
« Utiliser l’humour en milieu de travail n’est pas contre-productif. On ne parle pas d’être un bouffon, mais de générer des sourires, d’implanter une gentillesse et une légèreté. »
« Lorsqu’on m’a approchée pour créer une formation afin d’aider ces femmes, j’ai trouvé ça très audacieux, car s’il y a un milieu dans lequel les femmes sont sous-représentées, c’est bien l’humour! »s’exclame en riant celle que l’on surnomme la marraine de l’humour.

« Avec ces formations, les femmes se sont découvert des talents cachés. La plupart ont beaucoup d’esprit. Grâce aux formations, elles ont appris à mieux l’utiliser. »
« On avait envie d’offrir aux femmes qui se destinent à la politique un nouvel outil qui leur permettrait de se sortir de situations parfois embarrassantes. Les femmes manquent un peu de confiance en elles. On leur passe souvent des remarques désagréables, sur leur façon de s’habiller par exemple », explique-t-elle. Pour la centaine de femmes qui ont pris part aux formations, l’humour s’est avéré un véritable outil de dépassement de soi.
« Avec ces formations, les femmes se sont découvert des talents cachés. La plupart ont beaucoup d’esprit. Grâce aux formations, elles ont appris à mieux l’utiliser », affirme Esther Lapointe.
L’humour, une stratégie respectable
Dans les dernières années, l’utilisation de l’humour en milieu de travail a fait l’objet de nombreuses études de la part d’institutions aussi sérieuses que la London Business School et l’Université Harvard. Augmentation de la créativité et de la productivité, rétention du personnel, déhiérarchisation des entreprises, amélioration de la communication entre employés : les effets positifs de l’utilisation de l’humour dans un cadre professionnel sont nombreux. Plusieurs des plus grandes entreprises du monde, comme Google, ont d’ailleurs décidé de placer l’humour et la promotion d’un environnement de travail amusant au cœur de leurs stratégies de recrutement. Malgré tout, selon Louise Richer, qui a récemment reçu un MBA pour cadres de l’Université McGill et dont la thèse portait sur la perception qu’ont les dirigeants d’entreprise de l’utilisation de l’humour en milieu de travail, les femmes demeurent beaucoup plus frileuses que les hommes à en faire usage.« Elles doivent souvent faire la démonstration de leur performance et croient qu’utiliser l’humour les ferait paraître incompétentes. Elles laissent donc une partie de leur personnalité au vestiaire lorsqu’elles sont au travail », déplore-t-elle. Pour leur venir en aide, l’ENH utilise différents outils et méthodes, tels des jeux de rôle, des mises en situation et des procédés humoristiques, qui stimulent tous la créativité. L’utilisation stratégique de l’humour est au centre de chaque atelier.
« L’objectif est d’amener les femmes à déterminer leur profil comique, car certaines personnes ne savent pas où réside leur humour. Il faut aussi montrer qu’utiliser l’humour en milieu de travail n’est pas contre-productif. On ne parle pas d’être un bouffon, mais de générer des sourires, d’implanter une gentillesse et une légèreté », explique la directrice de l’ENH.
Recul et solidarité
Nicole Aubertin, stratège en évolution de la performance et présidente régionale du Réseau des femmes d’affaires du Québec, a participé à deux formations de l’ENH. Pour elle, l’intégration de l’humour dans sa vie professionnelle a été une révélation.« J’étais une spécialiste du sabotage professionnel, raconte-t-elle. Par exemple, un jour où je faisais une présentation importante devant tous les gros ego de la compagnie, je me suis trompée dans les données que j’exposais. Tout le monde s’est mis à remettre mes chiffres en question. J’ai dû m’excuser au moins 50 fois. Si j’avais utilisé l’autodérision, ça se serait peut-être mieux passé. Au lieu de ça, je l’ai pris personnel et j’ai mis beaucoup de temps à reprendre confiance en moi. Avec l’humour, j’ai appris à me distancier, à prendre du recul, à ne pas me sentir systématiquement attaquée, car dans le monde des affaires, nous jouons tous un rôle. J’ai également appris l’importance de la préparation et de l’autodérision. »En outre, la femme d’affaires croit que l’humour peut encourager les femmes à être plus solidaires.
« Les femmes ne comprennent pas toutes la notion d’entraide. Il arrive qu’on se critique entre nous. Les formations ont permis aux participantes de créer de vrais liens de confiance. »

« Avec l’humour, j’ai appris à me distancier, à prendre du recul, à ne pas me sentir systématiquement attaquée, car dans le monde des affaires, nous jouons tous un rôle. J’ai également appris l’importance de la préparation et de l’autodérision »
Le leadership par la plaisanterie
Professeure associée en linguistique appliquée à l’Université de Warwick en Angleterre, Stephanie Schnurr est l’auteure de l’étude Surviving in a Man’s World with a Sense of Humour : An Analysis of Women Leaders’ Use of Humour at Work. Selon elle, l’humour est un outil primordial pour les femmes évoluant dans des milieux majoritairement masculins.« Il les aide à atteindre leurs objectifs de gestionnaires. Elles l’utilisent aussi pour se moquer du fait d’être une sorte d’intruses dans ces environnements d’hommes. Il leur permet également de remettre en question le statu quo qui permet cette hégémonie masculine, de critiquer de manière plus légère les stéréotypes sexistes en milieu de travail, et éventuellement de faire changer les choses », note-t-elle.

« [L’humour] aide [les femmes] à atteindre leurs objectifs de gestionnaires. Elles l’utilisent aussi pour se moquer du fait d’être une sorte d’intruses dans ces environnements d’hommes. »
« Ils doivent tous les deux créer de la proximité et s’adapter à ce qu’ils connaissent de leur auditoire. L’humoriste qui voit qu’une blague ne fonctionne pas le fait savoir à son public. Il nomme les problèmes. Le ou la leader doit faire la même chose. »Selon Stephanie Schnurr, les femmes qui occupent des postes de cadres et de gestionnaires ont grandement intérêt à utiliser l’humour auprès de leurs collègues et employés.
« Lors de mes recherches, j’ai observé des femmes leaders qui occupaient des postes de gestionnaires principaux : chefs de département, membres de conseils d’administration, chefs d’entreprise… J’ai remarqué qu’elles utilisaient très souvent l’humour et le faisaient avec beaucoup de succès. »S’il est vrai que l’humour, la politique et les affaires sont des milieux où les femmes demeurent sous-représentées, leur combinaison serait-elle le secret pour renverser la situation?
Crédit pour la photo vedette : © Antoine Ryan