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Infertilité : la part des hommes

Difficulté à procréer. D’autres options pour les problèmes d’infertilité masculine?

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Un meilleur dépistage des problèmes d’infertilité auprès des hommes pourrait épargner des traitements lourds et inutiles à leur conjointe. Et changer les mentalités sur les questions de fécondité.

Traitements hormonaux, interventions chirurgicales répétées pour prélever des ovules ou transférer un embryon, risques de fausse couche et de grossesse ectopique : lorsqu’un couple se lance dans un processus de fécondation médicalement assistée, le chemin peut être long et pénible. Encore plus pour la femme, qui porte le fardeau de la démarche en subissant la majeure partie des interventions.

Photographie de Mathieu Boilard.
« Notre but est de nous assurer que la conjointe ne subit pas de traitements inadéquats. Il est possible de faire gagner des mois d’attente au couple, mais il faut les bonnes analyses et des solutions adaptées »
 — Mathieu Boilard, biologiste et cofondateur du laboratoire Nasci

Toutefois, de nouvelles techniques d’analyse pourraient lever quelques obstacles. En activité depuis 2011, le laboratoire Nasci biologie médicale, à Longueuil, est spécialisé en fertilité masculine. Selon ses fondateurs, le biologiste Mathieu Boilard et la biochimiste clinique Lyne Massicotte, une analyse poussée du sperme permet de déceler certains problèmes d’infertilité… et d’éviter une série de traitements vains chez la femme.

« Quand un couple se présente chez un médecin pour un problème d’infertilité, il subit une première série de tests, notamment sur la présence de maladies transmissibles sexuellement pouvant être en cause, comme la chlamydia. Des analyses de sang pour un bilan hormonal seront également effectuées chez la femme, et l’homme passera un spermogramme », explique Mathieu Boilard.

Le problème, selon lui, réside dans la méthode utilisée dans la plupart des laboratoires, cliniques et hôpitaux du pays pour effectuer le spermogramme. En se concentrant uniquement sur la quantité de spermatozoïdes et leur mobilité, elle ne permettrait pas de déceler des anomalies majeures pouvant expliquer des problèmes d’infertilité. « L’ennui avec un spermogramme qui a été fait avec des techniques vétustes et dont les résultats sont normaux, c’est que le médecin conclut que le conjoint n’a aucun problème. L’erreur est là, affirme Mathieu Boilard. Pour assurer un bon diagnostic, il faut aller beaucoup plus loin. »

En plus des tests de base, les deux spécialistes proposent entre autres d’analyser la morphologie et la viabilité des spermatozoïdes, ainsi que la qualité de leur ADN. « J’ai eu un cas où l’homme avait des spermatozoïdes vigoureux et en assez grand nombre, mais 99 % d’entre eux avaient une forme anormale, raconte Mathieu Boilard. Sur le rapport destiné au médecin, j’ai suggéré de vérifier d’autres paramètres avant que des traitements basés sur la bonne qualité de la semence du conjoint soient amorcés sur la conjointe. »

Les résultats seront déterminants pour la suite des choses, car certains paramètres pourraient montrer que les chances de réussite en fécondation in vitro ou en insémination artificielle sont pratiquement nulles. « Notre but est de nous assurer que la conjointe ne subit pas de traitements inadéquats. Il est possible de faire gagner des mois d’attente au couple, mais il faut les bonnes analyses et des solutions adaptées », explique le biologiste.

Difficile transfert

Selon ses fondateurs, Nasci serait le seul laboratoire à proposer des analyses de sperme aussi précises au Canada. Mathieu Boilard estime que le système de santé se cantonne à des méthodes archaïques en raison du manque de transfert de connaissances et de technologies. « Pourtant, ce n’est pas la littérature scientifique sur le sujet qui manque, lance le biologiste en montrant les imposantes piles de documents qui remplissent les tiroirs de son bureau. Dans le système de santé, les médecins orientent les choix de traitements, mais ils n’ont pas les connaissances suffisantes en biologie cellulaire et ne sont pas toujours au courant des dernières avancées. Ce n’est pas leur faute, ils ne sont pas biochimistes. Il faudrait donc intégrer des biologistes ou des biochimistes dans les équipes pour que le transfert se fasse. »

Photographie de Lyne Massicotte.
Lyne Massicotte estime qu’il est difficile pour un laboratoire comme Nasci de promouvoir son expertise auprès des médecins du système public. Très sollicités et ayant peur des charlatans, ces derniers hésitent à privilégier un laboratoire plutôt qu’un autre.

De plus, un problème de taille empêche les fondateurs de Nasci de diffuser leur expertise. N’étant pas médecins et travaillant en laboratoire, ils ne peuvent pas faire de prescriptions pour les analyses. Ce sont les patients, munis d’une prescription faite par un médecin, qui choisissent où aller subir leurs tests. Mathieu Boilard et Lyne Massicotte ont approché des médecins pour se faire connaître, sans grand succès pour le moment. « Ils sont tellement sollicités! Et c’est normal, ils ont peur des charlatans. De plus, c’est problématique qu’un médecin du système public privilégie un laboratoire plutôt qu’un autre », convient la biochimiste. Autre frein : le prix. Les analyses de Nasci coûtent de 260 $ pour le bilan de base à 750 $ pour la batterie complète, contrairement aux analyses gratuites du système public.

Agir en amont

Souvent, les couples passent donc la porte de chez Nasci après plusieurs tentatives infructueuses de procréation assistée, dont l’échec demeure inexpliqué. « On a eu un cas où la femme avait eu quatre fécondations artificielles qui ont toutes fini en fausse couche. Les spermatozoïdes de son conjoint présentaient de graves problèmes d’ADN. Si on avait fait les tests avant, on aurait évité des mois de traitements inutiles et des deuils à répétition, en plus de faire épargner beaucoup d’argent au système de santé », affirme le biologiste qui est confronté à ce genre de situation tous les mois.

Mathieu Boilard rappelle également qu’en cas d’hypofécondité masculine, l’homme peut poser des gestes simples. « Une des premières choses à faire quand un spermogramme est anormal, c’est d’examiner ses habitudes de vie. Un mode de vie intense, avec beaucoup de stress, de café et pas assez de sommeil, affecte la fécondité. Beaucoup d’hommes ont un ménage à faire dans leurs habitudes. Avec un suivi de spermogramme, l’homme peut se rendre compte des répercussions positives de certains changements. »

Pression sur les femmes

Reste que peu d’hommes se préoccupent de leur fertilité avant d’avoir un projet d’enfant. Et quand il y a un problème, la médecine ne les sollicite pas davantage. « La reproduction a toujours été vue comme une affaire de femmes, note Élisabeth Abergel, professeure de sociologie à l’UQÀM. La médecine de la reproduction s’est longtemps concentrée sur les interventions sur le corps féminin : contraception, avortement, fécondation médicalement assistée. Beaucoup moins d’options existent pour les problèmes d’infertilité masculine. »

Photographie d'Élisabeth Abergel.
« La femme d’un couple dont l’infertilité provient du conjoint va tout de même subir tous les traitements médicaux et les interventions physiques que cela implique […] en plus des effets secondaires associés à la prise d’hormones pour stimuler les ovaires »
 — Élisabeth Abergel, professeure de sociologie à l’UQÀM

Elle estime que cette pression sur les femmes vient des techniques de reproduction et de procréation assistées qui se concentrent sur leur corps, même si les problèmes se trouvent du côté de l’homme. « La femme d’un couple dont l’infertilité provient du conjoint va tout de même subir tous les traitements médicaux et les interventions physiques que cela implique (aspiration des ovules, réimplantation, etc.), en plus des effets secondaires associés à la prise d’hormones pour stimuler les ovaires. »

Remonter à la source

La professeure estime qu’un meilleur dépistage mériterait d’être effectué auprès des hommes et reconnaît l’intérêt d’une méthode d’analyse plus précise du sperme. « On a tendance à envisager les problèmes d’infertilité masculine à partir de la qualité du sperme et de la quantité de spermatozoïdes, et de tenter de favoriser les chances de fécondation plutôt que de s’interroger sur les causes premières du problème, qui peuvent être complexes, explique-t-elle. L’environnement et le style de vie peuvent entrer en ligne de compte, par exemple. Si on constate que ce sont les perturbateurs endocriniens qui sont impliqués dans la majorité des cas d’infertilité masculine, il faut, comme société, trouver des solutions pour diminuer la pollution et l’utilisation de plastique dans les produits et les aliments qui entrent en contact direct avec nos corps. »

En attendant que le système de santé et les mentalités évoluent, une meilleure prise en compte de l’infertilité masculine constituerait un premier pas. Et comme le mentionne Élisabeth Abergel, « sur le plan psychologique, le fardeau des difficultés à procréer serait partagé entre l’homme et la femme ».