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La science a-t-elle un sexe?

De l’avis de Claire Deschênes, hommes et femmes possèdent une vision complémentaire, autant dans leur choix d’études que dans la façon d’aborder les problèmes : «La primatologue anglaise Jane Goodall a révolutionné son champ d’étude en décidant d’aller vivre avec ses chimpanzés.

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De l’avis de Claire Deschênes, hommes et femmes possèdent une vision complémentaire, autant dans leur choix d’études que dans la façon d’aborder les problèmes : « La primatologue anglaise Jane Goodall a révolutionné son champ d’étude en décidant d’aller vivre avec ses chimpanzés. Sa contribution vient du fait qu’elle s’est mise à observer l’ensemble de la famille, sans craindre de s’attacher à ses sujets. Elle a ainsi pu montrer que les chimpanzés utilisaient des outils pour aller chercher les termites et surtout qu’ils possédaient chacun une personnalité propre. »

Les femmes auraient tendance à privilégier une vision globale des choses et à être beaucoup à l’écoute des populations affectées par le problème étudié. Ces attitudes ne sont évidemment pas leur monopole. Toutefois, si l’on en croit les réalisatrices de la vidéo Asking Different Questions: Women and Science, réalisée en 1996 par Gwynne Basen et Emma Buffe, ce serait une caractéristique commune à beaucoup d’entre elles.

Une histoire tirée de ce film le démontre bien. En 1902, une jeune médecin, Alice Hamilton, se trouvait à Chicago pour combattre une épidémie de typhoïde. Or, au lieu de se concentrer uniquement sur le dépistage et le traitement des malades, elle s’est demandé pourquoi les enfants des quartiers pauvres étaient plus atteints que les autres. Elle a découvert que les égouts de ces quartiers, qui n’avaient pas été réparés depuis longtemps, contenaient des eaux souillées où pullulaient les mouches. Cette découverte mena à la réorganisation du Département de santé publique de Chicago. Alice Hamilton devint d’ailleurs la première femme à enseigner à la Faculté de médecine d’Harvard.

Catherine Potvin, spécialiste des puits de carbone dans la forêt tropicale, consacre elle aussi beaucoup de temps à rencontrer les villageois pour les aider à développer des projets d’agriculture non traditionnelle capables d’augmenter la captation de carbone et diminuer ainsi l’effet de serre.

Les femmes de science montreraient donc une prédilection pour le croisement des savoirs, une vision plus empathique, moins technologique. Soit, mais la différence ne se limite pas à ces seuls éléments, affirment d’autres chercheuses. D’après Monique Frize, les femmes posent un regard différent sur le savoir scientifique luimême.

L’une des recherches de Monique Frize consiste à analyser les différences dans les accidents survenus aux filles et aux garçons transportés à l’urgence. « Je n’ai pas vu beaucoup d’études qui comparaient ainsi les deux sexes. On fait comme s’il n’y avait pas de distinction! » Selon elle, la science ignore encore trop souvent que les femmes ont une physiologie et un métabolisme différents des hommes. « Plusieurs médicaments ne sont testés que sur des cobayes masculins. Ils sont conçus pour l’homme blanc de 70 kg. » Et toutes les études évaluant l’effet du café sur le cœur ont été réalisées sur des hommes seulement, critique la chercheuse.

Dans un autre secteur, les travaux de Karen Messing, professeure à l’UQAM et membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE), prouvent bien que les femmes peuvent porter un regard différent sur le savoir scientifique. Depuis plusieurs années, cette biologiste se penche sur des problèmes vécus par des travailleuses souvent ignorées par les études d’ergonomie. Elle a notamment mis en lumière le fait que les femmes de ménage étaient exposées à des produits toxiques, tout comme les ouvriers d’usine. Et que les postes de travail de certaines manufactures étaient mal adaptés à leur main-d’œuvre féminine.

« En ce qui concerne les équations et les méthodes d’analyse, les femmes ne se différencient pas des hommes, nuance Claire Deschênes. Mais pour analyser la façon de faire la science, il faut aussi tenir compte du choix des questions de recherche et de la manière d’organiser le travail. »

Louise Proulx, elle, n’a jamais observé de différence entre les deux sexes dans la manière de faire de la science. Elle concède toutefois que les femmes acceptent plus volontiers que leurs collègues masculins de collaborer avec des chercheurs d’autres disciplines, comme l’exigent de plus en plus les organismes subventionnaires. « Avec les hommes, poursuit-elle, nous devons parfois faire des mariages forcés! »