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Une profession bien vivante

Thanatologie : des femmes investissent la profession et vont au-delà des seules fonctions du
« croque-mort ».

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Dans la littérature et au cinéma, les croque-morts sont souvent des personnages austères, avares, lugubres. Cette représentation a tellement teinté l’imaginaire collectif que, dans la réalité, les thanatologues ont mauvaise réputation. Pourtant, enterrée sous cette image se trouve une intrigante profession nécessitant compassion, altruisme et respect, investie par une majorité de femmes.

Dans le dictionnaire virtuel Antidote, à l’entrée thanatologue, on trouve le synonyme « embaumeur ». Certes, ce sont eux qui procèdent à l’embaumement des dépouilles mortelles, ce qu’on appelle la thanatopraxie. Mais entre chimie, esthétique et psychologie, leurs tâches vont bien au-delà de la simple conservation des corps.

Photographie d'un tiroir rempli de produits de maquillage.
Selon la présidente de la Corporation des thanatologues du Québec, Valérie Garneau, les entreprises funéraires doivent encore s’adapter au phénomène récent de l’investissement du métier par les femmes.

Selon la présidente de la Corporation des thanatologues du Québec, Valérie Garneau, le métier a grandement évolué au fil du temps.« Autrefois, les croque-morts rencontraient les familles simplement pour leur vendre un cercueil, puis pratiquaient l’embaumement. De nos jours, nous effectuons toujours l’embaumement ou la crémation, mais nous offrons aussi beaucoup de soutien et d’aide aux familles. Nous sommes des professionnels qui écoutent les gens pour pouvoir les épauler dans leur deuil. »

Le clou dans le cercueil des mythes

Bien que la relation d’aide et la chaleur humaine se trouvent maintenant au cœur de cette profession, le métier de thanatologue est encore associé à la morbidité et à l’escroquerie. Certains mythes refusent de disparaître. Selon Alice*, thanatologue, c’est surtout parce que les gens sont mal informés. « On m’a souvent demandé si on incinérait plusieurs personnes en même temps, si on vidait le corps en entier ou si les maisons funéraires utilisaient l’argent des arrangements funéraires avant le décès de la personne concernée. C’est complètement faux. » Et ces croyances sont plus répandues qu’on peut le penser, déplore la jeune professionnelle.

Photographie de cendres humaines dans un coffre au salon funéraire.

« On m’a souvent demandé si on incinérait plusieurs personnes en même temps, si on vidait le corps en entier ou si les maisons funéraires utilisaient l’argent des arrangements funéraires avant le décès de la personne concernée. C’est complètement faux. »

Alice*, thanatologue

« Les gens croient souvent que les thanatologues sont tous alcooliques, tristes et déprimés. Certains pensent même qu’ils remplissent les dépouilles de ouate! », ajoute Maude Jarry, étudiante en thanatologie et auteure du blogue Mademoiselle Croque-mort, dans lequel elle tente de démystifier la profession.

Selon Valérie Garneau, parler du métier demeure tabou. « Les gens ne veulent pas nécessairement en apprendre davantage parce qu’ils ne veulent pas entendre parler de la mort. Encore moins de la leur! »

Depuis quelques années, les professionnels du domaine funéraire s’efforcent de faire connaître l’industrie des pompes funèbres. Cette année, la Corporation des thanatologues du Québec a organisé des journées portes ouvertes et a invité le public à visiter plusieurs salons funéraires. « Nous avons ouvert les laboratoires, montré l’envers du décor. C’est grâce à ce genre d’initiatives que les gens connaîtront mieux le métier », explique la présidente.

Pas que des hommes en noir

Icônes funéraires

Au Québec, le chiffre d’affaires de l’industrie funéraire s’élève à plus de 300 millions de dollars par an. Et comme le marché est appelé à croître avec le vieillissement de la population, les thanatologues et les directeurs de funérailles seront en demande dans les années à venir.

Traditionnellement, les entreprises funéraires étaient reprises de père en fils, ce qui en faisait un métier presque exclusivement masculin. Depuis quelques années cependant, la situation se renverse. Certains expliquent le phénomène par l’arrivée des femmes sur le marché du travail, d’autres invoquent les excellentes perspectives d’emploi. On peut aussi prendre en compte le taux d’accès aux études collégiales qui, selon le Portrait social du Québec (édition 2010), est plus élevé chez les femmes : 73,4 %, comparativement à 53,7 % pour les hommes (saison scolaire 2007-2008). Quoi qu’il en soit, les femmes investissent massivement le domaine et, beaucoup plus souvent qu’autrefois, prennent les rênes des entreprises.

« Le métier a commencé à se féminiser à la fin des années 1980. Aujourd’hui, plusieurs femmes dans la quarantaine ont assez d’expérience et les moyens financiers d’acheter des entreprises funéraires », relate Valérie Garneau. La tendance ne s’essouffle pas : en 2012, près de 70 % des étudiants en techniques de thanatologie étaient des femmes!

Le métier de thanatologue s’en trouve transformé. « Lorsque j’ai commencé dans l’industrie, à la fin des années 1990, bien des gens croyaient que ce n’était pas un métier convenable pour une femme. Tranquillement, les gens s’y sont adaptés et, de nos jours, le fait que des femmes travaillent dans le domaine funéraire n’est plus considéré comme inhabituel », explique Valérie Garneau.

Quoique la présence des femmes dans ce milieu soit largement acceptée, certaines formes de discrimination sexiste persistent. Selon la présidente de la Corporation des thanatologues du Québec, des maisons de pompes funèbres, surtout celles établies en région, où on demande aux employés d’être très polyvalents, ont tendance à embaucher plus d’hommes que de femmes. « La force physique peut poser problème. Nous avons des équipements spécialisés en laboratoire, mais aller chercher un défunt à son domicile nécessite une force physique importante. »

Selon Amélie*, thanatologue, c’est aussi parce qu’il existe encore des préjugés envers les femmes qui travaillent dans le domaine. « Certains hommes, peut-être plus traditionnels, ont de la difficulté à nous voir faire le même travail qu’eux. Porter des cercueils ou diriger des services funéraires semble être, pour eux, une tâche d’homme. »

Les femmes, « moins pratiques »?

Qui plus est, comme les thanatologues sont exposés à des produits chimiques, celles qui apprennent qu’elles sont enceintes ont immédiatement droit à un retrait préventif. Vient ensuite le congé de maternité d’un an. Certaines femmes sont donc absentes du travail pendant près de deux ans. Et tout porte à croire que ça pose problème à certains employeurs. « Très peu de temps après que j’ai annoncé ma grossesse, ma qualité de vie au travail a changé du tout au tout. On m’a tranquillement retirée de mes fonctions, puis j’ai perdu mon emploi, raconte Amélie. Pourtant, si nous voulons une relève, il faut assurer notre descendance. C’est complètement normal de faire des enfants! »

Instruments nécessaires au travail des thanatologues.
« De nos jours, nous effectuons toujours l’embaumement ou la crémation, mais nous offrons aussi beaucoup de soutien et d’aide aux familles. Nous sommes des professionnels qui écoutent les gens pour pouvoir les épauler dans leur deuil. »
 — Valérie Garneau, présidente de la Corporation des thanatologues du Québec

Selon la jeune thanatologue, son histoire ne serait pas un cas isolé. Les employeurs du domaine funéraire considéreraient les femmes comme des employés « moins pratiques ». Selon certains témoignages que nous avons recueillis, il arrive même que des maisons funéraires préfèrent embaucher des hommes sans formation plutôt que des professionnelles!

Très traditionnelles, les entreprises funéraires doivent encore s’adapter à l’arrivée massive, et plutôt récente, des femmes dans le domaine, croit Valérie Garneau. Au bout du compte, c’est l’industrie qui profitera de ce changement de portrait. « Par sa sensibilité et surtout parce qu’elle incarne une autre génération et de nouvelles valeurs, la gent féminine saura apporter ses couleurs, sa vitalité et sa fraîcheur à cette industrie plutôt conservatrice », affirme la future thanatologue Maude Jarry.

Le nombre grandissant de diplômées et d’entrepreneures qui croquent dans le métier ne peut que nous rendre optimistes.

  1. * Prénom fictif

La Corporation des thanatologues du Québec a été créée en 1956. Représentant le domaine funéraire et supportant son évolution, il contribue au développement professionnel et d’affaires de ses membres, pour le mieux de la société. Cette corporation réunit plus de 500 professionnels, 40 partenaires et 145 maisons funéraires. En septembre dernier, pour la première fois, une femme, Mme Valérie Garneau, est devenue présidente de la Corporation des thanatologues du Québec. Pour plus d’information