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La Suisse : eldorado des infirmières québécoises?

Mais qu’est-ce qui pousse donc des infirmières d’ici à aller exercer en Suisse? Réponses.

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Chaque année, des infirmières québécoises partent exercer leur profession en Suisse. En quoi le gazon helvétique leur paraît-il plus vert que le nôtre?

« Les seules possibilités de travail pour les infirmières au Québec étaient à temps partiel ou “sur appel” », raconte Chantal Montreuil. Ce souvenir remonte à 1979, lorsqu’elle a terminé sa formation à Québec. « Pour obtenir un poste de jour, il fallait attendre 10 ans, alors qu’en Suisse, une infirmière y a accès dès le début de sa carrière. » Infirmière clinicienne spécialisée en diabétologie, elle s’est établie dans le petit pays alpin il y a 34 ans. Depuis 16 ans, elle travaille au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Lorsqu’elle est arrivée en Suisse romande, la partie francophone du pays, la pénurie de main-d’œuvre était telle qu’on demandait au personnel infirmier étranger de choisir où il voulait travailler : à l’urgence, aux soins intensifs, au bloc opératoire… « Pour une infirmière du Québec, cela semblait incroyable! » s’exclame la Charlesbourgeoise d’origine.

Photographie de Valérie Renoud-Grenier.
« [En Suisse], si vous faites deux réanimations en une journée, vous rentrerez quand même chez vous à l’heure prévue. Au Québec, si je pratiquais une réanimation, j’étais certaine d’avoir à rester deux heures supplémentaires. »
 — Valérie Renoud-Grenier

Même son de cloche chez Valérie Renoud-Grenier, une jeune collègue de 38 ans. « Lorsque j’ai terminé ma formation en sciences infirmières à l’Université Laval, au milieu des années 1990, les seuls à nous offrir du travail étaient les Suisses. » Ça tombait bien : elle avait envie de voyager. C’est ainsi qu’en 1999, après quelques années de travail à la Cité de la santé à Laval, elle s’est envolée vers Lausanne. Elle a d’abord exercé sa profession dans une école privée, puis au CHUV et dans un hôpital de Martigny. Depuis huit ans, elle travaille aux soins à domicile pour le centre médical social ASANTE SANA, à Aigle, dans le canton de Vaud. Et il n’y a pas que la famille qu’elle a créée là-bas qui la retient en Europe. Les conditions de travail pèsent aussi dans la balance.

Après avoir travaillé de nuit pendant trois ans au Québec, Mme Renoud-Grenier a apprécié les horaires plus adaptés aux besoins des infirmières… et des jeunes mères. En Suisse, les heures supplémentaires sont rares. « Si vous faites deux réanimations en une journée, vous rentrerez quand même chez vous à l’heure prévue. Au Québec, si je pratiquais une réanimation, j’étais certaine d’avoir à rester deux heures supplémentaires. »

Ancienneté et charge de travail

Malgré la mise à la retraite de plusieurs milliers d’infirmières au milieu des années 1990 par le ministre Jean Rochon, Chantal Montreuil pense que la situation ne s’est pas beaucoup améliorée dans la Belle Province. En 2007, elle est retournée à Montréal pour poursuivre un doctorat en sciences infirmières. « Les professionnelles qui étudiaient avec moi me disaient que leurs conditions de travail continuaient à être dictées par l’ancienneté », relève-t-elle.

Photographie de Chantal Montreuil.
Pour Chantal Montreuil, le salaire plus élevé en Suisse, les horaires convenables et un équilibre entre les dimensions humanistes et scientifiques de la profession ont pesé dans la balance.

Plusieurs de ses collègues estimaient que les postes étaient parfois attribués davantage en fonction du nombre d’années au service d’un employeur que des compétences. « En Suisse, les syndicats n’ont pas le même rôle qu’au Québec : ils assurent une fonction de concertation et non de confrontation. Et l’ancienneté n’est pas un facteur déterminant. Tout le personnel fait des nuits, choisit ses horaires et le moment de ses vacances. »

Quand la jeune cinquantenaire a considéré un retour au Québec il y a quelques années, on lui proposait 40 000 dollars nets pour un poste d’infirmière clinicienne spécialisée. En Suisse, on lui offrait le double. De surcroît, elle aurait dû attendre 12 ans avant de travailler de jour avec des horaires convenables. Elle admet que le coût de la vie est plus élevé en Suisse qu’au Québec. « Cependant, le taux d’imposition est plus bas, et tout compte fait, j’y gagne mieux ma vie, » précise-t-elle, tout en ajoutant que son choix n’a pas été motivé uniquement par le salaire. Un environnement de travail offrant un équilibre entre les dimensions humanistes et scientifiques de la profession a aussi joué en faveur de la Suisse.

Autre fait intéressant : la charge de travail en Suisse n’a rien à voir avec celle au Québec, où il faut faire plus avec moins, croit Valérie Renoud-Grenier. « J’ai une collègue qui travaille aux soins à domicile à Rosemère et à Terrebonne. Elle doit voir entre 15 et 20 patients par jour, tandis qu’ici, on en voit 10 ou 12. »

Mme Renoud-Grenier considère néanmoins que les infirmières jouissent d’une meilleure reconnaissance professionnelle au Québec. Avec les médecins, elles forment un véritable tandem. « En Suisse, la hiérarchie est plus marquée. Même si la situation tend à évoluer, certains médecins sont parfois arrogants et traitent encore les infirmières comme de petites assistantes. »

Le système suisse : exportable?

Pourrait-on reproduire au Québec certaines conditions de travail des infirmières en Suisse? Présidente sortante de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec et actuelle présidente du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone, Gyslaine Desrosiers a visité quelques sites hospitaliers en Suisse romande. « La Suisse dispose de budgets liés à la santé beaucoup plus importants qu’au Québec, constate-t-elle d’emblée. Les infirmières ne sont pas continuellement confrontées à des réformes, à des compressions et à des coupures. Au Québec, nous souffrons de mesures administratives lourdes, d’aménagement de lieux déficient, nos urgences débordent… » Selon elle, un contexte économique favorable contribue forcément à un milieu de travail harmonieux.

Photographie de Gyslaine Desrosiers.
« Au Québec, nous souffrons de mesures administratives lourdes, d’aménagement de lieux déficient, nos urgences débordent… »
 — Gyslaine Desrosiers, présidente sortante de l’OIIQ et actuelle présidente du SIDIIEF.

Elle fait cependant remarquer qu’au Québec, le champ d’exercice des infirmières est beaucoup plus large et que celles-ci jouissent de possibilités de carrière plus vastes. « Par exemple, certaines catégories d’infirmières peuvent faire le suivi de patients et prescrire des médicaments. »

Cela dit, elle reconnaît que ces dernières années, la Suisse romande a pris un virage international, s’inspirant des modèles québécois et nord-américain. Résultat : la profession d’infirmière y a gagné en reconnaissance. La création d’une filière universitaire y est pour beaucoup. Et le rôle des Québécoises dans cet heureux progrès aussi. En 2007, l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins a été fondé à Lausanne par la professeure Céline Goulet, ex-doyenne de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. Elle l’a dirigé jusqu’en octobre 2010, alors qu’une autre infirmière québécoise, la professeure Diane Morin, ex-doyenne de la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval de Québec, en a repris les rênes. Chantal Montreuil y est chargée de cours et Valérie Renoud-Grenier y fait une maîtrise.

Si la Suisse apporte sécurité et conditions de travail intéressantes aux infirmières d’ici, celles-ci y exportent également leur précieuse expertise. Une entente dont tout le monde sort gagnant.

Un apport estimé

Comme Chantal Montreuil et Valérie Renoud-Grenier, des dizaines d’infirmières et d’infirmiers du Québec plient bagage chaque année pour aller travailler en Suisse romande. Euro-Care Consulting, une société spécialisée dans le recrutement de personnel infirmier, affirme avoir aidé des milliers de Québécoises et Québécois à se joindre au système de santé helvétique.

Son fondateur, Duncan Preece, affirme que le personnel québécois est très prisé en Suisse. « Ses compétences professionnelles, son dynamisme, sa convivialité et sa façon différente de voir la vie et le travail y sont très appréciés. »

La formation québécoise

Le Québec est la seule province canadienne qui n’exige pas que les infirmières détiennent un baccalauréat. Un diplôme d’études collégiales en soins infirmiers suffit; il peut être suivi, ou non, d’un bac en sciences infirmières.

Depuis 2001, la formation intégrée (DECbac) connaît une popularité croissante. Au terme de cinq ans de scolarité, l’étudiante peut exercer à titre d’infirmière clinicienne en soins complexes ou de conseillère en soins infirmiers. Comme le prévoit la Loi sur les infirmières et les infirmiers, cette formation intégrée sera bientôt obligatoire. L’objectif : permettre aux infirmières de répondre aux nouveaux défis que posent l’évolution accélérée des connaissances scientifiques et technologiques, la transformation du système de santé et la complexification des besoins de soins de la population.