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Les risques du bien

La procureure générale afghane Maria Bashir désire ancrer les droits des femmes dans la culture locale.

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Danger et menaces sont le lot quotidien de la procureure générale de la province d’Hérat, en Afghanistan. Mais Maria Bashir est portée par un idéal qui lui donne des ailes, et du courage : améliorer les droits des femmes.

Photographie de Maria Bashir
La procureure générale Maria Bashir s’attaque à plusieurs crimes commis contre les femmes afghanes, notamment le mariage de mineures et la violence conjugale, et ce, en dépit de menaces de mort quotidiennes.

Assise devant un imposant portrait du président Hamid Karzaï, Maria Bashir, procureure générale de la province d’Hérat, en Afghanistan, raconte la tâche herculéenne, pour une femme, d’exercer ce type de profession dans un pays aux penchants machistes. Son hijab légèrement tiré vers l’arrière laisse entrevoir quelques cheveux noirs et le regard perçant d’une femme courageuse qui a défié le régime taliban en ouvrant une école clandestine pour jeunes filles dans sa maison. Depuis 2006, entourée de ses six gardes du corps, elle risque de nouveau sa vie pour combattre, entre autres, la violence faite aux femmes.

Elle est la première et unique femme à occuper le poste de procureur général dans le pays. En 2011, le magazine Times l’a classée parmi les 100 personnes les plus influentes du monde, en raison de son courage et de sa détermination à promouvoir les droits des femmes. Et maintenant, elle se préoccupe du destin de son pays après le retrait des forces de l’OTAN, en 2014 : elle craint le spectre d’un autre régime taliban qui rendra vains tous les efforts qu’elle a accomplis jusqu’à maintenant. « Je crois qu’il est trop tôt pour laisser l’Afghanistan seul, dit-elle. Nous n’avons pas encore de bonnes infrastructures, et surtout, l’avenir des femmes m’inquiète. Nous devons être certains que la communauté internationale continuera de coopérer et d’améliorer le niveau de vie des Afghans et des Afghanes. »

Maria Bashir ne déclare toutefois pas forfait. Dans cette société régie par des lois patriarcales, elle tente de peine et de misère de faire tomber les tabous pour protéger les plus vulnérables : les femmes. Avec plus de 258 cas à son actif, dont la majorité concerne la violence conjugale, elle essaie d’ancrer les droits des femmes dans la culture locale et d’encourager les victimes à surmonter leur peur et à porter plainte.

Crimes contre les femmes

La mise en place en 2009 de la loi sur l’élimination des violences contre les femmes, qui protège ces dernières en criminalisant une poignée d’actes de violence comme le viol ou le mariage de mineures, a certes aidé le travail de la procureure. Mais la loi reste difficile à appliquer. La principale raison : l’absence d’état de droit dans le pays. Malgré tout, Maria Bashir persiste. Elle a mis sur pied une unité spéciale consacrée à la violence conjugale qui, jusqu’à maintenant, donne des résultats positifs. « Dans la province d’Hérat, au moins 60 % des cas qui se retrouvent devant le tribunal concernent des hommes qui battent leur femme. C’est donc notre principal objectif d’éliminer tous les types de violences subies par les femmes. Quelques-unes sont courageuses et dénoncent leur mari. Dans de tels cas, nous envoyons deux procureurs à la maison de la victime pour nous assurer qu’elle ne soit plus victime de sévices corporels. Nous demandons au mari de signer un document dans lequel il jure de ne plus jamais la battre. Généralement, il vivra dans la peur des représailles. »

Parmi les autres crimes que la procureure traite quotidiennement : les suicides par auto-immolation. L’unique porte de sortie pour échapper aux multiples brutalités commises par un mari ou un frère. Lorsqu’elles sont prises dans une situation violente, de nombreuses jeunes femmes s’enfuient pour trouver refuge chez un membre de leur famille ou une connaissance, mais la fugue peut se solder par une arrestation et une accusation d’adultère. Plusieurs choisissent donc de s’immoler pour éviter cet enfer.

Mais le pire crime qui tarde à disparaître de la culture afghane, selon la procureure, est le mariage de mineures. « Les jeunes filles ne peuvent en aucun cas se défendre et donner leur avis sur l’homme qu’elles épouseront. » La plus jeune victime de cet acte barbare qu’elle a vue n’avait que 8 ans, et son futur mari… 45.

Maria Bashir s’attaque même à l’héritage du régime taliban : la burqa. Dans les rues de la ville d’Hérat où elle travaille, pourtant considérée ouverte, le long tissu bleu recouvrant le corps en entier est légion. L’éradication complète du voile dans la société afghane sera un long processus éducatif, croit-elle. « Jamais il n’a été écrit dans le Coran que la femme devait se couvrir le visage. C’est un gros problème que j’attribue aux hommes en quête de pouvoir. Nous, les procureurs d’Hérat, parlons avec eux pour les encourager à être plus ouverts et pour défendre les droits des femmes. »

Du courage à revendre

Tous ses efforts ne vont toutefois pas sans risques. Elle doit perpétuellement lutter contre les groupes plus traditionalistes du pays, soit la tranche de la population plus réticente à l’émancipation de la femme. « Je reçois des menaces de mort tous les jours. L’année dernière, près de ma maison, un kamikaze s’est fait exploser, blessant deux de mes gardes du corps. Être une femme procureure en Afghanistan et détenir le pouvoir d’envoyer des hommes en prison est plutôt controversé. Ça ne plaît pas aux traditionalistes. » Et qu’en pense son mari? « C’est un homme afghan, dit-elle en riant, mais c’est un homme d’affaires éduqué. Il a seulement peur de la dangerosité de mon travail. »

Son courage, Maria Bashir le puise dans le soutien de sa famille, mais aussi dans l’espoir d’un avenir brillant pour ses enfants. « J’aime travailler pour aider les femmes. Je veux être certaine que l’Afghanistan soit une nation pour elles aussi, pas seulement pour les hommes. Avant mon entrée en poste, il n’y avait que deux femmes procureures dans mon bureau. Maintenant, il y en a 12 qui s’occupent de violence conjugale et des droits des femmes. Je suis également mère de trois enfants, deux fils de 18 et 13 ans et une fille de 16 ans. Je veux leur donner un avenir meilleur, en particulier à ma fille. »

Même si son travail ne portera ses fruits que dans plusieurs années, Maria Bashir ne baisse pas les bras. « Les pays étrangers doivent être patients s’ils veulent voir notre nation s’améliorer. Mais qu’ils se rassurent : ici, il y a des gens qui aiment leur pays et qui ont envie de construire un Afghanistan meilleur à tous les points de vue. »