Aller directement au contenu

Chercheuses universitaires sur un chemin escarpé

Les découvertes scientifiques ont longtemps constitué une forteresse masculine. Depuis quelques décennies toutefois, les choses avancent.

Date de publication :

Auteur路e :

Les découvertes scientifiques ont longtemps constitué une forteresse masculine. Depuis quelques décennies toutefois, les choses avancent. Lentement. Mais les fonds de recherche ne sont pas toujours au rendez-vous.

En mai dernier, le gouvernement fédéral a attribué 19 prestigieuses chaires de recherche à… 19 professeurs masculins. Plusieurs femmes de science ont exprimé une légitime consternation. Et une profonde déception. «Cet épisode a démontré de façon aiguë les différences entre hommes et femmes dans la reconnaissance des postes prestigieux pour lesquels il y a des fonds de recherche à long terme », commente Hélène Lee-Gosselin, professeure à la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. Avec 10 millions de dollars chacun, étalés sur sept ans, les titulaires de ces chaires
bénéficieront de conditions de recherche exceptionnelles.

Une étude récente démontre que les femmes reçoivent en moyenne moins de fonds de recherche que les hommes, qu’elles publient moins d’articles – surtout après 35 ans – et que leurs contacts internationaux sont plus restreints. Or, la formation d’équipes de recherche internationales est plus susceptible d’apporter un rayonnement débordant les frontières du pays. Les organismes subventionnaires privilégient les chercheurs dont les travaux auront des retombées plus larges et seront publiés dans des revues étrangères. Les femmes s’en trouvent pénalisées. « J’appelle cela de la discrimination systémique », dit pour sa part Mme Lee- Gosselin.

Si les femmes reçoivent moins de fonds, c’est notamment dû au fait que les hommes recueillent beaucoup plus d’argent auprès du secteur privé, particulièrement en santé, où leurs fonds de recherche représentent près du double de ceux des femmes, soit 216 000 $ en moyenne par chercheur contre 113 000 $. En d’autres termes, les femmes sont exclues d’un réseau industriel qui devient un acteur de plus en plus important dans la recherche biomédicale.

En sciences sociales et humaines, où les femmes sont présentes depuis plus longtemps, les différences sont très faibles, soit 24 000 $ contre 22 000 $. Et en sciences pures et en génie, la subvention moyenne pour les hommes s’élève à 61 000 $, contre 54 000 $ pour les femmes. La hauteur des subventions ne dit cependant pas tout. Par exemple, en sciences pures et en génie, un phénomène pernicieux consiste à déprécier les recherches des femmes. « Les femmes souffrent d’un effet spécifique à leur sexe selon lequel leurs contributions y sont systématiquement dévalorisées », rapporte cette étude à paraître intitulée Financement, productivité et impact scientifique selon le genre et dirigée par Yves Gingras et Vincent Larivière de l’Université du Québec à Montréal. Leurs recherches ont donc moins de retentissement et leurs auteures seront moins bien évaluées dans les demandes de fonds. Bref, la signature d’une femme vaut moins!

Un milieu modelé au masculin

Mais quelle que soit la discipline, la recherche universitaire est marquée par une impitoyable concurrence. « Les femmes arrivent en plus grand nombre à l’université à un moment historique où les établissements ont embrassé sans nuance une culture qui les oblige à obtenir des subventions de recherche rapidement et à publier. Pour les jeunes femmes qui aspirent à la carrière, mais aussi à la vie familiale, la pression est énorme », raconte pour sa part Ruby Heap, professeure au Département d’histoire de
l’Université d’Ottawa qui s’intéresse à l’histoire des femmes.

Non seulement un nombre considérable de chercheuses se sentent coincées entre la vie privée et la vie professionnelle,mais plusieurs jugent tout aussi important de participer à la vie de leur communauté que de publier. «Les femmes consacrent davantage de temps à des tâches qui sont moins bénéfiques à leur avancement », note Diane Berthelette, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et observatrice avisée de la scène universitaire depuis 30 ans. Par exemple? Les femmes siégeraient davantage aux innombrables comités départementaux et elles effectueraient beaucoup plus de tâches d’encadrement auprès des
étudiants, toutes choses qui ne se traduisent pas en bons points dans une demande de subvention, où la règle première reste le nombre de publications. Pourtant, les étudiants, il faut s’en occuper, non?

Valoriser la recherche terrain

Mme Berthelette, qui est aussi PDG du Centre de liaison sur l’intervention et la prévention psychosociale, croit justement qu’il faut repenser les indicateurs servant à mesurer les retombées des recherches, notamment en santé. Elle propose de prendre en considération l’impact de travaux moins théoriques. Les femmes font beaucoup de recherches sur le terrain. Ce sont elles qui ont été les pionnières de ce genre de recherche-action. Elles
ont entre autres amorcé un dialogue avec des femmes subissant de la violence et ont étudié les conditions de vie des femmes immigrantes, avec ces dernières à leurs côtés. Ce type de travail a longtemps été dévalorisé. « Les critères sont encore très axés sur la recherche théorique », déplore Mme Berthelette.

La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université n’est pas insensible aux différences entre chercheurs et chercheuses. Frédéric Deschenaux et Mélanie Belzile ont fait enquête. « Le modèle actuel de recherche subventionnée semble désavantager les femmes », résume M. Deschenaux, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski. Mais qui peut se permettre de se passerdu talent de la moitié de la population, au moment où la planète affronte des défis gigantesques?