfois conçus en collaboration avec des groupes professionnels. Ainsi, l’École des Sciences infirmières de l’Université Laval offre depuis cet été des cours sur le système de santé québécois, mis au point avec l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. La Télé-université a bâti son certificat en Gestion de travail de bureau à la demande de l’Association des secrétaires de direction. Le certificat en administration tient compte des besoins des femmes collaboratrices. Au collégial, la formation professionnelle en administration rejoint de plus en plus de femmes. Depuis 1982, par exemple, les agricultrices s’inscrivent en grand nombre aux cours de gestion agricole. Une nouvelle série sur les techniques de services de garde entrera en ondes à Radio-Québec, probablement en janvier 1993. Une tendance est nette au secondaire comme au collégial : la formation générale a la faveur et la formation professionnelle est en chute libre. Pourquoi? « Les cours de rattrapage (vers la 5e secondaire) financés par le gouvernement pour remettre les gens au travail y sont sans doute pour quelque chose, avance Michel Decelles. Deux raisons principales expliquent par ailleurs la faiblesse de l’offre en formation professionnelle. Pour un grand nombre de programmes, le bassin de clientèle est trop restreint. De plus, il faut nous démarquer du champ qu’occupent les commissions scolaires. » La formation à distance doit sa croissance aux avantages de la formule-accessibilité, souplesse et individualisation de l’apprentissage notamment-, aux efforts qui ont été faits pour lui donner des assises solides de qualité et de diversité, à la capacité des différents réseaux de se coller à la réalité contemporaine et de suivre l’évolution, celle des femmes en particulier. La technologie accuse toutefois un certain retard. La télévision est beaucoup moins utilisée, les émissions fort peu sophistiquées contrairement aux prédictions des gourous d’hier. Ni l’argent, ni la volonté n’ont été au rendez-vous. Est-ce pour demain? Le Centre collégial de formation à distance lorgne du côté de la télévision interactive, le MEQ nourrit quelques projets et la Télé-université adopte une attitude prudente en attendant que la télématique ait vraiment fait ses preuves.