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Les sexes en équilibre

L’auteure Valérie Colin-Simard nous parle de valeurs du masculin et du féminin… et de leur équilibre.

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« On ne naît pas femme, on le devient. » Cette célèbre phrase de Simone de Beauvoir a modelé le féminisme des 50 dernières années. Pourtant, elle cache une vision négative du féminin, selon Valérie Colin-Simard. L’auteure et psychologue explique pourquoi dans son nouveau livre Masculin-féminin. La grande réconciliation.

Changer de vision du monde. Voilà ce à quoi nous convie l’auteure et psychologue Valérie Colin-Simard. Critique du dogme féministe, elle signait en 2002 Quand les femmes s’éveilleront… Oser le féminin (Albin Michel), un essai qui dénonçait les préjugés contre le féminin et, conséquemment, contre les femmes. Elle exhortait les lectrices à comprendre la force du féminin (« leur » force), faite de sensibilité, d’émotions, de valeurs de compassion, d’empathie et de vulnérabilité. À cesser de se dévaloriser, de se juger, et d’essayer de ressembler aux hommes… L’auteure plaidait pour un monde différent, en un mot : féminin.

Si des blagues cyniques traversent votre esprit en lisant ce simple mot (féminin), c’est que vous êtes déjà contaminée par l’androcentrisme : pour vous, être une femme avec sa sensibilité, ses émotions, sa vulnérabilité est, à la base, un problème. « C’est un peu ce que disait Simone de Beauvoir dans son célèbre essai Le deuxième sexe, explique Valérie Colin-Simard, jointe à son domicile parisien. Si vous lisez bien, de Beauvoir dit plutôt : “On ne naît pas inférieure, on le devient.” »

Tu seras un homme, ma fille

Bien qu’il incite les femmes à conquérir leur indépendance, ce livre phare écrit en 1948 témoigne de l’inconscient collectif dont nous sommes imprégnées, même lorsqu’on est féministe, soulève la psychologue. « Pour de Beauvoir comme pour toute la société, même encore aujourd’hui, être femme, c’est être inférieure. » En somme, il faut « surfaire » ses preuves pour montrer qu’on est capable de faire les choses comme les hommes, selon un point de vue patriarcal.

Photographie de Valérie Colin-Simard.
« […] pour la première fois, les choses changent pour les femmes et pour les hommes. Eux ont le droit d’éduquer des enfants, de se montrer sensibles, et les femmes ont le droit de travailler, de mener une vie publique. »
 — Valérie Colin-Simard

« Ce paradoxe du féminisme s’explique par l’histoire. Rien ne change en un clin d’œil, et le féminisme tel qu’on l’a connu a été une étape nécessaire : les femmes avaient besoin de se réapproprier leur masculin, de démontrer qu’elles pouvaient faire carrière, performer, gagner de l’argent, être autonomes. Bien, nous l’avons prouvé. Maintenant, nous devons aller un cran plus loin et imposer d’autres valeurs. »

La chute du mur

L’une des questions qui se posent à la lecture de ce nouveau livre est la suivante : Pourquoi sexualiser les valeurs? L’empathie, l’ambition, l’intimité ne peuvent-elles pas s’appliquer aux hommes comme aux femmes? « On ne peut pas oublier l’histoire qui nous a menés au monde actuel, répond Valérie Colin-Simard. Il faut se souvenir que pendant 35 000 ans, le monde a été divisé en deux : d’un côté, les hommes, leurs activités, leurs valeurs, liées à la guerre et à leur vie professionnelle; de l’autre, les femmes, les émotions, les liens, les activités liées à la famille et toutes les valeurs associées à la vie privée. » Qu’on soit d’accord ou non avec cette scission, c’est une réalité, affirme-t-elle.

Donc, aux femmes le privé, aux hommes le public. Une sorte d’apartheid des sexes a régi notre monde, et ce, pendant des siècles. « Or pour la première fois, poursuit-elle, les choses changent pour les femmes et pour les hommes. Eux ont le droit d’éduquer des enfants, de se montrer sensibles, et les femmes ont le droit de travailler, de mener une vie publique. Mais tout cela est très récent. » Et si le monde n’est plus divisé en deux, que « le mur est enfin tombé, les “valeurs” qui nous animent restent toujours actives ». Elles sont, depuis des millénaires, le ferment de nos cultures, de notre vision du monde. Et, ajoute Valérie Colin-Simard, elles peuvent migrer. Les valeurs du masculin n’appartiennent pas qu’aux hommes, et vice-versa.

Leçon de l’histoire

La preuve, c’est que les femmes ont déjà exercé une certaine domination, il y a 40 000 ans. Dans son essai, l’auteure consacre de nombreuses pages aux sources anthropologiques et archéologiques (objets de culte, artéfacts, dessins rupestres, textes sacrés) qui illustrent cette domination féminine, notamment par la fertilité. C’était un peu le règne de la Déesse. S’il a engendré une mythologie féministe de la mère toute-puissante, il a une base de vérité. « Le matriarcat est toujours présenté comme un éden pavé de bons sentiments. Les rituels dont je parle sont cruels envers les hommes, mais présentés de manière pittoresque, anecdotique dans les récits ou les illustrations de sacrifices, par exemple. Je crois que, jusqu’à présent, on ne voyait pas la violence dont les femmes pouvaient faire preuve. Oui, elles peuvent être cruelles et violentes. Oui, les hommes ont abusé de leur pouvoir. On est d’accord. Je ne souhaite pas montrer que les uns sont meilleurs que les autres, mais que la domination du masculin n’est pas souhaitable, pas plus que celle du féminin. Il faut un équilibre. »

Plus de mixité

C’est la théorie qui prévaut dans ce livre : les valeurs du masculin et du féminin, si elles sont en équilibre, construisent un monde plus positif.

Transposant son analyse dans le monde du travail, sujet qu’elle évoque dans ses ouvrages, Valérie Colin-Simard a été invitée par la fondatrice d’un cabinet français de coaching à monter un programme pour les entreprises. « Le but est de sensibiliser les cadres à l’importance de l’équilibre des valeurs pour en faire des leaders visionnaires, et pour qu’ils travaillent à un développement économique raisonnable. »

Pourquoi plus de féminin fait-il une différence? En partie parce que les valeurs féminines, traditionnellement pratiquées par les femmes, insufflent un sens aux actions et aux décisions, comme elle l’écrit dans Masculin-féminin : « Au-delà du pouvoir pour le pouvoir ou de l’argent comme un but en soi, la plupart des femmes ont besoin de donner du sens à leur action. Un but purement financier et économique suffit rarement à les motiver. »

Jusqu’à maintenant, le développement économique a surtout tenu compte du profit. Peut-être que ça pourrait changer, avec plus de femmes. Et surtout, plus de féminin.

Couverture du livre « Masculin-féminin. La grande réconciliation ».

Valérie Colin-Simard, Masculin-féminin. La grande réconciliation, Albin Michel, 2013, 299 p.