Aller directement au contenu

Sexisme et jeux vidéo – La partie n’est pas gagnée

Les filles, à vos manettes!

Date de publication :

Auteur路e :

En 40 ans, le graphisme et les animations des jeux vidéo ont évolué à une vitesse fulgurante. Le profil des joueurs s’est métamorphosé. Mais la représentation des personnages féminins, elle, semble stagner. L’industrie est-elle coincée dans de poussiéreux stéréotypes?

Le jeu vidéo, un truc de garçons? Détrompez-vous! Selon une récente étude de l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ALD) — dirigée par une femme —, plus de 35 % des joueurs au Canada sont… des joueuses! Le visage de l’industrie se transforme. Alors que les créateurs s’adressaient jadis à des adolescents masculins, ils découvrent que leur public compte maintenant beaucoup plus d’adultes, dont une étonnante partie composée de femmes.

Pourtant, il semble que le contenu des jeux vidéo soit figé dans une autre ère, remplie de stéréotypes passés de mode. Alors que les statistiques prouvent que les adeptes de ce type de divertissement sont d’âge, de sexe, d’origine et d’orientation sexuelle différents, les créateurs semblent encore s’adresser uniquement aux adolescents mâles hétérosexuels. Avec ce public cible en tête, ils ont adopté une stratégie très « originale » pour vendre leurs produits : utiliser le corps des femmes. Une méthode que plusieurs, joueurs ou non, dénoncent.

La croisade d’Anita

Photographie de Anita Sarkeesian
La blogueuse féministe Anita Sarkeesian s’attaque au sexisme dans les jeux vidéo.

Récemment, la blogueuse féministe américaine Anita Sarkeesian a décidé de s’attaquer au sexisme dans les jeux vidéo. Elle s’est lancé le défi d’amasser 6 000 $ pour réaliser une série de vidéos informatives nommée Tropes vs. Women in Video Games (« Les stéréotypes contre les femmes dans les jeux vidéo »). Par une campagne de financement en ligne, la jeune activiste a réussi à amasser non pas 6 000 $, mais bien 158 922 $!

Malgré l’intérêt positif que manifestent des milliers d’internautes, nombreux sont ceux qui désapprouvent l’initiative. Certains se sont même ligués pour harceler la blogueuse sur la Toile. Insultes sexistes, menaces de mort ou de viol, propos misogynes : tout y est passé. Comble de l’aberration, des internautes outrés ont conçu un jeu vidéo permettant de massacrer virtuellement Sarkeesian. Pourquoi? Ils auraient justifié leur geste en affirmant qu’« Anita Sarkeesian a fraudé les gens de plus de 160 000 $ et a utilisé son statut de femme pour dire et faire tout ce qu’elle voulait ».

Loin de décourager la jeune blogueuse, ces évènements ont donné à son projet encore plus de sens : avant même d’avoir commencé ses recherches pour la production de la série vidéo, elle avait une preuve tangible de l’incroyable misogynie et du sexisme flagrant présents dans la communauté du jeu vidéo. Soutenue par un nombre grandissant d’internautes, Anita Sarkeesian continue de plancher sur sa série, dont on peut suivre l’évolution sur son blogue, Feminist Frequency.

La femme en pixels

Dès les premières apparitions de jeux vidéo, vers , les créateurs ont voulu différencier les personnages féminins et masculins. Sans la technologie actuelle, impossible de faire dans la subtilité. Pour que les personnages féminins se démarquent, même en gros pixels, on les a affublés de longs cheveux blonds, de costumes rose bonbon ou d’imposants tours de poitrine. Le bal de la représentation sexiste et hypersexualisée était lancé.

Princesse Peach et Lara Croft
Robes de princesse, dentelle, minishort et courbes pulpeuses : Princesse Peach et Lara Croft sont de véritables stéréotypes ambulants.

Plus de 40 ans plus tard, malgré les avancées spectaculaires des technologies du divertissement numérique, l’image des héroïnes de synthèse n’a pas beaucoup changé. Princess Peach dans Super Mario Bros, blondinette tout habillée de rose, et Lara Croft dans Tomb Raider, plantureuse brunette aux vêtements moulants et peu couvrants, en témoignent.

On dirait même que les représentations sexistes sont de plus en plus nombreuses. Mais est-ce vraiment la tendance générale?

Selon Marie-Eve Tremblay, programmeuse, productrice associée et première femme à avoir été embauchée par la compagnie de développement de jeux vidéo Beenox, à Québec, le sexisme dans les jeux vidéo est moins répandu qu’on pourrait le penser. À son avis, les jeux vidéo extrêmement sexistes sont trop souvent cités en exemple. « Il existe tellement d’autres jeux que ceux-là! Beyond Good and Evil et Resident Evil, par exemple. On donne beaucoup de poids aux jeux sexistes alors qu’ils ne pèsent pas lourd dans la balance. Trop d’attention leur est accordée par rapport à ceux qui en méritent réellement. Et puis, on trouve les mêmes caractéristiques sexistes dans certains films ou bandes dessinées… »

La jeune productrice associée soutient également qu’une nouvelle tendance s’est installée dans l’industrie, qui pourrait avoir un effet sur la diversité des produits offerts. Avec l’arrivée de la Wii et des jeux offerts sur les téléphones intelligents, les créateurs produiraient maintenant de plus en plus d’applications de divertissement destinées à un public de tous âges, donc moins sexistes. De plus, selon la programmeuse, les représentations de genres sont de moins en moins présentes dans les jeux vidéo. « On n’a qu’à penser à Angry Birds, où on joue avec des oiseaux et des cochons. Dans d’autres jeux, ce sont des objets qui font office de personnages », précise-t-elle.

Illustration du jeu vidéo Angry Birds.
« Il y a une tendance qui vise à évacuer complètement les représentations des genres dans les jeux vidéo. »
 — Marie-Eve Tremblay, programmeuse et créatrice associée chez Beenox.

Game over?

Malgré tout, selon la jeune femme, on peut faire mieux. « N’oublions pas que les jeux vidéo ont d’abord été créés par les hommes pour les hommes. » Ceux-ci auraient donc modelé les personnages féminins pour se faire plaisir d’abord, en présumant que les consommateurs types leur ressemblent et ont les mêmes désirs.

Cependant, la jeune femme observe que la majorité des logiciels de divertissement ne présentent pas de vision hypersexualisée de la femme. « Pour chaque jeu où on met en scène une femme hypersexualisée et naïve, il y a plusieurs contre-exemples dans lesquels les femmes sont fortes et indépendantes, comme Metroid, Parasite Eve ou Final Fantasy. »

Pascale Sarault, passionnée de jeux vidéo et chroniqueuse à la populaire émission M.Net à MusiquePlus, est de cet avis. « Les femmes dans les jeux sont souvent sexy, certes, mais elles n’en sont pas moins solides, intelligentes, rusées. L’un n’exclut pas automatiquement l’autre. »

Les filles, à vos manettes!

Comment ces représentations positives des femmes pourraient-elles se propager? Selon Mme Tremblay, c’est simple : ça prend plus de créatrices dans l’industrie. Chez Beenox, moins de 10 % des créateurs sont des femmes. Difficile de dire si cette statistique est représentative de l’industrie, car peu de données sont recensées sur le sujet.

Photographie de 3 fillettes jouant aux jeux vidéo.
Intéresser davantage les jeunes filles aux jeux vidéo pourrait être un moyen efficace de lutter contre le sexisme dans l’industrie.

Pour arriver à attirer plus de femmes vers ce type de carrière, la jeune productrice est persuadée qu’il faudrait inciter les jeunes filles à s’intéresser aux jeux vidéo. « Elles voudront alors jouer davantage, et auront envie, de fil en aiguille, de faire de leur passion une carrière. »

Comment stimuler leur intérêt? La bonne vieille méthode, soit offrir des modèles, apparaît comme un passage obligé. Il est probable qu’en voyant des femmes jouer, se passionner pour les jeux vidéo et tenir un rôle dans l’industrie en tant que créatrices, programmeuses ou conceptrices, les jeunes filles se sentiraient plus à l’aise de s’intéresser à cet univers traditionnellement masculin. « On peut changer la face de l’industrie! Il faut donner confiance aux filles et leur prouver qu’une femme peut réussir dans le monde des jeux vidéo. Il y a 40 ans, une femme médecin, c’était peu commun. Maintenant, il y en a énormément! C’est ce à quoi on aspire dans l’industrie des jeux vidéo. Et on réussira, j’en suis convaincue », soutient la programmeuse, optimiste.