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Derrière le « BOOM »

Depuis 2003, un scénario encore nouveau se répète chaque année au Québec : de plus en plus de poupons voient le jour !

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Depuis 2003, un scénario encore nouveau se répète chaque année au Québec : de plus en plus de poupons voient le jour ! Après avoir fait face à un choc démographique sans précédent, le Québec vit donc une situation aussi inattendue qu’inespérée. À tel point qu’une étonnante curiosité semble avoir gagné la société. En témoignent les pages consacrées au sujet dans les médias depuis le début de l’année.

Cette augmentation des naissances s’est davantage fait sentir depuis 2006, mais pas au point de parler d’un baby-boom, explique Chantal Girard, démographe à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). « Le concept de baby-boom est utilisé pour désigner le phénomène lié aux nombreuses naissances de la période de l’après-guerre, qui s’est échelonnée sur 20 ans au Québec, de 1946 à 1966. On comptait alors entre 110 000 et 145 000 naissances chaque année et l’indice de fécondité oscillait entre 3,5 et 4 enfants par femme. En utilisant le même terme maintenant, on risque de tirer des conclusions hâtives et de penser que la situation actuelle est de la même ampleur, ce qui n’est pas le cas. »

Si le taux de fécondité a crû chez les femmes de la plupart des groupes d’âge, l’augmentation la plus significative s’observe chez celles de plus de 30 ans. « On n’a noté qu’une légère augmentation du côté des femmes âgées de 24 à 28 ans », ajoute la démographe. Bien que minime, cette hausse marque toutefois un changement par rapport à la tendance des 15 dernières années. Durant les années 1990 et au début des années 2000, on observait plutôt une diminution du nombre de femmes qui avaient des enfants avant la fin de la vingtaine. En 2008, l’âge moyen à la maternité était de 29,7 ans (voir graphique 1, p. 16).

Et ce qui permettrait d’anticiper encore plus d’enfants à naître, c’est que les femmes sans enfant sont moins nombreuses, fait remarquer Mme Girard. Environ 24 % des Québécoises aujourd’hui âgées de 49 ans (soit près d’une femme sur quatre) n’ont pas mis de bébé au monde durant leur vie reproductive. Cette proportion devrait baisser à 19 % pour les femmes qui ont actuellement 37 ans, selon les estimations de l’ISQ.

Plus de femmes font donc des enfants. Mais en ont-elles plus qu’avant ? Un peu. On note une légère augmentation des naissances de troisièmes enfants — 7 % entre 2007 et 2008 — ainsi que d’enfants de rang 4 ou plus, comme on dit dans le jargon (soit les quatrièmes enfants ou plus). Néanmoins, ce sont encore les naissances de premiers ou de deuxièmes enfants qui représentent la majorité.

Le fameux pourquoi

Mais comment expliquer ce bond des naissances ? Qu’est-ce qui pousse les femmes — et les hommes — à procréer ? D’abord, le désir d’enfant. En 2007, le Conseil permanent de la jeunesse (CPJ) a interrogé 100 jeunes (de 17 à 33 ans) de différentes régions du Québec, dont 60 de sexe féminin. « Bien qu’il soit réduit et ne prétende en aucun cas être statistiquement représentatif de l’opinion de l’ensemble des jeunes Québécoises et Québécois, cet échantillonnage n’en dévoile pas moins certains courants de pensée sur la maternité ou la paternité », précise l’organisme.

Selon cet avis, la grande majorité des jeunes interrogés souhaitaient avoir des enfants, et plus d’un. Questionnés sur leurs motivations, bon nombre considéraient cela comme naturel. Certains ont évoqué la préservation de la vie sur terre et la transmission de l’héritage humain. D’autres ont fait part d’un désir de se doter d’une descendance et de léguer leur héritage et leurs valeurs. Certaines personnes ont également fait référence à leurs « vieux jours » et à leur volonté d’être alors entourées d’enfants et de petits-enfants. Plusieurs ont mentionné envisager la maternité ou la paternité par amour des enfants. Certains percevaient la naissance d’un enfant comme une étape de l’évolution de leur couple. D’autres rapportaient le désir de créer une famille. Voir des gens de leur entourage avoir des enfants et apprécier cette expérience incitait aussi des répondants à s’engager dans cette voie.

La démographe Évelyne Lapierre-Adamcyk, professeure émérite à l’Université de Montréal, faisait le même constat lors d’un colloque organisé en 2000 par le Conseil de la famille et de l’enfance. « Depuis le milieu des années 1970, toutes les enquêtes qui ont demandé aux jeunes d’indiquer le nombre de personnes nées durant la même période qu’eux. Le deuxième a nombre d’enfants qu’ils prévoient avoir montrent que les aspirations des jeunes femmes, tout aussi bien que celles des jeunes hommes, se situent à deux enfants en moyenne », soulignait-elle. Le désir d’enfant chez les jeunes est donc bien là.

Fécondité sous influence

Entre souhaiter mettre des enfants au monde et passer à l’action, il y a cependant un pas… ou mieux encore, des conditions favorables. Parmi celles-ci, la plupart des jeunes rencontrés par le CPJ ont d’abord nommé la présence d’un conjoint ou d’une conjointe. « Un peu moins que l’amour, la connaissance de soi et de l’autre ou la durabilité du couple, les salaires, les conditions de travail, la stabilité financière ou les possessions matérielles figurent au deuxième rang sur le plan de l’importance accordée aux conditions susceptibles de favoriser ou non la concrétisation du désir d’enfant », rapporte le CPJ.

Les facteurs économiques feraient donc partie des éléments qui influent sur la fécondité. Une hypothèse aussi confirmée dans le document La politique familiale, les tendances sociales et la fécondité au Québec : une expérimentation du modèle nordique ?, publié par le ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine du Québec en 2006. Les auteurs de ce document, Laurent Roy et Jean Bernier, ont également évoqué l’influence potentielle des valeurs et des politiques familiales, à la lumière de diverses théories et études.

Autre influence possible, l’incidence de l’état du marché du travail et des politiques familiales sur la fécondité, selon Roderic Beaujot et Juyan Wang, du Population Studies Centre de l’Université de Western Ontario. Dans Low Fertility Lite in Canada: The Nordic Model in Quebec and the U.S. Model in Alberta, paru en 2009, les auteurs soulignent que la hausse de la fécondité au Canada entre 2002 et 2006 a été particulièrement marquée en Alberta et au Québec. Or, les jeunes familles de ces provinces bénéficient d’une certaine sécurité liée à de bonnes possibilités d’emploi dans le premier cas et à des politiques familiales dans le second, font-ils remarquer.Ils notent au passage l’existence des services de garde subventionnés ainsi que du Régime québécois d’assurance parentale, dont les prestations sont plus accessibles et généreuses que celles offertes par le gouvernement fédéral.

Benoît Laplante, professeur et directeur des programmes de démographie au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), mentionne quant à lui certaines hypothèses qui pourraient expliquer la hausse de la fécondité au Québec ces dernières années et qu’il serait intéressant de vérifier. « La première, c’est que la politique familiale québécoise a les effets souhaités, c’est à- dire permettre aux gens d’avoir les enfants qu’ils ont envie d’avoir », indique-t-il.

La deuxième hypothèse découle de celle que le professeur Richard A. Easterlin a exposée pour la première fois en 1980 dans Birth and Fortune: The Impact of Numbers on Personal Welfare. Selon cette théorie, trois facteurs exercent une influence sur le nombre d’enfants qu’aura un couple. Le premier est la taille de la cohorte à laquelle ces gens appartiennent, c’est-à-dire le nombre de personnes nées durant la même période qu’eux. Le deuxième a trait à l’état du marché du travail et à la facilité avec laquelle ils peuvent s’y intégrer. Le troisième concerne les aspirations qu’ils ont développées à partir de la situation observée lorsqu’ils étaient enfants, en particulier en termes de conditions de vie.

Or, Benoît Laplante fait justement remarquer que les jeunes qui ont fait leur entrée sur le marché du travail dans les dernières années appartenaient à des cohortes relativement peu nombreuses,que les conditions économiques étaient meilleures qu’elles ne l’avaient déjà été et qu’une pénurie de main-d’œuvre est appréhendée au Québec. Une piste qui mériterait d’être évaluée.

Immigrantes plus fécondes ?

La troisième hypothèse évoquée par M. Laplante pour comprendre l’augmentation des naissances au Québec pourrait en partie s’expliquer par la hausse du nombre de personnes nées à l’étranger et par la tendance de certaines immigrantes à avoir plus d’enfants que les femmes nées ici. Selon lui, une partie d’entre elles conserveraient des habitudes et des valeurs liées à la fécondité répandues dans leur pays d’origine. Ainsi seraient-elles plus enclines à mettre au monde un troisième ou un quatrième enfant. De fait, 18,6 % des enfants de rang 1 et 20 % des enfants de rang 2 ayant vu le jour au Québec en 2008 avaient une mère née à l’extérieur du Canada, alors que cette proportion grimpe à 23 % pour les troisièmes enfants et à 26,1 % pour les enfants de rang 4 ou plus.

Pour Chantal Girard, la proportion croissante d’immigrantes ne peut pas expliquer à elle seule la hausse de la fécondité, puisque l’indice de fécondité a augmenté dans presque toutes les régions du Québec au cours des dernières années. « Si c’était lié aux immigrantes, on aurait observé une augmentation concentrée à Montréal », fait remarquer la démographe de l’ISQ.

Par ailleurs, souligne-t-elle, comme la fécondité était peu élevée au début des années 2000, il y a vraisemblablement une portion de rattrapage. « Des femmes qui n’avaient pas eu leurs enfants vers la fin de la vingtaine les ont mis au monde dans la trentaine », explique-telle, ajoutant que des femmes plus jeunes ont, durant la même période, commencé à avoir des bébés.

Somme toute, et malgré toutes les suppositions, les conditions économiques favorables et les politiques gouvernementales généreuses semblent bel et bien jouer sur la décision d’avoir un enfant. Le Québec vivra-t-il un phénomène apparenté à celui des années 1940, 1950 et 1960 ? Rien n’est moins sûr. Et il faudra attendre encore au moins 15 ans avant de le confirmer.