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La radio réparatrice

Une Congolaise milite à la radio contre l’utilisation du viol comme arme de guerre.

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En République démocratique du Congo, pays tiraillé entre guerres et luttes de pouvoir depuis 20 ans, les différentes factions rebelles utilisent le viol comme arme de guerre. Femmes et jeunes filles en paient le prix. Des bébés aussi, parfois. Ces crimes marquent à jamais les victimes et fracturent des villages. Pourtant, personne n’en parle. La journaliste Chouchou Namegabe Dubuisson, elle, a osé briser le tabou.

Originaire de la province du Sud-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), Chouchou Namegabe Dubuisson a été la première à dénoncer ouvertement le viol comme arme massive dès la fin des années 1990, à la radio. En diffusant en ondes des témoignages de survivantes de ces viols, elle est devenue le seul point de référence pour les victimes, qui pouvaient enfin se libérer de ce lourd fardeau. Du coup, elle a brisé les tabous entourant le crime tout en assainissant les blessures du conflit. Même si le nombre de cas a diminué depuis, la journaliste et cofondatrice de l’Association des femmes des médias du Sud Kivu (AFEM) ne s’attarde pas aux statistiques : pour elle, « chaque cas est un drame ». Entretien avec une femme courageuse, inspirante et pleine d’espoir.

Gazette des femmes : Pourquoi avoir choisi la radio pour passer votre message?

Chouchou Namegabe Dubuisson : Je suis journaliste au départ. C’est à la Radio Maendeleo, où j’ai passé 10 ans, que j’ai été formée. En 2003, d’autres figures féminines des médias et moi nous sommes unies pour réagir à la situation des femmes, qui était catastrophique. Nous avons fondé l’AFEM. Notre pays traversait un moment difficile à cause des guerres répétées, et les femmes subissaient toutes les formes de violence. Nous voulions à tout prix promouvoir les droits des femmes par l’intermédiaire des médias, qui ont un pouvoir extraordinaire. Et donner une voix à ces femmes qui n’en ont pas.

Si, au départ, votre message passait plutôt mal, qu’en est-il aujourd’hui?

La situation n’a pas totalement changé, mis à part quelques avancées. La radio permet de rejoindre différentes communautés qui comprennent maintenant la lutte que nous menons, ce qui est positif. Nous interviewons aussi des intervenants qui traitent de thèmes comme la démocratie, la gouvernance, les élections, la violence basée sur les genres et la violence sexuelle. Grâce à leur précieuse contribution, ils réussissent à informer la population et, ainsi, à faire passer le message plus facilement.

Photographie de Chouchou Nagemabe
« Nous voulions à tout prix promouvoir les droits des femmes par l’intermédiaire des médias, qui ont un pouvoir extraordinaire. Et donner une voix à ces femmes qui n’en ont pas. »
 – Chouchou Namegabe Dubuisson, journaliste et cofondatrice de l’AFEM

Comment expliquer que votre message passe si difficilement?

Lorsque nous avons commencé à dénoncer les violences sexuelles que subissaient les femmes, nous étions sous occupation rebelle du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). Les rebelles ne voulaient pas qu’on parle du viol comme d’une arme de guerre. En plus, les viols collectifs et systématiques étaient mal perçus dans les communautés : c’était quelque chose de honteux dont on ne parlait pas. Les familles et même les victimes cachaient ces agressions.

La première diffusion du témoignage d’une survivante a créé tout un choc dans les différentes communautés, qui se demandaient comment nous pouvions aborder si ouvertement de tels sujets dans les médias. Nous avons donc commencé à sensibiliser la population à ce problème afin de lui faire comprendre que ce n’était pas un problème de femmes, mais un problème de communauté, et que tous devaient s’impliquer pour l’enrayer.

Comment vous y êtes-vous prises?

Nous avons d’abord trouvé un nom pour désigner le viol, absent de notre langue, le swahili. Nous l’avons emprunté au swahili de la Tanzanie. Ce terme, ubakaji, est maintenant couramment utilisé dans notre langue. Nous avons ensuite mobilisé d’autres associations de femmes pour dénoncer le phénomène.

En plus de diffuser des témoignages de victimes à la radio, nous sommes intervenues sur le terrain en déclenchant le dialogue entre les victimes et les autorités locales, et en favorisant le leadership de ces dernières, car elles doivent faire partie de la solution. Nous avons réussi à conscientiser la population, qui ne voit plus le viol comme un problème de femmes. Il y a encore de la stigmatisation, mais beaucoup moins qu’auparavant.

Pourquoi le viol est-il utilisé comme arme de guerre?

Lorsque nous nous sommes rendues dans des villages et des régions où des atrocités inimaginables avaient été commises contre des femmes, nous avons constaté qu’il y avait là beaucoup de mines ou des terres fertiles. Il était clair que le viol était utilisé comme tactique ou stratégie économique dans des guerres d’occupation. Il profitait à ceux qui voulaient contrôler et exploiter illégalement ces milieux.

Dans notre culture, les femmes représentent le cœur de la société. Les groupes armés utilisent le viol pour apeurer la population. Lorsqu’une femme est violée en public, ça fait peur à toute la communauté, en plus de briser le noyau familial. Les femmes violées sont souvent mises à l’écart ou rejetées par leur famille. La peur et la honte poussent les populations à se déplacer, permettant aux milices de prendre possession des terres et des mines.