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Dans le sillon du stress

Le stress au féminin aurait-il à voir avec les pressions sociales stéréotypées? Sonia Lupien répond à la question.

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C’est prouvé, le stress affecte la santé mentale, surtout lorsqu’il est combiné à des fluctuations d’hormones. Et il est souvent intimement lié aux pressions et aux attentes sociales. Hommes et femmes le vivent-ils différemment? Des chercheurs ont récemment découvert que oui.

Certaines maladies mentales touchent davantage les femmes, d’autres les hommes. Les premières sont plus vulnérables au syndrome de stress post-traumatique et courent de deux à trois fois plus de risques de souffrir de dépression entre l’adolescence et la ménopause. Elles sont aussi plus affectées par la plupart des troubles anxieux, à l’exception de la phobie sociale et des troubles obsessifs compulsifs.

Photographie de Sonia Lupin.
« Les femmes sont plus stressées si elles occupent un poste de direction. Pourquoi? Parce que leur autorité est contestée. Voilà un effet social. »
 — Sonia Lupien, neuropsychologue et directrice scientifique du Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis.-H.-Lafontaine

Connaître les raisons de ces différences relevait du tour de force puisque, jusqu’à tout récemment, les études sur la maladie mentale n’étaient menées qu’auprès des hommes. Sonia Lupien, spécialiste en neuroscience, a entrepris de corriger ce déséquilibre. La neuropsychologue est titulaire de la Chaire de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada sur la santé mentale des femmes et des hommes, créée il y a quatre ans. Les chercheurs sous sa gouverne analysent les différences de vulnérabilité aux maladies mentales entre les sexes.

Les racines du stress

Mme Lupien, qui dirige également le Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis.-H.-Lafontaine, est une spécialiste du stress. Celui qui nous est vital, mais surtout celui qui nous arrête, nous paralyse et peut nous conduire à des troubles mentaux sévères. Elle s’emploie à faire la distinction, chez les hommes comme chez les femmes, entre les symptômes davantage associés à des facteurs biologiques, comme les taux d’hormones, et ceux qui relèvent de l’environnement social.

Car oui, notre milieu de travail, notre type d’emploi, la qualité de nos relations peuvent faire grimper notre niveau de stress. De même que les pressions et les attentes de notre entourage liées à notre sexe. « Prenez mon cas. Je suis une femme de tête à un poste de direction. On me traite de bulldozer. Ce n’est pas flatteur. Et si, pour me faire écouter, je tape sur la table, je me sens stressée, car ce n’est pas un geste que je pose naturellement. » Cet exemple, poursuit-elle, est éclairant, car il démontre à quel point les déterminants psychosociaux peuvent créer du stress. « Nous observons que les hommes ressentent plus de stress au travail s’ils évoluent au bas de la pyramide. À l’inverse, les femmes sont plus stressées si elles occupent un poste de direction. Pourquoi? Parce que leur autorité est contestée. Voilà un effet social. Il est important de dire cela aux femmes gestionnaires. »

D’autres tests ont démontré que les femmes sont plus stressées lorsque leurs pairs les rejettent, alors que les hommes atteignent des sommets de stress si on leur demande d’effectuer une tâche liée à la performance. Autre trouvaille intéressante : dans une situation stressante, l’homme sera moins stressé s’il est accompagné de sa conjointe. En revanche, pour la femme, le stress demeure stable si son conjoint est à ses côtés. Par contre, si une copine l’accompagne, son stress diminue.

Adriana Mendrek, chercheuse rattachée à l’Université Bishop’s, à Sherbrooke, confirme ces distinctions : « Les femmes subissent des pressions sociales différentes de celles des hommes, ce qui affecte non seulement leur niveau de stress, mais leur vulnérabilité à la maladie mentale. Par exemple, l’estime de soi, si fondamentale pour la santé mentale, peut être durement mise à mal si une femme n’agit pas selon ce que l’on attend d’elle, à la maison ou au travail. »

Le rôle des hormones

Des études récentes confirment la persistance d’attentes sociales stéréotypées vis-à-vis des femmes. Mais Mme Lupien et Mme Mendrek savent qu’il faut également s’attarder aux facteurs biologiques pour obtenir un portrait complet, et surtout nuancé, de la vulnérabilité des femmes au stress et aux maladies mentales. C’est pourquoi elles étudient le rôle que jouent les hormones dans cette équation.

Les taux d’hormones influent sur l’état de santé. Un exemple? Les femmes sont moins susceptibles de souffrir de dépression après la ménopause. « La stabilisation des taux d’estrogènes et de progestérone expliquerait cette réduction de la dépression une fois la ménopause passée. Cependant, nous n’avons pas encore de réponse claire », résume Mme Mendrek.

En revanche, ce qui est sûr, c’est que la combinaison entre hormones et environnement est déterminante. Par exemple, un comportement violent modifie le niveau de testostérone; cette fluctuation peut rendre la personne plus vulnérable au stress ou à certains déséquilibres mentaux. En outre, une personne qui a tendance à être dépressive et à ruminer ses mauvaises expériences affichera un taux de cortisol — la principale hormone de stress — plus élevé qu’une personne positive. Et ce haut niveau de stress augmentera le risque de dépression.

Domaine extrêmement complexe, la santé mentale n’a pas livré tous ses secrets, loin de là. Mais en saisissant mieux les conséquences des pressions auxquelles sont confrontées les femmes en société, il sera plus facile d’intervenir adéquatement, au bon moment.