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Les mots-clics au cœur des actions féministes

Des mots-clics pour dire, pour éveiller, pour former un « nous » retentissant

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De #MeToo à #Mecsplication, en passant par #Manspreading et #FreeTheNipple, les féministes usent couramment des mots-clics sur les réseaux sociaux pour informer, témoigner, conscientiser, dénoncer et mobiliser. Coup d’œil sur une pratique devenue incontournable pour quiconque aspire à transformer la société.

Informer, conscientiser et mobiliser

Lors du référendum sur la légalisation de l’avortement en Irlande, en mai dernier, #Together4Yes, #RepealThe8Th (en référence au huitième amendement de la Constitution), #Together4Tomorrow et #8thRef sont apparus sur Twitter. Entre autres employés par les féministes irlandaises, ces mots-clics ont notamment été utiles pour promouvoir l’option du « oui » (en faveur de la légalisation) et pour contrer la désinformation auprès d’un vaste public.

Dans les semaines qui ont précédé le vote, elles ont relayé sans relâche divers contenus sur les réseaux sociaux : statistiques, témoignages de femmes, points de vue d’experts et prises de position politiques – incluant celle du premier ministre Leo Varadkar. Au plus fort du débat, les mots-clics ont donc facilité, sans s’y restreindre, la recherche d’informations et le repérage d’actions citoyennes en cours et à venir : manifestations, pétitions en ligne, performances artistiques, etc. C’est aussi grâce à ces mots-clics que nous avons été en mesure de manifester notre solidarité envers les militantes féministes irlandaises, mais aussi toutes les femmes obligées de s’exiler pour avorter.

Le jour du vote, au moment du dévoilement des résultats, suivre un de ces mots-clics était une bonne façon de constater et de partager l’immense joie des femmes, victorieuses, rassemblées au cœur du Dublin Castle.

Témoigner

Il ne fait aucun doute que les mots-clics #AgressionNonDénoncée (ou #BeenRapedNeverReported) et #MoiAussi (ou #MeToo) ont aussi été utiles pour favoriser la production et la circulation de témoignages sur les violences sexuelles sur les réseaux sociaux. De plus, en regroupant massivement des millions d’histoires de ces femmes et de ces féministes, ces mots-clics nous ont donné un aperçu de l’ampleur et de la complexité du problème des violences sexuelles. Difficile de détourner le regard quand des millions de personnes expriment d’une même voix les singularités et les similarités de leurs expériences (abus de pouvoir, non-consentement, préjugés à leur égard, etc.).

Dans le même sens, #WhyIStayed a permis à certaines survivantes de violence conjugale de témoigner pour répondre, notamment, aux remarques désobligeantes de commentateurs qui cassaient du sucre sur le dos de Janay Palmer (la femme ayant été sauvagement battue en 2014 dans l’ascenseur d’un hôtel par son conjoint, le joueur de football américain Ray Rice) en affirmant tout bonnement « qu’elle avait juste » à quitter son conjoint si elle voulait s’extraire du cycle de la violence. À cette suggestion simpliste, qui traduit une méconnaissance de cette problématique, des femmes ont répliqué en chœur en racontant leurs histoires, en dévoilant leurs peurs et en explicitant les raisons qui les ont contraintes à demeurer auprès de leurs conjoints violents.

À travers leurs témoignages sur les réseaux sociaux, elles ont ainsi démontré la complexité de ce problème, comme les femmes qui ont témoigné lors des mouvements #BeenRapedNeverReported et #MeToo. Dans les deux cas, elles ont participé à la redéfinition, en leurs termes, du discours public sur les violences sexuelles et sur les représentations des victimes/survivantes/agresseurs. Rappelant au passage que ces enjeux sont tout sauf individuels et privés.

Dénoncer

Ces dernières années, des féministes ont également créé des mots-clics pour dénoncer le sexisme au quotidien, des comportements qui autrefois passaient sous le radar. Depuis 2015, par exemple, elles ont relayé sous le mot-clic #Manspreading des images d’hommes assis les jambes largement écartées dans les transports en commun, afin de dénoncer leur occupation disproportionnée de l’espace public (parfois jusqu’à trois sièges de métro!).

Dans le même ordre d’idées, des féministes ont aussi défié les conventions en revendiquant depuis 2012 le droit pour les femmes de circuler seins nus dans l’espace public (#FreeTheNipple), une façon de libérer leur corps des contraintes sociales voulant qu’elles doivent, contrairement aux hommes, couvrir leurs seins en tout temps.

Quant au mot-clic #Mecsplication, il a été utile pour décrier les attitudes paternalistes et condescendantes de certains hommes dans leurs conversations avec les femmes.

Autant d’initiatives qui révèlent, à l’aide d’images et de photos, les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes au quotidien.

Les mots-clics comme liants

On remarque que l’usage des mots-clics est une façon pour les féministes de créer des mouvements qui les dépassent individuellement, ou de s’y inscrire. C’est une manière de faire corps, comme dans un rassemblement. C’est aussi un moyen de reconnaître ses semblables dans la foule dense des utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux.

Toutefois, la visibilité associée à leurs prises de parole et à leurs actions sur les réseaux sociaux peut engendrer des répercussions négatives. Défier les normes ne se fait pas sans heurt, si bien que certaines féministes en prennent parfois plein la gueule. Il arrive que des utilisateurs et des utilisatrices s’immiscent dans le fil d’actualité d’un mot-clic pour les insulter, les menacer et les harceler. Il n’est donc pas surprenant d’entendre que certaines payent très cher leur prise de position et leur militantisme.

Malgré cela, exprimer son point de vue, témoigner de l’innommable, militer sur les réseaux sociaux, en accolant un mot-clic à ses mots/maux, reste pour plusieurs un geste nécessaire, une forme d’engagement qui marque publiquement leur positionnement, leur refus de se taire, d’être dociles, de demeurer dans un cadre déterminé d’avance, par d’autres. Ainsi, leur usage des mots-clics les lie forcément aux autres.