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Zéromacho : ces hommes qui dénoncent la prostitution

Premier réseau international d’hommes qui s’engagent, prennent la parole et disent NON à la prostitution.

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Qui sont les hommes qui ne se reconnaissent pas dans le modèle de la domination masculine? C’est en cherchant à répondre à cette question que Florence Montreynaud, écrivaine française et fondatrice de l’association Les Chiennes de garde, a rassemblé plusieurs de ses amis pour créer Zéromacho, un réseau international d’hommes qui se positionnent contre le machisme, et plus particulièrement contre la prostitution.

En septembre 2010, en marchant dans les rues de Paris, Florence Montreynaud est scandalisée par une affiche. Il s’agit d’une publicité pour une nouvelle télésérie qui sera diffusée sur Canal +, Maison close. Images de jolies jeunes filles, la pose invitant à un rapport sexuel. La bande-annonce promet des scènes de viol dans un décor de luxe, une voix murmurant : « Bienvenue au paradis. »

Photographie de Florence Montreynaud.
Florence Montreynaud, écrivaine française et fondatrice de l’association Les Chiennes de garde, a tissé peu à peu un réseau d’alliés afin de les amener à s’engager publiquement à ne pas participer au système prostitutionnel.

Le slogan de l’affiche retient l’attention de Mme Montreynaud : « Les hommes rêvent d’y entrer, elles se battent pour en sortir. » « Les hommes? Tous les hommes? » se demande l’écrivaine*. Des hommes qui refusent ce modèle, elle en connaît beaucoup. Elle multiplie alors les rencontres, tisse peu à peu un réseau d’alliés, afin de les amener à s’engager publiquement à ne pas participer au système prostitutionnel.

Trois d’entre eux ont joué un rôle de premier plan : le militant contre les publicités sexistes Fred Robert, le journaliste et rédacteur en chef de Charlie Hebdo Gérard Biard**, et le cinéaste belge Patric Jean, réalisateur de La domination masculine. Ensemble, ils fondent le premier réseau international masculin contre la prostitution, qui réunit quelques centaines d’hommes de 56 pays, et dont Florence Monterynaud raconte l’histoire dans un livre à paraître, Heureux les hommes doux.

Au cœur du débat

Au même moment, le débat sur l’abolition de la prostitution commence à s’ouvrir en France, avec le projet de loi du Parti socialiste visant à pénaliser les clients afin de décourager le recours au sexe tarifé, à l’instar des pays scandinaves. « Dans le débat politique sur la prostitution, on trouvait qu’il manquait la parole des hommes qui refusent la prostitution. C’est comme ça qu’on s’est connus », raconte Patric Jean. Pour les membres de Zéromacho, il ne fait aucun doute que la prostitution est une forme de violence contre les femmes, qui consiste à acheter le consentement de personnes non désirantes. « Nous refusons de vivre notre sexualité au travers de rapports marchands, et nous nous opposons au système prostitueur. Nous considérons donc qu’il faut responsabiliser et pénaliser les prostitueurs (“clients”) », peut-on lire dans le manifeste Zéromacho, publié en 2011 et signé par 3 015 hommes à ce jour.

À la suite du dépôt du projet de loi sur la prostitution par la députée socialiste Maud Olivier en 2013, d’autres voix masculines s’élèvent, cette fois pour clamer leur droit à « leur pute », selon leurs termes. Intitulé Manifeste des 343 salauds (en référence au célèbre manifeste écrit par Simone de Beauvoir en 1971), le document ayant pour but « d’emmerder les féministes d’aujourd’hui » a été signé par quelques personnalités publiques, dont l’auteur Frédéric Beigbeder et le polémiste Eric Zemmour.

Au final, le coup d’éclat a fini par rendre service à l’adoption du projet de loi. « Ils ont rendu leur cause tellement détestable que des députés au départ contre le projet de loi ont voté en sa faveur de peur d’être associés à leur manifeste », explique Patric Jean.

De moins en moins banal

Comme les féministes abolitionnistes l’avancent, Zéromacho croit que la loi sur la pénalisation des clients pourra modifier les normes sociales qui participent à banaliser la prostitution, comme cela a été observé en Suède après l’adoption du modèle abolitionniste en 1995. « La loi n’est même pas encore votée en France et déjà les prostituées constatent une diminution de 40 % de leur clientèle », se réjouit M. Jean. Le réalisateur croit que ce type de loi peut contribuer à changer les mentalités, comme ce fut le cas pour l’interdiction d’avoir des relations sexuelles avec des personnes mineures, ou encore pour l’interdiction d’avoir des rapports sexuels avec sa femme sans son consentement – ce qui, jusqu’en 1990, n’était pas reconnu comme un viol.

Photographie de Martin Dufresne.

« La prostitution repose sur une conception stéréotypée de la sexualité masculine, et il est donc important que les hommes s’investissent dans cette cause. »

Martin Dufresne, porte-parole de Zéromacho Québec

Mais encore faut-il que la loi soit publicisée! Car si le débat sur la pénalisation des clients de la prostitution a fait les manchettes en France, l’adoption de la loi C-36 par le gouvernement conservateur canadien, en décembre dernier, s’est faite plus discrètement. Martin Dufresne, porte-parole de Zéromacho Québec (qui compte une dizaine de militants actifs), déplore le peu d’empressement qui a suivi l’adoption de C-36. « Les procureurs n’ont plus aucune excuse pour ne pas combattre le système prostitutionnel en enlevant les permis d’activité aux propriétaires de bordels plus ou moins déguisés, en arrêtant et pénalisant les clients-prostitueurs, et surtout en mettant en place, avec des budgets suffisants, les mesures de soutien promises, celles que réclament les femmes pour pouvoir échapper à la pauvreté et au milieu », dit-il.

Selon MM. Jean et Dufresne, la prostitution repose sur une conception stéréotypée de la sexualité masculine, et il est donc important que les hommes s’investissent dans cette cause. « On répète souvent le mythe un peu insultant que les hommes auraient “besoin” de la prostitution… pour ne pas avoir à violer! s’insurge Martin Dufresne. Nous croyons que c’est faux et nous rappelons l’importance de la réciprocité, et l’existence de l’autoérotisme comme solution de rechange à ce prétendu destin masculin. »

L’apport masculin pour l’égalité

L’objectif ambitieux du réseau consiste à sensibiliser les hommes au rôle qu’ils peuvent jouer pour contrer les inégalités. « Si on voulait résumer notre point de vue en une phrase, ce serait : “Les féministes ont raison.” Notre travail n’est pas de prendre leur place, mais de réfléchir, en tant que membres du groupe dominant, à ce qu’on peut faire pour participer à l’avancement vers une société plus égalitaire », résume Patric Jean.

Photographie de Patric Jean.

« Notre travail n’est pas de prendre leur place [aux féministes], mais de réfléchir, en tant que membres du groupe dominant, à ce que l’on peut faire pour participer à l’avancement vers une société plus égalitaire. »

Patric Jean, cinéaste belge

Pour répondre à ces interrogations, le cinéaste vient de publier un livre consacré à la question, intitulé Les hommes veulent-ils l’égalité? Les hommes n’ont aucun intérêt à court terme à « remettre en question l’organisation hiérarchique vieille de 200 000 ans qui leur donne mille privilèges sur les femmes », écrit-il sur le site Mediapart, mais s’ils désirent s’impliquer dans la conception d’un projet à long terme, ils doivent le faire avec la perspective qu’ils participent à la construction d’un monde meilleur. Et la première étape consiste en un travail individuel et introspectif.

Martin Dufresne est du même avis, et souhaiterait que les hommes « se taisent un peu, qu’ils écoutent, lisent, se renseignent, prennent au sérieux ce que les femmes révèlent de leurs comportements », énumère-t-il. Le militant québécois et deux de ses collègues se sont penchés récemment sur la traduction d’un ouvrage important sur le sujet : Refuser d’être un homme, de John Stoltenberg, un proféministe américain. Reste que l’engagement des hommes dans le mouvement féministe doit « dépasser le discours et viser des changements concrets de comportements », ajoute-t-il, comme « cesser de prostituer des femmes ou des jeunes ».

Au Québec comme en France, les membres de Zéromacho travaillent à faire évoluer les mentalités. Ils écrivent des lettres d’opinion, soutiennent des revendications et des œuvres féministes. Ils ont par exemple organisé des discussions avec des hommes après la projection des films Le commerce du sexe et L’imposture de la réalisatrice Ève Lamont. Leurs actions prennent parfois une allure ludique « pour saper en riant la résistance masculine aux revendications égalitaires », explique M. Dufresne. Par exemple, cette année, une séance de repassage publique a eu lieu près de stations de métro en France, en Allemagne et au Québec, la veille de la fête des Mères, afin de dénoncer les répartitions inégales dans les tâches domestiques.

Pour l’instant, leurs activités n’attirent pas beaucoup d’alliés. Souhaitons-leur, et surtout souhaitons-nous que les hommes « zéromachos » de ce monde se rallient à la cause.

* Ce prélude à la création de Zéromacho est raconté par l’écrivaine dans son livre à paraître, dont elle nous a fait parvenir des extraits.

** Lorsqu’on fait remarquer à Florence Montreynaud que la présence du rédacteur en chef de Charlie Hebdo dans le groupe peut faire sourciller des féministes, elle le défend : « Je lis Charlie depuis 25 ans, et il y a très peu de sexisme, en tout cas pas du fait de Gérard », en qui elle voit « un allié solide et précieux ». Plusieurs féministes ne sont pas du même avis. Un numéro de Charlie Hebdo consacré au féminisme, en avril-mai 2011, avait d’ailleurs provoqué des critiques acerbes, notamment en raison de la représentation stéréotypée des femmes musulmanes.