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Souvenirs d’une rencontre

À l’étranger, il y a les autres.

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L’aspect le plus nourrissant du travail à l’étranger est d’aller à la rencontre des autres. Voici Hamidou et Marie.


Hamidou, organisateur communautaire bénévole à la Coalition nationale de Guinée pour les droits et la citoyenneté des femmes* (CONAG-DCF), détenteur d’une maîtrise en animation socioculturelle

Photographie d'Hamidou.

Avec Hamidou, j’ai partagé la banquette avant d’une voiture, faute de plus d’espace, alors que nous nous rendions à une réunion. Nous étions « collés-collés », comme nous l’avons exprimé avec humour, sans doute pour transcender le malaise que créait une telle proximité entre nous, qui étions étrangers. Je me suis vite intéressée à Hamidou, seul homme au milieu des nombreuses femmes engagées dans les Coalitions nationales pour les droits et la citoyenneté des femmes en Afrique de l’Ouest.

A-t-il été difficile, lui ai-je demandé, de s’intégrer dans une organisation qui défend les droits des femmes et qui regroupe beaucoup d’organismes féminins? « Non. Quand j’y suis entré, j’ai accepté d’être encadré par les femmes. Et je ne me suis pas limité au volontariat; j’ai renforcé nos liens sociaux. Elles m’ont toutes transmis leurs connaissances et leur expérience, et aujourd’hui, j’évolue dans un environnement favorable. On se comprend très bien. La preuve est que, depuis janvier 2012, à la CONAG-DCF, on a changé l’instance dirigeante de la coalition pour élire neuf membres; j’occupe le poste de secrétaire-trésorier du comité de direction, qui est présidé par une femme et composé de cinq femmes et de quatre hommes. »

L’éducation qu’a reçue Hamidou a sans doute contribué à cette intégration réussie. Ce Guinéen a grandi dans une famille qui ne comptait que des femmes. « C’étaient des mamans, des tantes, des sœurs. J’ai un oncle maternel qui n’a fait que des filles. Il a demandé à mon papa d’accepter que je vienne chez lui afin qu’il m’élève pour avoir un garçon dans sa maison. J’ai donc été “récupéré” par mon oncle à l’âge de 6 ans. C’était une grande famille. Au fur et à mesure, j’ai appris à vivre avec les femmes. J’ai même pu apprendre des choses que l’homme ne doit normalement pas faire : balayer la maison, puiser de l’eau. » Une situation exceptionnelle, alors que la tradition, qui pèse encore lourd, veut que les travaux domestiques incombent aux filles et aux femmes, me confirme Hamidou. Il explique que son oncle était un intellectuel, professeur d’université, qui a vraiment voulu — et su — concilier les coutumes, les mœurs avec la modernité. Les tâches de la maison étaient clairement partagées entre les enfants, filles et garçon.

Au sortir de l’université, il était logique pour Hamidou d’accepter le travail qu’on lui proposait dans une ONG membre de la CONAG-DCF qui luttait contre les mutilations génitales féminines. « J’ai fait mes premiers pas dans cette organisation et j’ai eu de l’intérêt pour ce travail. »

L’éducation d’Hamidou influence aussi sa vie de famille. « Je fais beaucoup d’efforts à la maison. Quand je reviens du travail, par exemple, si madame est couchée, je la laisse tranquille. En Afrique, il est rare que des hommes rentrent à la maison sans réveiller leur épouse, si elle est couchée, pour lui demander une assiette, une cuillère, du riz. Ce sont de petites pratiques que je lui épargne. Le week-end, je m’occupe du bébé : je lui donne à manger, je change ses Pampers, etc. Je pense que je peux libérer madame de certaines tâches le week-end. Je fais des efforts pour apporter ma contribution. »

La femme d’Hamidou a suivi une formation en chaudronnerie (fabrication d’unités industrielles) dans une école professionnelle, grâce à un projet financé par l’Agence canadienne de développement international pour aider le ministère de l’Enseignement professionnel guinéen à encourager la formation des jeunes filles dans les filières techniques. « Malheureusement, elle n’a pas encore de travail : le marché est difficile dans notre pays. »

  1. *La CONAG-DCF regroupe 12 ONG féminines ou mixtes ainsi que des syndicats d’enseignants et de chercheurs de Guinée. Elle travaille sur trois enjeux principaux :
    • l’égalité femmes-hommes et filles-garçons;
    • la lutte contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles;
    • la promotion de la participation des femmes aux instances de prise de décision et de l’accès à leur citoyenneté.

Marie, présidente du Réseau des jeunes filles et des jeunes femmes leaders du Sénégal (RENAJEF), conseillère municipale de sa commune en banlieue de Dakar, en voie de terminer sa licence en comptabilité

Photographie de Marie.

J’ai eu pour Marie un coup de cœur! Cette jeune femme engagée a été invitée à participer à l’atelier de consultation visant à bonifier la première mouture du projet de protocole sur l’égalité entre les femmes et les hommes pour le développement durable en Afrique de l’Ouest, tenu à Dakar en novembre. En atelier de travail, nous nous sommes retrouvées dans la même équipe.

Éloquente, convaincue et attachante, Marie a ce qu’il faut pour faire passer ses idées. Elle préside d’ailleurs un réseau regroupant des organisations jeunesse mixtes actives dans les 15 pays représentés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les jeunes filles membres de ces organisations sont invitées à joindre le réseau de Marie pour trouver écho à leurs préoccupations. La mission du RENAJEF est justement d’amener la jeune fille à trouver son statut dans la société, à participer à la sphère politique sur des sujets comme la santé reproductive ou la réclamation de ses droits.

« Nous essayons de renforcer les capacités de leadership des jeunes filles, précise Marie. Et de leur faire comprendre qu’elles ont le droit de participer, qu’elles peuvent le faire tout autant que les garçons qu’elles côtoient, par exemple dans les organisations jeunesse, ou comme les militantes des organisations de femmes où, tôt ou tard, elles prendront la relève. »

Marie déplore le manque de réceptivité et d’accueil de nombreuses organisations de femmes. « Pourtant, me dit-elle avec conviction, nous ne sommes pas là pour prendre leur place, mais plutôt pour cheminer avec elles, pour nous assurer que nous aurons compris le combat des femmes. À leurs côtés, nous apprendrons petit à petit. Dans une organisation de 100 femmes, il est anormal qu’une seule jeune femme représente la jeunesse. C’est insuffisant. Il faut qu’on nous invite à faire partie des organisations et qu’on nous laisse nous affirmer. Par exemple, pourquoi une organisation de femmes n’aurait-elle pas une section jeunesse, qui aurait les mêmes prérogatives, le même nombre de membres? » De leur côté, plusieurs aînées dénoncent le faible taux de participation des jeunes filles dans la quête de l’égalité entre les sexes. Pourtant, Marie m’assure que les jeunes femmes s’engagent.

Pas de surprise : Marie ambitionne d’évoluer dans les plus hautes instances de son pays. « Je compte faire de la politique, car nous sommes dans un État où seule la politique fait vraiment changer les choses. La société civile n’a pas encore assez de poids. » Conseillère municipale de sa commune, elle est aussi présidente de la Commission des finances, du développement et de la planification de sa commune, dont elle prépare entre autres les états financiers.

Marie puise sa motivation à même la société dans laquelle elle vit, et qu’elle souhaite changer. « Dans notre société, on dit que les femmes ne savent rien… Et les jeunes filles, on n’en parle même pas. Nous, on veut changer cette perception. On veut montrer qu’aussi bien les femmes que les hommes peuvent travailler et prendre une part active dans la société. Le défi de tous les jeunes, plus particulièrement des filles, est de montrer qu’ils peuvent tout faire si on leur en donne les moyens. »