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Les cicatrices invisibles de la césarienne

On tente de démystifier les césariennes d’urgence et leurs conséquences psychologiques.

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Culpabilité, déception et sentiment d’échec composent parfois le triste cocktail d’émotions qui peuvent affluer après une césarienne d’urgence. Et il arrive que l’expérience laisse des marques encore plus profondes.

Le 2 janvier 2013, Marie-Christine Gagnon devenait maman. Mais un nuage assombrissait sa joie : en célébrant la vie, elle faisait le deuil de l’accouchement dont elle avait toujours rêvé. « Je souhaitais accoucher le plus naturellement possible, sans épidurale, rien », raconte-t-elle, un rire dans la voix. Quand le médecin lui a annoncé que le bébé se présentait par le siège, et que la césarienne paraissait inévitable, elle a été prise d’un désagréable vertige.

Césariennes en hausse

L’histoire de Marie-Christine n’est pas unique. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) recense un taux de césariennes de 27,2 % au Canada pour l’année 2012-2013. Un article paru l’an dernier dans Le Devoir reprenait les chiffres d’un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) relativement au taux de naissances par césarienne au Québec. Celui-ci s’élevait à 23 % en 2012.

L’Organisation mondiale de la santé croit pourtant qu’un taux de plus de 15 % témoigne d’un problème de société susceptible d’entraîner plus de conséquences négatives que positives. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada plaide quant à elle depuis de nombreuses années pour une diminution du nombre de césariennes.

Maxine Dumas-Pilon
Pour la Dre Maxine Dumas-Pilon, médecin de famille à l’Hôpital St-Mary’s, certaines femmes ayant subi une césarienne d’urgence peuvent avoir l’impression d’avoir fait ce qui était possible, surtout si elles ont eu le temps d’avoir des explications ; mais estime que d’autres vivent une situation traumatisante lors de laquelle les professionnels ne savent pas toujours réagir correctement.

Difficile de savoir combien de ces césariennes sont effectuées d’urgence, d’autant plus que les définitions ne sont pas coulées dans le béton. Selon la Dre Maxine Dumas-Pilon, médecin de famille à l’Hôpital St-Mary’s, à Montréal, et présidente désignée du Collège québécois des médecins de famille, la césarienne d’urgence est effectuée lorsque « la vie de la mère ou du bébé est en danger ». Elle explique qu’une césarienne non planifiée peut aussi s’avérer nécessaire dans d’autres circonstances, par exemple lorsque le travail n’avance plus. Selon l’INSPQ, quatre causes justifient 90 % des césariennes : arrêt de dilatation ou de descente, présentation anormale, fréquence cardiaque fœtale anormale et césarienne antérieure.

Stigmates physiques et mentales

Quoi qu’il en soit, l’annonce d’une césarienne d’urgence bouleverse le cours d’un accouchement et laisse des traces indélébiles. Littéralement. « Aucune femme enceinte ne souhaite une césarienne. On espère toutes que les choses se passeront bien, et la surprise d’une telle annonce peut causer tout un choc », avance Hélène Vadeboncoeur, chercheuse en périnatalité et auteure d’Une autre césarienne ou un AVAC? S’informer pour mieux décider (Fides, 2012). Depuis 30 ans, elle milite pour l’amélioration des pratiques en périnatalité. « Souvent, les femmes ne connaissent pas les différentes options possibles et sont prises de court », explique-t-elle.

photographie de Hélène Vadeboncoeur
Hélène Vadeboncoeur, chercheuse en périnatalité et auteure d’Une autre césarienne ou un AVAC, milite depuis 30 ans pour l’amélioration des pratiques de périnatalité et déplore que souvent, les femmes ne connaissent pas les différentes options possibles en matière d’accouchement et soient ainsi prises de court.

Comme toute intervention chirurgicale, la césarienne présente de nombreux risques : hémorragie, infection pelvienne… Ils sont peu connus, voire banalisés. Il faut dire que cette opération est la plus pratiquée dans le monde. Quant aux répercussions de la césarienne sur la santé mentale des femmes, on ne les évoque que du bout des lèvres. « C’est un discours qui dérange. On ne veut pas entendre parler des côtés sombres de la maternité. Or, les mères ayant subi une césarienne non planifiée traînent souvent un lourd bagage », souligne Nathalie Parent, psychologue et coauteure de Du post-partum à la dépression. Renaître après la naissance (Les Éditions Québec-Livres, 2014). Les femmes qui expriment leur désarroi se font répondre : «Tu as un beau bébé en santé, c’est l’important.»

Plusieurs études lient d’ailleurs l’accouchement par césarienne à un risque accru de dépression post-partum. Parmi les conséquences les plus fréquentes, on note une difficulté à former le lien d’attachement maman-bébé.

« Réussir » son accouchement

« Repenser à mon accouchement me laisse un goût amer. En fait, je n’ai pas l’impression d’avoir accouché. Quand mes amies racontent leurs histoires, je les trouve chanceuses, explique candidement Marie-Christine. J’ai vécu cette césarienne comme un échec, que j’ai accepté en voyant ma puce s’épanouir en santé. »

Ce témoignage résonne chez de nombreuses femmes ayant vécu une césarienne non planifiée. Elles sont souvent surprises de ressentir de la culpabilité, de la honte, de la déception. « Ces sentiments ne sont pas nouveaux et sont liés au désir d’être une bonne mère, une mère idéale. C’est comme si on avait besoin de vivre une grossesse et un accouchement parfaits », note Nathalie Parent. Elle remarque par ailleurs une tendance vers un retour aux sources. « L’accouchement naturel est de plus en plus valorisé. »

photographie de Nathalie Parent
« Ces sentiments [de culpabilité, de honte et de déception] ne sont pas nouveaux et sont liés au désir d’être une bonne mère, une mère idéale. C’est comme si on avait besoin de vivre une grossesse et un accouchement parfaits. »
 — Nathalie Parent, psychologue et coauteure de Du post-partum à la dépression. Renaître après la naissance

Josiane Beaudoin, qui a accouché de son fils par césarienne à la suite d’un travail trop lent, abonde dans le même sens. « On ressent clairement une pression de réussir son accouchement. Dans les cours prénataux, sur les forums, par les amis, on reçoit une foule de renseignements et on se croit en contrôle. » Même si elle rêvait d’un accouchement naturel, « comme toutes les femmes », Josiane a bien accepté sa césarienne. Elle a toutefois dû faire le deuil de l’expérience dont elle rêvait tant : le fameux peau à peau, où le bébé nu est blotti contre sa mère, dénudée elle aussi, afin que la chaleur se transmette et que les premiers liens se tissent.

Les sentiments négatifs liés à la césarienne ne sont parfois pas dus à l’opération elle-même, mais à ses conséquences. « La césarienne peut nuire à l’allaitement et à la capacité de la mère de prendre soin du bébé, ce qui va augmenter le sentiment de culpabilité », souligne Nathalie Parent. En suivi post-partum, la Dre Dumas-Pilon remarque que les femmes réagissent de multiples façons. « Certaines ont l’impression d’avoir fait ce qui était possible, surtout si elles ont eu le temps d’avoir des explications. D’autres ont vécu une situation traumatisante lors de laquelle les professionnels n’ont pas su réagir correctement. »

L’AVAC, chemin vers la guérison?

Les femmes qui ont subi une césarienne espèrent souvent avoir droit, pour leur bébé suivant, à un AVAC (accouchement vaginal après césarienne). Son taux de succès varie entre 60 et 80 %.

En 2009, un groupe de Québécoises a mis sur pied AVAC-Info, un organisme visant à soutenir les mères qui considèrent cette option. Il répond aux questions de femmes à travers le monde, en plus d’organiser des activités d’échange et d’information dans plusieurs villes du Québec. Audrey Gendron, cofondatrice de l’organisme, sait à quel point le sujet peut être sensible. Ayant elle-même vécu deux césariennes et trois AVAC, elle sait qu’un AVAC peut s’avérer salutaire, même s’il faut parfois se battre pour l’obtenir. « En me présentant à l’hôpital pour accoucher de mon quatrième, j’ai tout de suite senti qu’on allait vers une césarienne. On me traitait comme une cicatrice sur deux pattes », se désole-t-elle. La Dre Dumas-Pilon reconnaît que les médecins peuvent se montrer réticents envers l’AVAC. « La césarienne est plus contrôlée, et les médecins en font souvent. »

Mais espérer un AVAC peut-il renforcer la pression vécue par les femmes? Est-ce qu’un échec ne risque pas de les replonger en dépression? Peut-être, dit Nathalie Parent. « Si les sentiments suivant la première césarienne n’ont pas été évacués correctement, ils risquent de remonter à la surface. Il est toutefois possible de bien vivre une nouvelle césarienne. Quand on est consciente de la possibilité de devoir subir la chirurgie et qu’on fait un choix éclairé, c’est moins traumatisant. »

Marie-Christine Gagnon est d’accord. « Oui pour un AVAC, mais pas à n’importe quel prix. Maintenant, je pourrais mieux vivre une deuxième césarienne : je n’idéalise plus l’accouchement, je suis désillusionnée! » conclut-elle, toujours avec un rire dans la voix.