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Hindoues : une réalité complexe

Pour la majorité des femmes hindoues, il demeure toujours difficile de vivre en dehors du mariage.

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En Inde, berceau de l’hindouisme, plus de 80 % de la population pratique cette tradition plusieurs fois millénaire. Près de la moitié de ce milliard de croyants sont des femmes. Mais leurs droits et conditions de vie varient beaucoup selon qu’elles habitent en ville ou en région rurale. Observations.

Religion aux incarnations variables, l’hindouisme se décline en de nombreux sous-cultes, textes et traditions. Ceux-ci sont définis par la géographie (nord ou sud du pays), l’urbanité ou la ruralité ainsi que le fameux système des castes, qui influence encore le quotidien des hindous malgré l’interdiction de l’intouchabilité (groupe d’individus exclus du système des castes, considérés comme des parias) depuis l’indépendance de l’Inde en 1950.

Difficile de départager le culturel du religieux dans la pratique des différentes traditions hindoues. Ajoutez à cela des divinités que l’on adore en fonction de critères personnels innés ou fluctuants, comme le sexe, l’âge, l’origine, et vous arriverez peut-être à obtenir un portrait impressionniste de l’hindouisme. La condition féminine en son sein est tout aussi difficile à cerner.

D’un extrême à l’autre

D’entrée de jeu, Diana Dimitrova, professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, explique que plus des trois quarts de la population indienne est rurale, un milieu où la vie religieuse est très importante. « Beaucoup de femmes n’ont pas de droits de base et sont mariées très jeunes, particulièrement dans les villages. En même temps, l’Inde compte davantage de professeures d’université et d’ingénieures que plusieurs pays occidentaux, illustre-t-elle. La vie d’une villageoise sans formation sera complètement différente de celle d’une femme éduquée qui habite dans une grande ville comme Mumbai ou Delhi. »

Photographie Diana Dimitrova.

« La vie d’une villageoise sans formation sera complètement différente de celle d’une femme éduquée qui habite dans une grande ville comme Mumbai ou Delhi. »

Diana Dimitrova, professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal

Selon Lucile Crémier, doctorante en sémiologie à l’UQAM et passionnée de culture hindoue, l’égalité hommes-femmes est « un concept libéral occidental », tandis qu’en Inde, la caste dont est issu l’individu est un facteur aussi déterminant que le sexe. « Le pouvoir d’une femme varie selon qu’elle est dalit (“intouchable”), intermédiaire ou brahmanique (caste supérieure), explique-t-elle. Une femme d’une caste plus élevée aura le dessus sur un homme dalit. »

Le mariage, éternel horizon

Dans les traditions hindoues, les femmes sont valorisées dans la réalisation de leur devoir féminin, le stridharma, soit se marier, avoir des enfants et prendre soin du mari. Mais y a-t-il d’autres avenues envisageables?

« Dans certains milieux, castes, villages et familles, les hindoues sont considérées comme n’ayant pas de valeur en dehors de leurs rôles d’épouses et de mères, concède Catherine St-Germain, auteure d’un mémoire sur la vie des hindoues. Par contre, dans les milieux urbains et éduqués, on valorise beaucoup leur accomplissement professionnel. »

Il n’en demeure pas moins très difficile de vivre en dehors du mariage pour la majorité des hindoues, selon Lucile Crémier. « La pratique de la dot, qui implique de valoriser une femme de manière financière, est très ancrée, dit-elle. Même les hindoues de la diaspora subissent la pression de leur famille. À partir de 25 ans, on commence à les embêter pour qu’elles se marient. »

L’Inde, pays dangereux pour les femmes?

Viols collectifs, femmes brûlées à l’acide et avortements sélectifs : l’Inde fait les manchettes, et pas toujours pour de belles raisons. Ces actes trouvent-ils leur source dans la religion? « Aucune de ces pratiques ne figure dans les textes, même les plus stricts envers les femmes, explique Diana Dimitrova. Le sexisme existe en Inde, mais il n’est pas basé sur la religion. »

Photographie de Catherine St-Germain.

« Au temple où se tenait mon terrain d’étude, il n’y avait aucune femme dans le conseil d’administration, aucune femme prêtre. Par contre, elles étaient comme des petites abeilles et soutenaient bénévolement l’école la fin de semaine, l’organisation de festivals, etc. Sans elles, le temple n’aurait pas pu fonctionner. »

Catherine St-Germain, auteure d’un mémoire sur la vie des hindoues

La professeure explique que le problème des viols empire, car il s’agit d’un phénomène lié à la modernisation de l’Inde. « Beaucoup de gens arrivent des villages, n’ont pas de travail. De nombreux jeunes hommes se retrouvent perdus dans les grandes villes et nous en avons maintenant le résultat. »

Mme Dimitrova ajoute que ces crimes sont très graves, qu’il faut les dénoncer, mais qu’il ne faut pas conclure que tous les Indiens sont misogynes. « Beaucoup d’hommes ont protesté contre les agressions en marchant avec les femmes, rappelle-t-elle. Il reste beaucoup à faire pour améliorer le sort des hindoues, mais l’important, c’est qu’il n’y a plus de silence autour de ces actes, qu’on en entend davantage parler dans les médias. »

Importantes déesses, femmes négligeables

Selon l’hindouisme dévotionnel, hommes et femmes ont le pouvoir de se sortir du cycle karmique des réincarnations successives (samsāra) pour atteindre la libération, ce qui en fait le culte le plus populaire, pratiqué par plus des trois quarts des croyants de nos jours.

Il existe d’autre part dans la pratique hindoue des ashrams (lieux où un maître spirituel dispense son enseignement) dont la figure centrale est une femme, vivante ou non. Les fidèles, hommes et femmes, parcourent des kilomètres et dépensent des fortunes pour entendre sa sagesse, prier son effigie, glorifier sa mémoire, lui faire des demandes et pratiquer des rituels. « Ces femmes sont comparées à des déesses, et priées en tant que telles », raconte Catherine St-Germain.

D’ailleurs, la puissance salvatrice des déesses dans l’hindouisme est une particularité qui n’existe pas dans les religions monothéistes, souligne Diana Dimitrova. Mais le culte des déesses ne semble pas avoir d’impact direct sur la vie sociale des hindoues. « Peut-être qu’un jour cela pourrait se traduire sur le plan social par plus d’égalité entre les femmes et les hommes, mais ça reste une question ouverte. »

De plus, selon Catherine St-Germain, les femmes ont peu de pouvoir dans la majorité des lieux de culte. « Au temple où se tenait mon terrain d’étude, il n’y avait aucune femme dans le conseil d’administration, aucune femme prêtre, raconte-t-elle. Par contre, elles étaient comme des petites abeilles et soutenaient bénévolement l’école la fin de semaine, l’organisation de festivals, etc. Sans elles, le temple n’aurait pas pu fonctionner. »

Colonisation tendancieuse

Au 19e siècle, les colonisateurs britanniques ont consulté la caste supérieure brahmanique pour tenter de comprendre la religion hindoue. Ils ont alors traduit le très conservateur manuscrit des Lois de Manu, datant du 2e siècle, dans lequel la femme idéale est présentée comme une éternelle mineure, dépendante de son père, puis de son mari, auquel elle se dévoue comme à un dieu, toujours radieuse, patiente, chaste, responsable d’engendrer une descendance mâle et n’ayant pas droit au remariage une fois veuve.

L’autorité britannique s’est inspirée de ces lois pour rédiger son codex, le document sur lequel elle basait ses décisions administratives. Seul hic, le manuscrit n’était pas représentatif de l’ensemble des pratiques hindoues et a contribué, selon Lucile Crémier et Catherine St-Germain, à opprimer les Indiennes.

Pour Diana Dimitrova, il est important de distinguer texte et pratique. « Oui, il s’agit d’un texte très restrictif pour les femmes, mais il a surtout servi de prétexte aux colons pour justifier leur présence en présentant un visage de l’Inde très passéiste, à civiliser. À savoir si tout cela a été appliqué dans la pratique et à la lettre, c’est une autre histoire. »

Perspectives plurielles

Au fil de l’histoire indienne, plusieurs femmes ont rejeté l’idée selon laquelle être dévouée à son mari comme à un dieu était la seule façon de se libérer des naissances-renaissances. « Depuis une trentaine d’années, dans certains milieux, des femmes remettent en question ce qui est considéré comme leur devoir et revendiquent plus d’autonomie », indique Mme St-Germain.

La maîtrise de la langue anglaise est un atout déterminant pour l’émancipation des hindoues, affirme Lucile Crémier, de même que l’accès à Internet. Catherine St-Germain ajoute que plusieurs féministes hindoues militent pour plus d’égalité entre les hommes et les femmes. « Il y a des femmes gourous à la tête de certaines congrégations religieuses et d’ONG venant en aide aux femmes, ainsi que des policières et des politiciennes », précise-t-elle.

« Au final, il est très difficile d’avoir une perspective de la situation des femmes dans l’hindouisme… Pour espérer y arriver, il faut mentionner la pluralité des réalités », conclut Diana Dimitrova.

En complément d’info

Au milliard d’Indiens qui pratiquent l’hindouisme, il faut ajouter 20 millions d’hindous répartis dans 110 pays, dont le Canada. Dans le monde, près d’une personne sur sept est de confession hindoue.