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Les mains dans la graisse

Rencontre avec des femmes mécanos du vélo!

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Pour les cyclistes, printemps égale mise au point et réparations. Plutôt que de laisser sa monture au pneu crevé dans une boutique spécialisée, pourquoi ne pas s’initier à la mécanique vélo? De plus en plus de femmes osent investir ce fief typiquement masculin.

À l’âge de 10 ans, Denise Belzil apprenait les rudiments de la mécanique vélo. Après avoir travaillé dans les ateliers et les événements cyclistes les plus prestigieux, elle a fondé Techno Cycle, sa propre école de mécanique.

Aujourd’hui mécanicienne réputée, elle n’a pas toujours eu la tâche facile. « C’est un milieu de gars. Au début, les mécanos ne voulaient rien savoir d’une fille dans les parages. Je me faisais dire : “Tiens, une jupe dans l’atelier” », se souvient-elle.

Conseillère dans une boutique de vélo de Montréal et intéressée par la mécanique, Shanty Méthot-Richer, elle, a senti le besoin d’organiser des soirées pour femmes à La voie libre, un atelier de mécanique vélo communautaire situé à l’Université Concordia. « C’est déjà intimidant d’apprendre quelque chose de nouveau. Ça l’est encore plus quand on est entourée d’hommes qui estiment que, parce qu’on est une femme, on a moins d’intérêt et d’aptitudes pour la mécanique », explique-t-elle.

Pendant les plages horaires mixtes, la jeune femme se fait souvent enlever les outils des mains, malgré ses deux ans et demi d’expérience. « Ce n’est jamais pour mal faire. Les mécaniciens pensent nous aider en nous montrant comment faire. Mais ce n’est pas comme ça qu’on nous aide à apprendre. Au contraire. » À son travail aussi, elle a l’habitude de se faire « éclipser » par les mécaniciens… « Quand je réponds au téléphone, les clients demandent systématiquement à parler à un mécanicien », raconte la conseillère qui passe plus souvent qu’à son tour pour une caissière.

La mécanique de l’autonomie

Quand les femmes s’inscrivent à des cours de mécanique, c’est souvent parce qu’elles veulent être autonomes sur la route. « Ça les rassure. Elles ont peur d’avoir une crevaison et de rester prises au milieu de nulle part. Et elles ne veulent pas non plus attendre après leur conjoint pour pouvoir partir », dit Denise Belzil.

Photographie de Denise Belzil.
Selon Denise Belzil, formatrice en mécanique de vélo, les femmes veulent être autonomes et ne veulent plus attendre après leur conjoint pour pouvoir partir à vélo.

La formatrice remarque que les débutantes manquent de confiance. « Je leur montre que la mécanique vélo est accessible, que ce n’est pas obligatoire d’avoir des gros bras musclés pour faire des réparations. Une fois qu’elles suivent le cours, elles se rendent compte que ce n’est pas compliqué. Ça ressemble à plusieurs choses qu’elles font à la maison, comme enfiler une aiguille. » Malgré tout, les hommes sont plus prompts à saisir les outils. « On dirait que nous, les femmes, on n’ose pas se lancer dans ce qu’on ne connaît pas. On va se renseigner, se renseigner… Après seulement, on va oser », analyse la mécanicienne.

C’est d’ailleurs en se renseignant qu’elle a réussi à se tailler une place parmi ses collègues masculins. « Les mécaniciens n’aiment pas ça quand tu es meilleure qu’eux. Pour faire valoir mes compétences, je leur faisais comprendre que j’avais lu les instructions et pas eux. »

Denise Belzil a ainsi réussi à inspirer la confiance des cyclistes pendant des événements prestigieux comme le Tour de France. « Les participants ont fini par voir que j’avais toujours la solution à leurs problèmes mécaniques. Maintenant, ils veulent que ce soit moi qui répare leur vélo. » Mais beaucoup de ceux qui ne la connaissent pas se tournent encore vers ses collègues masculins. «  Ils se demandent ce que je fais là avec mes cheveux gris », rigole-t-elle.

Rouler ou se faire rouler

Autre difficulté pour les femmes cyclistes : les conseillers des boutiques de vélo sont eux aussi souvent des hommes. Jeunes, qui plus est. « Les femmes ont de la difficulté à se faire écouter et à faire comprendre leurs besoins. Après avoir acheté un vélo, mes élèves viennent souvent me voir en me disant que ce n’est pas ce qu’elles voulaient », note Denise Belzil. Des femmes d’une quarantaine d’années très sportives se font conseiller un vélo hybride plutôt qu’un vélo de route… « Les conseillers estiment qu’elles ne sont pas intéressées par la vitesse », renchérit Shanty Méthot-Richer.

Denise Belzil essaie de développer un sens critique chez ses élèves. « Je leur donne des arguments pour qu’elles retournent en boutique acheter le produit qui correspond réellement à leurs besoins. » Shanty Méthot-Richer tente elle aussi de renverser la tendance. « Quand je vends un vélo à une cliente qui correspond vraiment à ce qu’elle recherche, je sens que je fais une différence. »