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L’école pour tous

Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, n’a pas peur d’appeler un chat un chat.

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Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, n’a pas peur d’appeler un chat un chat : oui, les garçons décrochent plus que les filles, statistiques à l’appui. Son point de vue sur les répercussions, les causes et les solutions.

Lors de son discours inaugural le , le premier ministre Jean Charest classait l’éducation parmi les cinq voies de l’avenir du Québec. Pour lui donner la place qui lui revient, une solution: intensifier les efforts pour favoriser la réussite scolaire des enfants, notamment des garçons.

Car les statistiques démontrent qu’un écart se creuse entre filles et garçons depuis les années . « Ça fait longtemps que la Fédération des commissions scolaires du Québec suit les recherches sur la persévérance et la réussite scolaire et participe à tous les débats, explique Josée Bouchard, présidente de la Fédération et ex-présidente de la Commission scolaire du Lac-Saint-Jean. Et force est de constater que les garçons réussissent moins bien que les filles. Nier cette réalité, de crainte de stigmatiser les garçons, par exemple, équivaut à faire l’autruche. »

Pourquoi s’en inquiète-t-on plus aujourd’hui? « Le milieu, particulièrement en région, a beaucoup axé son travail sur la persévérance scolaire; c’est en analysant les statistiques qu’on a établi cet écart entre la réussite des filles et celle des garçons comme un problème. On ne peut pas se priver d’eux, ni des filles. Tous les jeunes, quel que soit leur sexe, sont notre avenir. »

Depuis 40 ans, le Québec connaît une baisse démographique. Déjà, des besoins en main-d’œuvre ne sont pas comblés, observe Mme Bouchard. « C’est le cas dans beaucoup de domaines, dont ceux traditionnellement occupés par des garçons. Par exemple, on connaît une pénurie d’opérateurs de machinerie, de plombiers, de préposés à l’entretien, pour ne parler que des métiers qui demandent une 5e secondaire. Il manque également de garçons dans les techniques au collégial. » On pourrait aussi parler de médecins généralistes, d’anesthésistes, de géologues, d’orthopédagogues, bref, de beaucoup de professions où l’on cherche déjà à pourvoir des postes.

Encourager les filles à se diriger vers des métiers traditionnellement masculins : voilà une partie de la solution. On élargirait ainsi le bassin de main-d’oeuvre potentielle en plus de faire augmenter le salaire moyen des femmes qui, comme secrétaires, coiffeuses ou esthéticiennes, gagnent moins que les hommes qui pratiquent des métiers traditionnellement masculins, comme opérateur de machinerie lourde.« Ce serait l’idéal, approuve Josée Bouchard. Mais c’est un défi important. Déjà que les métiers ne sont pas valorisés au Québec, encore moins les métiers non traditionnels pour les filles… »

La présidente de la Fédération explique que si, depuis des décennies, on fait moins d’enfants, ceux qui sont là ne sont pas assez rapidement diplômés. « Ça retarde leur entrée sur le marché du travail, alors que nous ferons face à des départs massifs à la retraite et qu’il y aura des centaines de milliers d’emplois à combler… Le décrochage est donc un gros problème. »

Au-delà des clichés « victimisants » (l’école empêche les garçons de bouger) et des controverses démagogiques (il n’y a que des femmes comme modèles à l’école), le désinvestissement scolaire des garçons préoccupe Josée Bouchard, autant qu’il inquiète tout le réseau de l’éducation.

« Si on pense que le décrochage est dû à un trop grand nombre de modèles féminins dans l’enseignement, je crois qu’on se trompe. Ce n’est pas un bon diagnostic. »De plus, ajoute celle qui a été formée en ethnologie, les recherches démontrent qu’un grand nombre d’enseignantes n’a pas d’influence sur la réussite.

D’autres facteurs plus déterminants expliquent le désinvestissement scolaire des garçons. « Le nombre élevé de divorces ou de séparations depuis les années , par exemple. Qu’on le veuille ou non, beaucoup de garçons se sont retrouvés avec leur mère, qui en obtenait la garde. Quand je dis cela, je ne juge rien, j’observe. Or en éducation, l’un des piliers de la réussite d’un enfant, c’est l’implication des parents dans l’accompagnement aux devoirs, le fait qu’ils le suivent dans ses activités scolaires, qu’ils s’investissent au quotidien. Si c’est toujours la mère qui s’implique, il manque un modèle d’investissement de soi, celui du père. » Selon Mme Bouchard, il ne faut pas craindre de nommer cette cause.

  1. Taux d’obtention d’un diplôme du secondaire selon le sexe
    Sexe 1
    Garçons 78,6 % 81,8 % 83,9 %
    Filles 92,7 % 93,1 % 92,9 %

    1 Estimations

    En , le taux d’obtention d’un diplôme du secondaire observé chez les élèves du Québec était de 91 %, soit neuf points au-dessus de la moyenne observée pour l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

    En , 18,3 % des personnes de 19 ans (dont 23,2 % de gars et 13,1 % de filles) n’avaient pas de diplôme du secondaire et ne fréquentaient pas l’école. Cette proportion était de 40,5 % en .

    Source : ministère de l’Éducation, du Josée Bouchard Loisir et du Sport

Valoriser l’enseignement pour le bien de tous

Elle estime tout de même dommage que l’école soit privée d’une plus grande présence masculine. Imputant ce problème de recrutement des hommes en éducation à un manque d’intérêt pour l’éducation en général, Josée Bouchard déplore que le Québec ne valorise pas l’instruction au sens large, et l’école publique en particulier. « Tout ce qu’on entend au sujet des profs, c’est qu’ils font un boulot épuisant et que ça va mal pour eux! » Mais elle relève un autre problème. « Les hommes qui excellent en sciences et en maths, par exemple, choisiront plus souvent le prestige et la rémunération d’emplois comme ingénieur, médecin ou chercheur, plutôt que d’enseigner ces matières. Si on valorisait l’enseignement, si les gens admiraient ce métier, plus d’hommes s’y intéresseraient. »

Peut-être. Mais une autre raison devrait encourager les hommes à enseigner. « Avoir plus d’hommes au primaire et au secondaire est souhaitable […], pas seulement pour les modèles qu’ils offrent aux garçons, mais parce que la mixité est ce qui est le plus “nourrissant”. Que les femmes et les hommes offrent leur approche, c’est ce qui importe. J’ai commencé l’école en , année de la création du ministère de l’Éducation, et je suis toujours allée dans des écoles mixtes publiques. Je crois que c’est une formule pleine de bon sens. » Le point d’ancrage de sa réflexion? Toute leur vie, garçons et filles vivront et travailleront ensemble. « De plus, les recherches ne sont pas du tout éloquentes quant au fait que séparer garçons et filles à l’école permette aux deux groupes de bien réussir. Ce qui compte, c’est la pédagogie, les activités, l’implication des parents. Voilà ce qui fera une différence dans la réussite des garçons tout comme des filles. »

Quant aux incitations financières pour attirer les hommes dans la profession, la présidente doute de leur efficacité. « Ce n’est pas une panacée, et surtout, je pense que les enseignants doivent choisir leur métier pour les bonnes raisons et croire à ce qu’ils font. Il faut être prudent avec les incitations financières… Va-t-on dire à une enseignante qu’elle vaut moins qu’un gars? Allons-y avec tact et prudence… »

Pour la lecture… et les tableaux

Selon Josée Bouchard, le problème de décrochage des garçons repose d’abord sur une question développementale.« Parce qu’ils “maturent” un peu plus tard que les filles, ils sont moins intéressés par la lecture dès que l’école commence. Or la lecture (et tout ce qui vient avec, c’est-à- dire la communication et le langage) est la clé de la réussite. »S’il y a une chose sur laquelle les recherches ne se contredisent jamais, poursuit-elle, c’est bien l’importance de la lecture. « Récemment, le président de Manufacturiers et exportateurs du Québec, Simon Prévost, l’a dit : il faut que nos jeunes travailleurs s’améliorent en français et en mathématiques, afin de pouvoir déchiffrer des problèmes. Et ce, même s’ils orientent leur choix de carrière vers un métier manuel qui n’exige pas d’études universitaires. La lecture, c’est la base de tout », rapporte-t-elle.

Et les tableaux interactifs? Josée Bouchard les approuve entièrement. « Si on veut prendre le virage technologique avec nos jeunes et les intéresser à l’école, il faut adopter ces nouvelles technologies. Elles ont des répercussions sur les approches pédagogiques, notamment parce que leur utilisation capte l’attention et des filles, et des garçons. » À l’argument voulant que l’on offre aux jeunes des joujoux électroniques en guise de pédagogie, Josée Bouchard répond que ce n’est pas la première fois qu’une invention bouleverse le monde… « Souvenez-vous quand la télé a été inventée; les gens se désolaient de ce changement. Bien sûr, si les parents ne contrôlaient pas la fréquence à laquelle leurs enfants la regardaient, il y avait des dérapages. » C’est la même chose pour les nouvelles technologies. « Il y a des règles. C’est notre rôle d’éducateurs d’ouvrir les horizons des jeunes, et c’est aussi celui des parents, comme de la société, de s’impliquer dans la réussite scolaire des enfants. »