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La belle aventure

Députée du Parti québécois de 1976 à 1980, Lise Payette a témoigné de son passage mouvementé en politique avec son livre Le pouvoir? Connais pas!

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Députée du Parti québécois de 1976 à 1980, Lise Payette a témoigné de son passage mouvementé en politique avec son livre Le pouvoir? Connais pas!, paru en 1982. Après environ 30 ans de silence sur cette période, l’auteure et journaliste réédite son récit, auquel elle ajoute un préambule et un nouveau chapitre qui louange l’indépendance des femmes, et appelle à celle du Québec.

Conversation avec une dame de cœur.

Gazette des femmes : Pourquoi avez-vous décidé de republier votre livre, dans une nouvelle édition?

Lise Payette : Une jeune éditrice est venue me voir avec un projet très clair. Elle et d’autres jeunes femmes s’intéressaient à mon histoire, et déploraient qu’il n’y ait pas de livres de politiciennes qui décrivent les choses de l’intérieur. Je me suis aperçue qu’en effet, peu de femmes avaient écrit sur leur expérience politique. Étonnant, car il commence à y en avoir quelques-unes. Pourquoi n’écrivent-elles pas? Je crois que certaines auraient dû le faire. On a besoin de leurs témoignages.

Qu’est-ce qui a changé en 30 ans?

En relisant mon livre, j’ai constaté que rien n’avait réellement changé. Les femmes sont incapables de prendre des décisions qui leur appartiennent. Elles se font les porte-parole du premier ministre. Presque toujours sur la ligne de feu, toujours en faveur, jamais contre. Elles s’éteignent quand elles arrivent en politique.

Mais les hommes qui deviennent ministres ne « s’éteignent »-ils pas aussi, parfois?

Oui, le poste de ministre n’est pas fait pour briller. Mais les femmes prennent la loyauté au gouvernement très au sérieux. En général, elles ont un sens du devoir, de l’appartenance. Elles l’appliquent en politique comme ailleurs. C’est pour ça que j’attends de voir une femme première ministre.À ce moment-là seulement, on saura si ça change quelque chose, une femme au pouvoir. Car jusqu’à maintenant, le pouvoir appartient au premier ministre et à lui seul.

Les femmes ministres doivent-elles parler au nom des femmes, comme vous l’avez fait lorsque vous étiez au gouvernement?

Oui, je crois que c’est nécessaire. Sinon, qui le fera? En ce qui me concerne, je l’ai fait jusqu’aux Yvettes (voir : Mars 1980, campagne référendaire au québec). Le jour où l’on m’a demandé, après cet épisode, « Au nom de
qui parles-tu? »
, je me suis dit que je n’avais plus ma place, que je ne pouvais plus parler au nom des femmes.

Qu’attendez-vous des femmes en politique aujourd’hui?

J’aimerais par exemple qu’elles forment un caucus féminin au sein du gouvernement. Qu’elles se réunissent une fois par semaine pour analyser leurs actions ainsi que l’impact sur les femmes des décisions prises par le gouvernement. Qu’on aborde les dossiers dans une perspective féministe. S’il y avait une telle structure, je me sentirais rassurée, en tant que femme. J’aurais beaucoup souhaité avoir ça dans mon temps.

Tout de même, est-ce que les femmes ne sont pas plus présentes en politique?

Pas autant qu’on veut le croire. Je vous donne un exemple : on crée une commission d’enquête sur le processus de nomination des juges entièrement composée d’hommes [la commission Bastarache]… N’y avait-il aucune femme capable de faire le travail? La première avocate à qui l’on a posé la question a répondu qu’elle n’était pas féministe, mais qu’elle trouvait effectivement ça choquant. Moi, je réponds : si elle n’est pas féministe, elle ferait bien de l’être! Il serait temps! Je veux bien qu’on dise que l’égalité est atteinte, et que les féministes peuvent « relaxer ». Mais une occasion comme celle-là nous montre que nous nous illusionnons. Autre exemple : la commission Bouchard-Taylor concernait au premier chef les femmes, mais aucune ne figurait à sa présidence. Pourquoi ne dénonce-ton pas davantage ces aberrations?

Que proposez-vous?

Lorsque je siégeais, c’était une de mes priorités : chaque fois qu’il y avait des nominations uniquement masculines, je demandais si on ne pouvait pas faire l’effort de trouver des femmes. Il faut continuer. Dans un gouvernement qui compte beaucoup de femmes comme celui que nous avons actuellement, ce serait plus facile à exiger.

Est-ce que la politique actuelle vous décourage?

Au contraire! Je pense que nous vivons une période extraordinaire. Là où les gens perçoivent du désespoir, je vois plutôt que les citoyens font un doctorat en politique! Tout ce que le grand public soupçonne nous est confirmé : corruption, collusion pour le financement des partis, etc. Aujourd’hui, le citoyen ne peut plus dire qu’il ne sait pas. Je crois que ça va donner des résultats. Les femmes aussi apprennent. Je reçois des lettres ouvertes contenant de fines analyses politiques qu’on ne lisait pas il y a 20
ans (NDLR : Lise Payette tient une chronique au quotidien Le Devoir depuis 2007).

En 1982, vous aviez écrit dans votre livre : « Le jour où les femmes seront élues à égalité avec les hommes, il y aura un changement. » Nous avons eu un Conseil des ministres paritaire pendant presque deux ans. Est-ce assez long pour constater un changement?

Non. C’est l’ingénierie politique qu’il faut changer.

C’est-à-dire?

Le fonctionnement du quotidien politique. Par exemple, il ne faudrait plus siéger le soir. À 18 h, tout le monde devrait rentrer à la maison. Et j’irai plus loin : je déménagerais le parlement à Montréal. C’est un non-sens. La vie du Québec est à Montréal. Les politiciens et les politiciennes doivent faire le voyage sur une base régulière. Ça n’arrange que les hommes; ils arrivent à la maison et le linge est propre, tout est fait. Pour les femmes, c’est différent. Je viens d’apprendre qu’il n’y a toujours pas de garderie à l’Assemblée nationale. Je n’en reviens pas! La réingénierie, ça va jusque-là.

Et sur le plan politique?

Encore un exemple : il se perd un temps ou en chambre parce que souvent, les députés n’ont rien à dire de particulier, mais ils doivent parler, sinon les citoyens se demandent ce qu’ils font là. Chacun doit prendre la parole, parfois sur des sujets futiles… C’est comme faire du temps! Ça n’a pas de sens ça non plus. Il faut changer ces façons de faire.

Avez-vous senti que votre venue en politique avait pour but de faire bonne impression, d’améliorer l’image du gouvernement?

Vous savez, personne n’est venu me chercher. C’est moi qui ai appelé le premier ministre Lévesque pour travailler à l’indépendance du Québec. Ma seule expérience en politique consistait à avoir conduit madame Thérèse Casgrain dans ses déplacements. Lorsque j’ai dit à Lévesque que je ne reviendrais pas, il m’a répondu que c’était dommage, que j’avais toutes les qualités pour le remplacer…Je lui ai dit qu’il ne comprenait pas : j’étais allée en politique pour servir mon « pays ». Je ne voulais pas être première
ministre. Je n’avais pas non plus réalisé ce que ça allait me coûter d’aller en politique. Contrairement à un professeur en sabbatique, je ne pouvais pas revenir à mon travail – celui d’animatrice à la télé, ce que je savais faire le mieux. J’ai dû me réinventer. Je l’ai fait plusieurs fois dans ma vie.

Auriez-vous fait les choses autrement si vous aviez su ce qu’exigeait la politique?

Non, ça ne me ressemble pas. Je me suis engagée sans penser à tout ce que cela entraînerait.Mais j’en sors gagnante, je crois.

Peut-être que nous, les femmes, sommes sorties perdantes de votre retrait de la politique…

D’avoir été séparée des femmes après l’événement des Yvettes fut le plus douloureux. Car je croyais avoir suffisamment investi dans cette relation avec les femmes, qu’on était solidaires. Il faut se souvenir qu’à l’époque, j’étais la seule à parler de féminisme et de dossiers féministes dans les médias. La première à parler de moyens anticonceptionnels – et je devais souvent rendre des comptes à mes patrons de Radio-Canada. J’avais le sentiment d’avoir établi un lien profond avec les femmes. On pouvait me
reprocher beaucoup de choses,mais pas de les avoir trahies. Or elles, elles l’ont fait : c’étaient mes amies, c’étaient elles qui étaient au Forum, dans le camp du Non. J’ai perçu cet événement comme une trahison. Ç’a été très dur.

Mais est-ce que ce n’est pas ça, la politique?

Je souhaite que non. Que la politique, chez les femmes, ne se fasse pas de cette façon-là.

Mars 1980, campagne référendaire au Québec.

Lise Payette prononce une conférence devant une foule partisane où elle dénonce le sexisme encore présent dans les manuels scolaires québécois. Son but : aider les femmes à sortir des rôles stéréotypés dans lesquels elles sont confinées. Elle cite un extrait mettant en scène Guy, faisant du sport, et sa soeur Yvette, essuyant la vaisselle et balayant le tapis. Elle enchaîne en précisant qu’elle est elle-même une Yvette, que les femmes en sont toutes en raison de l’éducation qu’elles ont reçue. Elle affirme que Claude Ryan, alors chef de l’opposition libérale et à la tête du camp du Non, serait du genre à vouloir que les femmes restent des Yvettes. Elle ajoute : « Il est
d’ailleurs marié à une Yvette. »
Maladresse qu’elle reconnaît rapidement, mais qui lui vaudra insultes et mépris. Mme Payette s’excuse en
chambre, mais le mal est fait. Et l’incident prend de l’ampleur. Un mouvement des Yvettes s’organise autour du Comité du non. Les femmes sont divisées. En dépit de la tournure malheureuse des événements, le but premier est atteint : Lise Payette a réussi à convaincre le ministre de l’Éducation d’éliminer le sexisme dans les manuels scolaires.