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Malades de tout

Après l’ère de l’information, de la performance et de la consommation de masse, bienvenue dans l’ère de la surmédicalisation!

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Après l’ère de l’information, de la performance et de la consommation de masse, bienvenue dans l’ère de la surmédicalisation! Déjà, elle a vu plusieurs processus physiologiques naturels intronisés au temple de la renommée médicale. Baisse de moral et irritabilité après l’accouchement? Maladie. Changements liés à la ménopause? Maladie. Diminution de la performance sexuelle? Maladie. Mais de plus en plus de spécialistes disent stop! La Gazette des femmes donne la parole à quelques-uns d’entre eux. Sommes-nous Malades d’inquiétude? C’est la question que pose le titre du livre récemment traduit de Nortin M. Hadler, médecin états-unien, professeur et auteur de plusieurs ouvrages et articles de référence. Paru en , son essai montre combien il est difficile de croire à son bien-être quand les campagnes de promotion de la santé sont axées sur la peur et attribuent un nom médical au moindre petit malaise… avec pilule ou vaccin à la clé. « La religion a souvent joué sur la peur et la culpabilité. Le milieu de la santé reprend la même formule, avance Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes1 (RQASF). C’est sans contredit la formule du pouvoir. » Ce que nous apprend par ailleurs le Dr Hadler, c’est que les malaises courants (maux de tête, troubles digestifs, insomnie, etc.) sont aussi le lot des bien-portants. Être en santé ne signifie donc pas ne souffrir d’aucun mal. Pourtant, dès qu’il y a affection, nous aurions tendance à perdre nos moyens et à nous en remettre totalement à la médecine. Comme si nous avions perdu confiance en notre jugement et en notre capacité de supporter des épisodes de douleur. Ni Mme Assayag ni le Dr Hadler n’insinuent que la médecine n’a rien de bon à offrir. Ils invitent simplement à demeurer vigilant devant les traitements suggérés, voire imposés. Un scepticisme éclairé : voilà l’attitude à adopter. « Ce n’est pas normal de ne pas avoir un mot à dire sur les traitements que nous propose notre médecin, analyse la directrice du RQASF. Il faut être capable d’affirmer : “C’est mon corps!” C’est un discours féministe de la première heure, mais qui est encore nécessaire. » L’avocate, chercheuse et enseignante se dit toutefois encouragée par le programme Patient partenaire de soins (voir l’article : Pour une nouvelle relation soignant-patient) de l’Université de Montréal. Cette formation en médecine considère le patient comme un expert — il est notamment invité à participer au choix de son propre traitement — et le place dans un rapport égalitaire avec l’équipe soignante.

Business pharmaceutique

Fernand Turcotte est médecin, professeur, cofondateur du Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval… et traducteur des livres de Hadler. Il constate qu’on oublie trop souvent que les compagnies pharmaceutiques sont des entreprises privées qui doivent atteindre des objectifs de rentabilité. Le problème, c’est qu’elles arrivent à convaincre des médecins et la population du caractère essentiel du médicament ou du vaccin qu’elles s’apprêtent à mettre sur le marché. « Leur objectif, c’est de créer des besoins afin d’assurer la vente de leurs produits, explique Fernand Trucotte. Il faut que le monde médical arrête de compter sur l’apport de l’industrie pharmaceutique dans le développement de la médecine. Ça ne mène nulle part. » Lydya Assayag se désole également du rôle central que joue cette industrie mercantile dans le domaine de la santé. « On considère la santé comme un marché. On n’investit pas dans la prévention, même si elle est efficace, car elle ne rapporte pas d’argent. La société repose sur une logique marchande. Et l’industrie pharmaceutique compte pour beaucoup dans ce changement des mentalités », observe-t-elle. Les stratégies marketing des compagnies pharmaceutiques vont souvent trop loin, estime Fernand Turcotte. Pour illustrer son propos, il renvoie à l’article de la pharmacologue Adriane J. Fugh-Berman, paru en dans un périodique électronique de la Bibliothèque du Congrès, aux États- Unis. Le texte avait provoqué une onde de choc! Une histoire qui rappelle celle du Dr Jeffrey Wigand qui, au tournant des années , a été l’un des premiers à dénoncer les pratiques sans scrupules de l’industrie du tabac. Mme Fugh-Berman a eu recours à un traitement hormonal substitutif lors de sa ménopause. Rapidement, elle a établi un lien direct entre la prise de ces hormones et le cancer du sein qu’elle a développé (comme 14 000 autres femmes suivant ce même traitement, qui ont d’ailleurs entamé un recours collectif contre le fabricant). Le statut de pharmacologue de Mme Fugh-Berman lui a donné accès aux dossiers de la compagnie. Ce qu’elle a constaté est effarant. Des rédacteurs en marketing — et non des scientifiques — ont rédigé des publications que le fabricant a fait passer pour des études rigoureuses. Une écriture « scientifique » en soustraitance et des messages marketing « crédibles » publiés dans les journaux ont ainsi permis au géant pharmaceutique de vendre son produit à grande échelle. Évidemment, ces textes dissimulaient les risques réels que comporte la prise de ces hormones. L’article solidement documenté de Mme Fugh-Berman met ainsi au jour une pratique bien établie dans le milieu pharmaceutique et médical : celle du prête-nom, soit des rédacteurs payés par l’industrie. « Sur 50 facultés de médecine aux États-Unis, seulement 8 ont une politique concernant les prête noms, précise le Dr Turcotte. C’est une pratique très courante, où le lien de responsabilité disparaît totalement. Deux rédacteurs en chef d’importantes revues de médecine ont d’ailleurs démissionné dernièrement parce qu’ils ne pouvaient plus garantir l’honnêteté des articles qu’ils publiaient. » Qu’on se rassure! Tous les traitements contre les effets de la ménopause ne donnent pas le cancer. Mais Lydya Assayag émet tout de même des mises en garde:« Aujourd’hui, on baigne dans la prévention de la prévention. Par exemple, des femmes se font proposer des médicaments pour prévenir l’ostéoporose. Pourtant, ils peuvent causer des effets secondaires importants, dont la nécrose de la mâchoire et des problèmes d’estomac. » Elle déplore le fait que la ménopause soit vue comme un dérèglement plutôt que comme un phénomène physiologique naturel. Que le monde médical en ait fait une étape négative, accompagnée de maladies.

L’approche féministe

Lydya Assayag croit que l’amélioration de la santé des femmes passe par la résolution des problèmes de pauvreté, de violence et de conciliation travail famille. Notamment. « Il faut développer une vision globale de la santé, surtout en santé des femmes. On est influencées par notre environnement. Pourtant, en médecine, tout est morcelé. » La vision du RQASF s’oppose également à ce que Lydya Assayag appelle la mentalité du one size fits all. « On ne peut pas toutes être évaluées selon les mêmes barèmes. Il existe mille et une conditions qui influencent la santé : l’ethnie, le milieu social ou familial, etc. Il faut considérer le cumul de tout ça, comprendre la spécificité de chaque personne. » Elle cite une étude réalisée à Montréal qui démontre que la population du quartier aisé de Westmount a une espérance de vie de 10 ans supérieure à celle des résidants d’Hochelaga-Maisonneuve, un quartier défavorisé. D’ailleurs, un rapport récent de l’Organisation mondiale de la santé conclut que pour assurer la santé des nations, il faudrait redistribuer les richesses. Ce rapport, comme l’étude montréalaise, établit un lien très clair entre pauvreté et santé. Une approche féministe de la santé serait-elle devenue essentielle? C’est ce que croit le RQASF (voir l’article: Les traveaux du CSF). En raison de notre spécificité biologique d’abord, mais aussi parce que nous sommes les plus pauvres et les plus violentées de la société, comme le fait observer Lydya Assayag. Et parce qu’il est temps que nos cycles physiologiques retrouvent leurs lettres de noblesse, plutôt que d’être considérés comme des maladies.

1Réseau québécois d’action pour la santé des femmes

Dans les années , un mouvement en santé des femmes a vu le jour au Québec, s’attardant d’abord au droit à l’avortement et aux contraceptifs. Très vite, il prendra position contre la médicalisation du corps et s’intéressera à la justice sociale. Dans les années , des groupes se rassemblent en réseau pour finalement former, en , le RQASF. Ce dernier travaille, dans une perspective féministe, à l’amélioration de la santé et des conditions de vie des femmes et offre des solutions de rechange à la médicalisation des processus physiologiques naturels.