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Voir autrement, faire différemment

Les femmes qui travaillent dans les médias tentent à la fois de s’attaquer aux structures qui freinent leur progression …

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Les femmes qui travaillent dans les médias tentent à la fois de s’attaquer aux structures qui freinent leur progression et d’offrir des images et des propos qui reflètent davantage leur réalité. Il y a cinq ans, la Philippine Cecilia Lazaro quittait son emploi dans une station de télévision pour fonder une petite maison de production qui réalise notamment un magazine télévisé de journalisme d’enquête. « Au début, rappelle la présidente de Probe Productions, personne ne croyait que ce serait commercialement viable parce que nous n’avions ni vedettes, ni jolies femmes, ni images attirantes et que le contenu n’était pas léger du tout. Aujourd’hui, les stations nous copient! « Travailler à l’extérieur des grands réseaux favorise l’innovation parce qu’on n’a pas à se battre contre une structure ou contre une longue série de règles qui définissent ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Nous pouvons servir de modèle à l’industrie de la télédiffusion. » Production d’émissions de femmes, création d’organisations indépendantes qui accroissent leur marge de manœuvre, programmes d’équité en matière d’emploi : plusieurs outils sont mis à contribution pour favoriser l’avancement des femmes dans le milieu du cinéma et de la télévision. Ces stratégies de changement de l’univers médiatique, une cinquantaine de femmes des quatre coins du monde en ont discuté l’automne dernier à Montréal à l’initiative de l’Office national du film ONF. « Aucune stratégie ne peut être efficace si elle est appliquée seule, peu importe qu’il s’agisse d’équité en matière d’emploi, de formation ou de choix des thèmes abordés, affirme Joan Pennefather, présidente de l’ONF. Toute initiative individuelle appliquée de façon purement isolée est comme une chaise en équilibre sur un seul pied. Ce qu’il faut, c’est un programme qui intègre tous ces éléments. » .

Des exemples

« Plusieurs cinéastes ont pu réaliser chez nous leur premier film, fait valoir Kathleen Shannon, fondatrice du Studio D, la première unité de production féministe au monde mise sur pied en 1974 par l’ONF. Elles n’auraient probablement pas eu la possibilité de le faire ailleurs. Je crois qu’il faut faire en sorte que les femmes soient parfaitement intégrées dans les structures existantes, à tous les niveaux. Mais nous avons aussi besoin de lieux pour travailler entre nous. » Aux Philippines, la Women’s Media Circle Foundation (WMCF) mise sur pied en 1985 sous le régime dictatorial de Ferdinand Marcos, a produit les premières émissions radiophoniques et télévisuelles « faites par et pour les femmes ». Aucun développement ne serait possible, était-on convaincu, sans une amélioration de la condition des femmes. D’abord réalisée par un petit groupe de bénévoles et diffusée sur les ondes d’une station contrôlée par le gouvernement, l’émission radiophonique Womanwatch était en tête des cotes d’écoute quatre ans plus tard. On en a fait une version télévisée. « Les gens se rassemblent dans les villages pour l’écouter », raconte Anna Leah Sarabia., directrice de la WMCF, qui attribue la popularité de l’émission au fait qu’elle s’intéresse à la situation et aux préoccupations des femmes « du peuple ». Mis sur pied en 1978 par l’UNESCO, le Women’s Feature (WFS) s’est donné comme mission de véhiculer une image juste des femmes du Tiers monde et de faire connaître leur point de vue dans les grands journaux. Cette agence de presse unique en son genre achemine chaque année aux 1000 publications abonnées quelque 600 grands reportages réalisés dans une soixantaine de pays en voie de développement. « Les articles adoptent un point de vue progressiste et sont rédigés par une centaine de femmes journalistes professionnelles, que nous employons à titre de pigistes » , explique la directrice de l’agence, Anita Anand. Les champs d’intérêt du WFS vont de la santé aux migrations de population en passant par l’environnement et la participation à la vie politique. Anita Anand croit qu’il est temps, tout en maintenant une programmation alternative, de viser un plus large public. « Il faut comprendre les stratégies et les techniques employées pour les productions grand public et les mettre au service de ce que nous avons à dire. Prenons l’exemple de Salaam Bombay. En réalisant un film de fiction avec des moyens très professionnels, Mira Nair a fait voir la réalité des enfants de la rue à un très vaste auditoire qu’elle n’aurait pu rejoindre avec une production plus modeste. »

Formation et sensibilisation

Depuis la création de son programme d’équité en matière d’emploi en 1987, l’ONF a offert aux femmes plus de 25 programmes de formation dans des secteurs de production où elles étaient sous-représentées (éclairage, réparation de caméras, enregistrement musical, prise de son). Pendant la même période, la proportion de femmes dans les équipes techniques passait de 15% à 25% . La formation d’un plus grand nombre de femmes, assortie d’une sensibilisation à la question des stéréotypes à l’écran, devrait figurer très haut sur la liste des priorités, soutient Sally J. Cloninger, professeure au Evergreen State College, dans l’État de Washington. « Ce type de sensibilisation auprès des productrices de radio et de télévision a eu un impact énorme qui s’est traduit par une programmation beaucoup plus sensible à la question des femmes » , observe Jai Chandiram, codirectrice du Central Institute of Educational Technology de New Delhi. Un des programmes très utilisés à cette fin en Asie permet d’analyser, au moyen de cassettes vidéo, de textes et d’exercices, comment certains thèmes reliés aux femmes sont présentés dans les médias. Une fois ce retour critique effectué, les participants et les participantes au programme proposent d’autres façons plus innovatrices et constructives de traiter ces sujets. A la fin de l’été 1992, Sally J. Cloninger a donné un cours intensif en production vidéo à une douzaine de Sri Lankaises. Bien que sept d’entre elles n’avaient, au départ, absolument aucune expérience, les étudiantes ont réalisé en quatre semaines de cours deux productions d’une dizaine de minutes. L’une d’entre elles Harassed est la première vidéo sur le harcèlement sexuel réalisée au Sri Lanka. « Une des participantes, explique Mme Cloninger, a décidé de raconter, pour les fins du document, un acte de harcèlement violent dont elle a été victime, tout en sachant que ce geste ne serait pas sans conséquence pour elle. Je pense qu’elle n’aurait pas eu la force de briser le silence si elle n’avait pas pris part activement à la préparation de la vidéo. » A travers le monde, des initiatives d’envergure variable visent l’amélioration de la place des femmes dans les médias. Qu’il s’agisse de programmes institutionnels dans les pays occidentaux ou de projets ponctuels en Afrique ou en Asie, toutes ces actions contribuent à assurer une meilleure représentation des femmes et à offrir aux auditrices et lectrices un reflet plus juste de leur réalité.